09/01/2023 15:39 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume |
09/01/2023 15:39 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-1-page-39.htm 1/18 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume Ronan de Calan Dans Les Études philosophiques 2005/1 (n° 72), pages 39 à 54 Article a phénoménologie est étrangement muette sur tout ce qui touche à la causalité, causalité physique autant que causalité psychophysique, à tel point qu’on ignore si elle participe ou non au discrédit assez général porté à l’encontre de cette notion dans l’épistémologie contemporaine (conduisant parfois, c’est le cas chez Ernst Mach, à l’abandonner au bénéfice de la notion de fonction [1]). Cela tient certes à l’ampleur de la tâche, pour une discipline jeune que son fondateur a laissée à l’état de philosophie première, portant rarement ses regards au-delà. Mais cela tient également à sa nature même : la problématique de la constitution est plutôt étrangère aux développements, secondaires, sur l’inférence causale, beaucoup plus proche en cela des positions empiristes et sceptiques comme celles de Berkeley et de Hume. Il est très probable que le tournant transcendantal engagé précocement par Husserl, dans les années 1910, n’a fait qu’accroître la distance de la phénoménologie d’avec les positions physicalistes, le manuscrit tardif de la Krisis constituant à ce titre le récapitulatif de la rupture [2]. 1 L Seuls les phénoménologues réalistes, comme Reinach, ou Ingarden après lui, se sont confrontés véritablement au problème de la causalité [3]. Pour ce qui concerne Reinach – et l’on s’en tiendra à lui ici, quitte à ne pas dépasser ses propres apories sur la question – la recherche sur la notion de causalité s’inscrit systématiquement dans des préoccupations théoriques qui la renvoient au second plan. Certes, une courte dissertation de 1905 est consacrée directement à la notion de cause dans le droit pénal, mais c’est précisément pour interroger la légitimité de son usage en droit [4]. Dans les années qui précèdent le premier conflit mondial, entre 1911 et 1914, la relation de causalité est souvent utilisée par Reinach, dans le cadre de sa doctrine phénoménologique naissante – mort-née, d’ailleurs – comme contrepoint de la relation d’essence calquée, elle, sur le modèle de la relation d’idée chez Hume. Dans 2 09/01/2023 15:39 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-1-page-39.htm 2/18 Hume et la crise de la causalité son Opus magnum, Les fondements a priori du droit civil [5], elle sert tout au plus à mettre en valeur la spécificité de la relation de fondement à conséquence qui prévaut dans l’analyse des actes sociaux. Cependant, son étude a le mérite de renseigner tant sur la nature particulière de la relation d’essence que sur le protocole nécessaire à la construction d’une doctrine phénoménologique cohérente de la causalité, conçue à partir de la nécessité matérielle. Le paradoxe tient alors au fait que l’ébauche de cette théorie de la relation causale est dressée sous les auspices du plus grand représentant de la crise de la notion de causalité à l’époque moderne, David Hume. C’est donc à partir d’une relecture critique de Hume, assez peu orthodoxe, on va le voir, que peuvent se comprendre, et les rapports troubles entre phénoménologie et empirisme, et le destin possible de la relation de causalité en régime de phénoménologie réaliste. Il est parfaitement légitime de considérer Hume comme le représentant britannique le plus éminent de la crise d’une conception réaliste, cartésienne pour le dire en un mot, de la causalité efficiente et des grands principes métaphysiques de conservation qui lui sont associés à l’Âge classique. Cette critique de la causalité n’est pas de circonstance et acquiert un caractère très systématique dans la première moitié du XVIII siècle en Europe. On en trouve d’ailleurs des échos importants outre-manche, notamment dans les travaux des encyclopédistes (mais pas seulement, qu’on songe à Condillac, à Maupertuis, à La Mettrie, dont aucun ne peut être dit trop précocement héritier de Hume). Sa double source, occasionnaliste, par Malebranche, empiriste, par Locke et Berkeley, constitue d’ailleurs une signature d’époque. L’une et l’autre théorie, l’un et l’autre système dressent les cadres de la réception de Newton, tant chez les Britanniques que chez les Français. L’un et l’autre contiennent par ailleurs une critique de la notion de force, postcartésienne pour une part (critique des formes substantielles et de la force mouvante des corps chez Malebranche, de l’idée de pouvoir chez Locke), postnewtonienne pour une autre (on pense ici au Berkeley du De motu), qui sert les desseins antimétaphysiques des empiristes de tous bords. La critique de la causalité lui est directement liée, puisqu’avec la notion de force, c’est le thème général de l’efficacité de la cause qui est visé. En faisant résider l’efficacité de la cause dans la détermination de l’esprit, Hume avance une thèse en apparence très hérétique, mais qui tire les leçons de l’occasionnalisme et des lectures empiristes de la philosophie naturelle de Newton [6]. 3 e Ce revers est néanmoins d’autant plus surprenant que Hume semble, au tout début de la troisième partie du premier livre de son Traité, aménager toutes les conditions d’une détermination réaliste de la causalité. À l’instar des relations d’identité et de situation dans le temps et dans l’espace, la relation de causalité est naturelle et non philosophique (s’opposant en cela à la ressemblance, à la contrariété, aux degrés de qualités et aux proportions de quantité et de nombre) : elle n’est donc pas une 4 09/01/2023 15:39 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-1-page-39.htm 3/18 « Lors d’un choc, le mouvement d’un corps est considéré comme la cause du mouvement d’un autre. À considérer ces objets avec la plus extrême attention, nous constatons seulement que l’un des corps s’approche de l’autre et que le mouvement de l’un précède celui de l’autre, mais sans aucun intervalle sensible. Il est vain de nous torturer à penser et réfléchir plus avant sur ce sujet. Nous ne pouvons aller plus loin en considérant ce cas particulier. » [7] relation interne, intrinsèque aux termes ou idées qui la constituent, mais bien adventice, factuelle – relative donc à la matter of fact. Bien plus, elle est d’abord et avant tout une relation entre objets (notion donc on n’ignore pas l’indétermination dans le régime humien des idées, et des relations des impressions aux idées : les objets seront traités ici comme des événements qui renvoient à des impressions et non aux idées qui leurs correspondent ou les représentent. C’est à cela d’ailleurs que se marque la différence entre relation philosophique et naturelle, la relation philosophique reposant sur les idées d’impressions, la naturelle sur les impressions mêmes). Relation entre objets qui, en outre, est une composition ou combinaison de contiguïté et de succession temporelle. À ce titre, elle semble justiciable d’une identification phénoménale et s’exemplifie à merveille dans le choc de deux corps. Toutefois, rien n’est si simple. Perçoit-on, nous demande Hume, la relation de causalité à partir de ces coordonnées spatio-temporelles ? Le propos, ici très enveloppé, contient tous les arguments nécessaires au rejet d’un hypothèse conçue comme parfaitement légitime au départ : celle d’une identification phénoménale de la relation naturelle de causalité. Du point de vue phénoménal, les seules relations qui nous soient données sont spatiales et temporelles : le mouvement d’un corps dans l’espace qui cesse ou dévie lors de sa rencontre avec un autre corps, le mouvement de l’autre corps qui lui succède immédiatement. Le choc correspond à la coïncidence de deux séquences temporelles ou de deux événements, la déviation ou l’arrêt du mouvement d’un corps, l’initiation du mouvement d’un autre. Du point de vue phénoménal, on n’identifie aucun transfert de quantité ni de qualité, quel qu’il soit. Il est vain, ajoute Hume, de vouloir creuser l’intervalle, c’est-à- dire de vouloir décomposer la séquence même du choc : on ne trouvera rien de plus que la coïncidence, miraculeuse (d’autres diraient : occasionnelle), de deux événements dans des espaces contigus. Par conséquent, la relation de causalité n’est pas sensible, à la différence des relations de dispositions spatiales et de succession temporelle. L’absence d’une donation sensible de la cause invite alors à suspendre tout hypothèse singulariste : il semble bien que la causalité ne soit jamais donnée dans un cas particulier. Il semble impossible d’identifier une relation causale monadique, singulière. Une telle conséquence en appelle manifestement à des conceptions purement nomologiques, précritiques, de la causalité : c’est-à-dire l’antithèse de toute théorie réaliste. La causalité n’est pas sensible, la chose est acquise. Soit ! Est-ce à dire pour autant qu’elle n’est pas réelle ? N’y a-t-il pas de causalité dans le monde ? 5 09/01/2023 15:39 Causalité et nécessité matérielle : Reinach lecteur de Hume | Cairn.info https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2005-1-page-39.htm 4/18 « Un objet peut être contigu et antérieur à un autre, sans qu’on le regarde comme sa cause. Il y a une CONNEXION NéCESSAIRE à prendre en considération, et cette relation est d’une importance beaucoup plus grande que n’importe laquelle des deux précédentes. » [8] Tout va se jouer dans l’interprétation du troisième critère associé à la contiguïté et à la succession temporelle : la connexion nécessaire. 6 uploads/Philosophie/ causalite-et-necessite-materielle-reinach-lecteur-de-hume-cairn-info.pdf
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- Publié le Mar 03, 2021
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