Brève histoire des télécommunications : du réseau simple aux réseaux pluriels P

Brève histoire des télécommunications : du réseau simple aux réseaux pluriels Patrice A. Carré Patrice A. Carré, historien, est un spécialiste des technologies de la communication et de l’information. Auteur de nombreux ouvrages, en particulier (avec A. Beltran) “La Fée et la Servante”, son champ de recherche actuel porte sur les télécommunications, l’audiovisuel et la consommation en Europe. Il dirige la “Collection historique des télécommunications”. Plusieurs approches de l’histoire des télécommunications s’offrent à l ’ h i s t o r i e n . En effet, comprendre/analyser la succession des réseaux de télécommunications est complexe : s'y mêlent enjeux politiques, industriels et économiques. L’approche politique favorisera les grandes mutations institutionnelles, s’interrogera sur les processus de décision, sur les stratégies réglementaires et le rôle des pouvoirs publics. L‘historien de l’économie mêlant le “micro” et le “macro” privilégiera l’histoire industrielle (l’histoire des firmes), suivra l’évolution des produits et des marchés de télécommunication en s’interrogeant sur les relations entre la demande (les consommateurs, les clients) et l’offre technique. L’approche sociale et culturelle mettra en lumière les liens multiples qu’une société entretient avec ses modes de (télé)communications. La démarche ici choisie se situe beaucoup plus en amont et nous tenterons de nous interroger sur l’émergence des principales innovations dans le domaine des télécommunications en nous efforçant de les replacer dans un contexte global de l’histoire des sciences et techniques. Or toute enquête de ce type impose une périodisation et, comme toute périodisation, elle comporte sa part d’arbitraire et de simplification. On la voudrait ici non figée, sachant que des glissements sont possibles (au sein même des grandes respirations évoquées, il y a des chronologies décalées qui ont leur propre logique au cœur de l’ensemble). On souhaite qu’elle ait vertu heuristique. Dans un livre essentiel parce qu’il intègre histoire des techniques et géopolitique, P. Griset [1] distingue deux longues respirations dans l’histoire de la communication. Une première période couvre les années 1840/1945 (la révolution des communications électriques), une seconde va de la fin du second conflit mondial à nos jours (fondée sur l’électronique des semi- conducteurs). Dans un article récent L.J. Libois [2] a, pour sa part, proposé trois grandes périodes. Il distingue une première période qu’il appelle l’ère du courant électrique (1843-1913), une deuxième : l’ère de l’électronique (1913-1963), et une troisième enfin dont il voit les prémices vers 1963 et qui se continue jusqu’à nos jours, l’ère des semiconducteurs. Tout en reprenant les éléments explicatifs proposés par ces deux auteurs, c’est un troisième modèle que nous emprunterons. On le doit à J.P. Poitevin [3] qui distingue clairement deux temps dans l’histoire des télécommunications “un premier temps consacré à l’expansion des réseaux, avec en contrepartie une évolution relativement lente des services offerts ; un deuxième temps où la croissance des réseaux s’estompe au profit d’une large diversification des services et pendant lequel écrits, images, messages et données de toutes natures sortent de leur marginalité et deviennent un élément essentiel de la croissance”. Nous proposons donc une périodisation en deux grandes parties. Dans la première, nous étudierons la succession des réseaux de télécommunications des débuts du 19e siècle jusqu’aux années qui suivent la Seconde Guerre Mondiale. Dans une seconde partie qui portera sur les quarante dernières années, nous nous interrogerons sur l’accélération des innovations techniques et la croissance des services. [1] Griset P. - Les révolutions de la communication XIX e-XX e siècle - Hachette, 1991. [2] Libois L.J. - La genèse des télécommunications et les grandes mutations techniques - in Réalités industrielles (Annales des Mines), avril 1993. [3] Poitevin J.-P. - L’impact de la recherche sur le développement des nouveaux services - in contributions françaises au Symposium technique du 5 e Forum mondial 87 des télécommunications - UIT, Genève, 22-27 octobre 1987. Brève histoire des télécommunications : du réseau simple aux réseaux pluriels L’histoire des télécommunications présente deux grandes phases : n la première, celle du Réseau, démarrée à la fin du XVIIIe prend fin au tournant des années soixante, n la seconde, celle des Services, est marquée par l’accélération de l’innovation, la multiplication des services et la pluralité des réseaux. Succession, juxtaposition et expansion des réseaux de télécommunications Dans une première période, l’histoire des télécommunications se présente comme la succession de réseaux techniques. De la fin du 19e siècle aux années 1950, ils se sont juxtaposés sans - sauf exception notable - s’annuler et se substituer les uns aux autres. Les grandes étapes techniques de ce processus peuvent, mutatis mutandis, se présenter ainsi. A la télégraphie optique ou aérienne (à partir de 1795/1800) a succédé la télégraphie électrique (à partir de 1840/1850). A partir de 1850/1860, le réseau s’est mondialisé. La création des premiers réseaux téléphoniques (à partir de 1880) et l’essor des liaisons radioélectriques (à partir de 1910) ont marqué un tournant essentiel dans l’histoire de la communication. L’innovation majeure qui marque un tournant est la triode de Lee de Forest en 1906. Les techniques se sont accélérées : réseau “longue distance”, commutation automatique/électromécanique (à partir de 1920), réseau de radiodiffusion à partir de 1920/1930, naissance de la télévision à partir de 1930/1940 [4]. Le télégraphe optique : un réseau au service des militaires et de la police L’idée de transmettre - et la volonté de trouver les moyens techniques le permettant - des messages le plus rapidement possible, de points toujours plus éloignés les uns des autres, est ancienne. Les civilisations en ont laissé des traces. Cependant, les premières réalisations efficaces, durables, et surtout la mise en place d’un réseau cohérent, sont dues à un français : Claude Chappe. Sur le plan technique, il s’agit tout simplement d’un système proche des sémaphores. Ce qui caractérise le réseau Chappe et en fait le premier réseau moderne de télécommunications est qu’il est codé (ce code s’apparente aux techniques de cryptographie : il fallait un dictionnaire pour décrypter les signaux) et que l’information qu’il transmet doit être répétée (amplifiée : idée de l’affaiblissement du signal) le long d’un parcours. Enfin il permet l’échange. C’est un réseau dont les fins sont essentiellement militaires. Il est intimement lié à l’histoire des guerres révolutionnaires. La télégraphie électrique : naissance des télécommunications modernes Le télégraphe aérien fit rapidement la preuve de ses limites. C’est de l’électricité qu’allaient naître les télécommunications modernes : permanentes et universelles. Les grandes lignes de cette histoire sont globalement connues [5]. On le sait, c’est la pile électrique qui a permis le développement de la télégraphie. Cette innovation peut être considérée comme l’amorce d’un nouveau système technique [6]. A partir de son invention et pendant trente à quarante ans, s’est accompli un important processus de développement. Expériences pratiques et avancées théoriques s’enchaînèrent et se répondirent dans un dialogue constant. Or, si la pile est dans l’histoire de la télégraphie un élément essentiel, la découverte fondamentale, celle qui a réellement ouvert la voie à la télégraphie électrique, fut celle de l’électroaimant. Cette découverte date de 1820. Elle est due à trois chercheurs, un physicien danois Oersted et deux français, Ampère et Arago. Comme l’a écrit Maurice Daumas [7] : “Dès qu’a été connu le phénomène de déviation d’une aiguille aimantée sous l’influence d’un conducteur parcouru par un courant électrique, on a pensé à utiliser ce phénomène pour transmettre rapidement et à distance des signaux convenus”. Dès la fin des années 1820 et au début des années 1830, plusieurs expériences de télégraphie électrique eurent lieu en Europe. L’invention et la mise au point du télégraphe prirent d’emblée une dimension internationale. En effet, et l’on retrouvera cette même situation pour les technologies essentielles de télécommunications [8] (téléphone, TSF ou télévision), le télégraphe électrique ne fut pas l’invention d’un chercheur isolé, mais le résultat d’une convergence entre plusieurs travaux, travaux de théoriciens et expérimentations pratiques. L’Angleterre fut le premier pays dans lequel on quitta le stade de l’expérimentation. En 1837, Cooke et Wheatstone mirent au point un télégraphe d’un fonctionnement encore complexe, mais cependant beaucoup plus simple et donc plus opérationnel que ce qui avait été proposé jusque-là. Mais - et c’est là un cas classique dans l’histoire des techniques - cette période de démarrage fut une période de flou et d’hésitation. Sur le plan technologique on tâtonnait encore, à la recherche de la meilleure solution. [3] Ces deux derniers réseaux appartiennent au monde de l’audiovisuel ; pour des raisons de place, ils ne seront pas traités - en tant que tels - dans cet article. [5] Mc Neil I. (edited by) An Encyclopaedia of the history of technology. Routledge 1990. [6] Beltran A. et Carré P.A. - La Fée et la Servante - Paris. Belin 1991. [7] Daumas M. - Histoire générale des techniques - Tome III. Paris 1968. PUF. [8] Griset P. - Les révolutions de la communication - Paris. Hachette 1991. [9] Dunsheath P. - A History of Electrical Power Engineering - MIT. Press, Cambridge MA - 1962, 368 pages. [10] Headrick D. R. - The Tentacles of Progress, Technology Transfer in the Age of Imperialism, 1850 - 1940, Oxford University Press, New-York, 1988, 405 pages. Au cours des années 1840/1850, un nouveau type uploads/Management/histoire-telecommunications.pdf

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  • Publié le Fev 11, 2022
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