Un modèle d’interprétation des rôles du contrôle budgétaire Nicolas Berland CRE
Un modèle d’interprétation des rôles du contrôle budgétaire Nicolas Berland CREFIGE - Paris Dauphine 7, Bd Richard Lenoir 75011 Paris nicolas.berland@wanadoo.fr Résumé : Le contrôle budgétaire est de plus en plus critiqué. En partant de ce constat, l’article s’interroge sur les conditions ayant permis le développement de cette technique en France à partir de 1930. Un modèle centré autour de trois variables est alors proposé pour mieux comprendre l’adéquation d’un outil de gestion à son contexte. Mots-clés : contrôle budgétaire, environnement, idéologie, management stratégique En 1994, presque toutes les entreprises préparaient un budget annuel. C’est du moins ce qui ressort d’une enquête non représentative1 menée pour le compte de KPMG et de l’Association Nationale des Directeurs Financiers et de Contrôle de Gestion (DFCG), auprès des directeurs financiers de 595 entreprises. 89% des entreprises se livraient, selon la même source, à une analyse des écarts “ entre budget et année précédente ” et 96% comparaient la performance réelle au budget. Le contrôle budgétaire semble être une pratique largement répandue parmi les entreprises. Le titre de cette enquête ne peut alors manquer de surprendre : “ Faut-il tuer le budget ? ”. Le journal L’Expansion [Collomp et Deschamps, 1994], reprenant cette étude, souhaite “ Arrêtez le supplice ! ”. D’autant plus surprenant que 90% des entreprises plébiscitent le budget, y compris dans des environnements “ en constant changement ”. Il y a là un véritable paradoxe, témoin d’un malaise entre la pratique actuelle du contrôle budgétaire et l’opinion que l’on peut en avoir. Selon Bouquin [1997], “ le budget est l’expression comptable et financière des plans d’action retenus pour que les objectifs visés et les moyens disponibles sur le court terme (l’année en général) convergent vers la réalisation des plans opérationnels ”. Le contrôle budgétaire intègre les budgets et compare “ l’état réel du système à son état prévu ” [Bouquin, 1997]. Notre propos étant de traiter du contrôle budgétaire, les remarques concernant les budgets s’appliqueront d’ailleurs au contrôle budgétaire. De nombreuses critiques ont été émises depuis longtemps sur les budgets. Elles 1 Sur 595 entreprises ayant répondu au questionnaire, 462 sont françaises, 10 sont italiennes, 99 sont anglaises ou néerlandaises et 24 allemandes. L’enquête a été menée par l’Institut Français d’Opinion Publique et d’étude de marchés [IFOP, 1994]. concernent, tout à la fois, la capacité à faire des prévisions justes et pertinentes, la possibilité de réaliser un contrôle objectif et équitable ou portent encore sur les conflits entre les rôles attribués au contrôle budgétaire. En effet, sert-il à coordonner les actions de l’entreprise, à évaluer une performance, à planifier ou tout cela à la fois [Barret et Fraser, 1977] ? Pyhrr [1973], avec le budget base zéro, montrait que les organisations avaient du mal à évoluer autrement qu’à la marge par rapport au budget antérieur. Ce dernier apparaît alors comme une contrainte plus qu’il ne permet à l’entreprise d’évoluer. Il fallait, selon lui, tout remettre à plat afin de repartir sur de nouvelles bases pour espérer briser la routine d’un processus de plus en plus bureaucratique. Nous pouvons supposer que les critiques qui sont adressées au contrôle budgétaire trouvent leurs sources dans une utilisation inadéquate. S’ils sont maniés sans précaution, les budgets génèrent des conflits et des tensions. Ils sont toutefois utiles mais les conditions liées à leur utilisation ont peut-être été perdues de vue. Au moment où le contrôle budgétaire apparaît, il existe sans doute des configurations économiques et sociales qui permettent le développement de cette nouvelle technique. Sur le moment, peu de praticiens y prennent garde et oublient progressivement que le contrôle budgétaire est un outil contingent. Son succès historique peut même laisser penser avec le temps qu’il s’agit d’une solution universelle. Afin de mieux comprendre les problèmes actuels du contrôle budgétaire, nous souhaitons exposer dans cet article les conditions qui ont permis son développement. Un modèle d’explication du développement du contrôle budgétaire est ainsi proposé. Plus précisément, les relations entre trois variables expliquant ce développement sont approfondies afin de montrer comment elles interagissent les unes avec les autres. 3 Pour comprendre les difficultés que rencontrent aujourd’hui les budgets, nous nous intéresserons dans une première partie à leur histoire et nous rendrons compte ainsi de notre terrain d’étude. Dans une seconde partie, nous mettrons en évidence les variables qui ont influencé le développement du contrôle budgétaire. Enfin, nous proposerons un modèle d’interprétation de son développement dans une troisième partie. Une étude longitudinale sur le contrôle budgétaire Cette étude s’appuie sur des études de cas historiques d’entreprises ayant développé précocement du contrôle budgétaire. Après avoir présenté les sources, nous résumerons rapidement l’évolution des budgets dans les quatre cas principaux. Les cas étudiés et les sources mobilisées2 Les entreprises retenues peuvent être classées en deux groupes. Quatre sociétés ont d’abord donné lieu à des études de cas principales, faisant appel aux archives de l’entreprise, aux interviews d’anciens cadres et aux informations publiques disponibles. L’information recueillie est très riche et a pu faire l’objet d’un traitement méticuleux s’appuyant sur de nombreuses sources contradictoires. Ces entreprises forment l’ossature de cette présentation. 2 Le lecteur soucieux d’accéder à l’état complet des sources pourra se reporter utilement à [1999]. Figure 1 : Les cas et les sources Archives d'entreprises Documents publics d'époque Interviews d'anciens cadres Cas CPA Travaux d'historiens Les Saint-Gobain quatre Pechiney cas EDF-GDF principaux Total-CFP Alsthom Electricité de Strasbourg Les PLM-SNCF cas de Le Printemps second rang Le Matériel Téléphonique Les Imprimeries Delmas Pour les études de cas secondaires, un accès aux archives n’a pas été possible. Ce sont des entreprises particulièrement citées dans la mise en place du contrôle budgétaire, et à ce titre, exemplaires. Elles ont été retenues pour la qualité et la variété des informations publiques disponibles. Les documents décrivant leurs expériences sont variés et précis. Néanmoins, ces cas n’ont pas les mêmes qualités que les cas principaux, même si leur authenticité reste sans doute importante. Le développement du budget dans les quatre cas principaux Donnons un aperçu général de la façon dont se développe le contrôle budgétaire dans les quatre cas principaux de l’étude. 5 Chez Pechiney, on parle de contrôle budgétaire dès 1933 dans le cadre d’une mission de consultants menée par l’américain Wallace Clark. La technique se développe durant les années trente dans les usines du groupe et semble limitée à un reporting, des usines vers le siège social, pour un certain nombre de coûts. Des prévisions sont établies, des contrôles a posteriori ont lieu, mais il n’y a pas de création de centres autonomes de responsabilité. Les contrôles a posteriori sont assez laxistes et n’entraînent pas de grandes conséquences pour les opérationnels. L’expérience est mise entre parenthèses durant la guerre. A partir de 1947, une seconde mission de consultants relance les applications du contrôle budgétaire, soutenus par ceux qui avaient vécus de près la première expérience. Le contrôle budgétaire est alors étendu à toutes les activités de l’entreprise. Un comité budgétaire est créé afin d’avaliser les prévisions des différents centres. A cette occasion, la structure de l’entreprise est profondément modifiée et des divisions sont créées. En 1951, on peut considérer que le système budgétaire est arrivé à maturité. Il a notamment permis à la direction générale de se dégager du temps en ne gérant plus que par exception les problèmes des opérationnels. Chez Saint-Gobain, la situation est plus complexe et le contrôle budgétaire a beaucoup de mal à s’affirmer. Les responsables de l’entreprise l’évoquent à plusieurs reprises durant les années trente mais sans qu’une ébauche soit réellement mise en place. Ainsi en 1933, Maurice Lacoin, un ingénieur-conseil, y fait référence. Il en est à nouveau question en 1938, mais la guerre étouffe toutes velléités de réformes. Pourtant, à plusieurs reprises, des dirigeants se plaignent des problèmes de gestion qu’ils rencontrent au quotidien et de la difficulté à connaître la situation exacte de l’entreprise. Les différentes tentatives se heurtent à des querelles internes. Il faut attendre 1941 et une autre mission de consultants, menée par Charles Héranger, pour qu’une sérieuse application soit envisagée. Celle-ci se révèle toutefois être un échec. La technique est abandonnée en 1946 car les cadres ne parviennent pas à la faire fonctionner, l’environnement étant jugé trop turbulent. Une nouvelle mission, menée par un troisième cabinet de consultants à partir de 1953-1954, permet de mettre définitivement en place le contrôle budgétaire. Le cabinet parvient à mobiliser de jeunes ingénieurs, notamment M. Milochevitch. L’apprentissage est toutefois assez lent et se poursuit encore en 1962. Saint-Gobain peine à trouver un système définitivement satisfaisant. Il faut également noter que le contrôle budgétaire s’est développé plus rapidement dans la branche chimie que dans celle du verre et de la Glace. A EDF, un embryon de contrôle budgétaire apparaît dès la nationalisation de 1946. Cela s’explique pour deux raisons. Tout d’abord, certaines des entreprises nationalisées semblaient déjà au fait de cette technique. De plus, des contraintes réglementaires s’exercent sur EDF l’obligeant à développer des budgets pour son administration de tutelle. A partir de 1949, les dirigeants de l’entreprise souhaitent mieux utiliser les budgets afin de contrôler les opérations internes uploads/Management/ un-modele-d-x27-interpretation-des-roles-du-controle-budgetaire.pdf
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- Publié le Nov 28, 2022
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