L'environnement urbain entre écologie et urbanisme par Myriam Armand-Fargues Ré
L'environnement urbain entre écologie et urbanisme par Myriam Armand-Fargues Résumé: Si les termes « écologie» et « urbanisme» sont pra- tiquement nés en même temps dans les années 1860, le lien eI}tre les deux ne fut établi que dans les années 20 par l'Ecole de Chicago. L'approche écologique de la ville est aujourd'hui à l'honneur mais l'écologie urbaine contempo- raine relève d'une vision plus naturaliste que sociologique. Le concept d'écosystème est censé libérer l'urbaniste d'une parcellisation héritée de l'urbanisme fonctionnel. Pour les scientifiques, c'est un moyen d'élaborer une conception dynamique de l'espace urbain et de surmonter la vision binaire des relations villes-campagnes. Le discours sur le « développement durable» postule une universalité du cadre de vie et l'existence de besoins universels; en privilé- giant les points de vue économique et technique, il mécon- naît les singularités sociétales. Il est urgent d'intégrer cette dimension dans la réflexion transdisciplinaire que suscite la ville de cette fin de xxe siècle. Mots-clés: Écosystème - Développement durable - Fonc- tionnalisme - Urbanisme - Cadre de vie. Pour le profane comme pour l'initié, l'environnement 1 est d'abord un terrain d'action. Comment atténuer telle ou telle pol- lution, comment éliminer ses déchets, comment embellir son cadre de vie? Aucune des sciences que l'on appelle à la rescousse 1. La définition la plus commune de l'environnement est celle d'un: « ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) susceptibles d'agir sur les organismes vivants et les activités humaines» (Dictionnaire Robert, 1979). Dérivé de l'américain, ce mot est synonyme de milieu, ce qui est conforme à la définition des géographes. C~tte définition est très probablement inspirée de l'écologie humaine de l'Ecole de Chicago par l'intégration de la dimension culturelle. C'est celle que nous retenons ici. 167 ne fournit seule la réponse. Voilà pourquoi les études sectorielles foisonnent. L'urbanisme pas plus que l'écologie ne peut pré- tendre disposer de modèles ou de concepts suffisants. Le problème vient de ce que la plupart des études d'environ- nement sont thématiques alors que, d'un côté leur objet, la ville, est constituée d'éléments interdépendants, et que, de l'autre, les disciplines mobilisées, écologie et urbanisme, invoquent la néces- sité d'une approche globale. Dans la production scientifique comme dans la gestion urbaine, cette approche intégrée fait ainsi figure d'idéal plutôt que de réalité, si bien que l'on peut s'interro- ger sur l'existence d'un objet scientifique commun. L'objectif de cet article est d'appréhender l'environnement urbain à partir de la pratique des gestionnaires de la ville confrontés au maintien de la qualité du cadre de vie urbain, transdisciplinaire dès que ceux-ci prennent en compte l'écologie dans une opération d'urbanisme, ou inversement. On se propose de mettre en évidence la proximité théorique des disciplines ainsi sollicitées, toutes deux récentes et tournées vers l'action, et d'y trouver une approche commune de la ville, adaptée à la gestion de l'environnement. L'histoire et l'exercice contemporain de l'éco- logie et de l'urbanisme présentent quelques similitudes, qu'il s'agisse d'une certaine dérive utopiste ou d'un travers techniciste. Néanmoins, certains concepts usuels de l'une et de l'autre préfi- gurent la transdisciplinarité. L'écologie et les sciences humaines p~uvent se féconder réciproquement: c'est l'enseignement de l'Ecole de Chicago, dont l'héritage peut aider à clarifier la notion courante mais jamais définie d'« écosystème urbain ». UNE TRANSDISCIPLINARITÉ NÉE DE LA PRATIQUE Le rapprochement entre écologie et urbanisme est dicté par la gestion urbaine, par la recherche de solutions à des questions concrètes d'environnement. Rencontre de l'écologie et de l'urbanisme dans la gestion urbaine En France, les grands dossiers d'environnement (gestion de la circulation, traitement des déchets, de l'air et de l'eau) relèvent traditionnellement de services spécifiques du Génie Urbain. C'est là que la référence à l'écologie urbaine est la plus fréquente. Dans d'autres pays, confrontés à des questions d'environnement sous la pression des responsables politiques et des citoyens, les ges- 168 tionnaires des villes (ingénieurs du génie civil et urbanistes) ont en premier adopté la démarche globalisante que préconisent les scientifiques. On peut citer à titre d'exemple l'application de la notion de « bassin» 2 à la gestion de la qualité de l'air de la métropole de Los Angeles et de sa région - South Coast Air Basin - (Nazemi, 1994). L'auteur souligne que le « bassin atmosphérique », établi sur la base d'un concept géographique et non politique, est devenu la référence pour les programmes de régulation. Face à l'inefficacité des politiques sectorielles locales des années 1970, cette approche a permis de réduire un certain nombre de pollu- tions à Los Angeles (plomb, ozone, CO notamment). L'analyse globale du problème sur l'ensemble du tassin suscita en effet la collaboration de divers niveaux de pouvoir: agences locales, ~utorité régionale (The South Air Quality Management Disctrict), Etat de Californie. C'est selon le même principe, quoique plus tardivement, que fut engagée la lutte contre la pollution atmo- sphérique dans la ville d'Athènes (Valantza E., 1994). Dans les deux cas, les comptes rendus des ingénieurs montrent que l'effi- cacité a reposé sur une vision globale des questions d'environne- ment dans l'aire métropolitaine et sur la coordination des poli- tiques d'aménagement du territoire. De ces deux exemples, on retiendra l'étroite association de questions habituellement traitées de manière indépendante et le rapprochement de divers spécia- listes: génie urbain (gestion des réseaux techniques), urbanisme et développement économique (Archer B., 1994) 3. 2. Le concept de bassin désigne en géographie physique l'écoulement de l'eau dans une unité topographique donnée, bassin fluvial ou hydrographique, bassin versant. La politique de gestion de l'eau en France a conduit à la créa- tion des Agences de Bassin pour appréhender la ressource, sa consommation et sa pollution à l'échelle de l'ensemble de l'unité naturelle concernée. Appli- qué à l'atmosphère qui entoure la ville ce concept donne des limites à une pol- lution atmosphérique diffuse, souvent qualifiée d'invisible bien que liée à la circulation automobile, en l'inscrivant dans une unité écologique dynamique où la source de la pollution est connue ainsi que sa concentration et son deve- nir puisqu'elle s'inscrit dans la dynamique atmosphérique du bassin. Avec la notion de bassin d'air, la ville acquiert une nouvelle dimension verticale. Elle prend en compte les mouvements de l'atmosphère, exutoire naturel des pol- luants gazeux. 3. Le génie urbain et l'urbanisme se sont en France progressivement disso- ciés depuis le début du siècle. Les urbanistes avaient abandonné les voies et réseaux divers ou VRD aux ingénieurs (c. Martinand, 1994). Selon l'auteur, les deux domaines sont en train d'être réarticulés au sein d'un urbanisme rénové ayant pour objectif une maîtrise spatiale, temporelle et sociale du système urbain. 169 En France, ces approches globales, qui font référence à l'écolo- gie et dépassent les logiques sectorielles, apparaissent aussi dans le cadre d'un urbanisme « rénové» promu par les autorités poli- tiques (Direction de l'Architecture et de l'Urbanisme, 1993). Cet urbanisme comprend le génie urbain et doit intégrer les données de l'écologie (Martinand C, 1993) 4. D'ores et déjà, l'eau et les transports font l'objet d'approches globales et intégrées: à l'échelle du bassin fluvial pour la gestion du cycle de l'eau urbain, à celle de l'agglomération pour les déplacements urbains et les localisations de l'emploi, de l'habitat, des équipements (Cambon S., 1993). L'expérience révèle que l'environnement ne peut faire l'objet d'un traitement séparé et que l'urbanisme, au sens d' « art de réguler les systèmes urbains» (Martinand, 1993), s'en trouve revi- vifié. La connaissance et la gestion des processus impliqués dans la conservation des ressources renouvelables que sont l'eau, l'air et l'espace au sein de la ville, redonne à l'urbanisme sa fonction originelle. L'inspiration progressiste du « développement durable» L'urbanisme, champ d'étude et d'action, est contemporain de la révolution industrielle et urbaine. C'est précisément pour en canaliser les excès qu'il s'est constitué. Il a pour objectif la recherche, non d'un aménagement rationnel dans l'absolu, mais du bien-être des hommes. C'est bien la même démarche qu'em- prunte l'écologie urbaine contemporaine. Les premières cités jar- dins ont été conçues par E. Howard, fondateur du culturalisme en urbanisme, pour loger les ouvriers de Londres (Choay E, 1988). E Choay a montré que la conception et l'organisation de l'espace habité sont sous-tendues par deux idéologies concur- rentes, le progressisme et le culturalismeS, qui imposent chacune 4. L'auteur définissant l'urbanisme comme «le mode de régulation des dif- férentes contradictions qui font évoluer le territoire urbain» considère qu'il est le lieu même de cette approche globale. Dans cette optique la connaissance écologique est intégrée à la gestion urbaine et à la régulation globale des sys- tèmes urbains. 5. Les doctrines et réalisations de l'urbanisme sont classées en deux cou- rants qui sont le culturalisme et le progressisme (F. Choay, 1965 et 1988). Nés l'un comme l'autre au XIXe siècle sur la base de la critique des grandes villes industrielles; ils se fondent sur deux modèles opposés. Le culturalisme, qui prône la perpétuation des traditions locales est minoritaire et représenté sur- tout par Camille Sitte (Vienne, 1889), L'art de bâtir les villes (Genève, 1902) et Ebenezer Howard, le père des cités jardins (To-morrow, 1898). Le progressisme diffuse «un modèle spatial lié à la uploads/Management/ environement-urban-pdf.pdf
Documents similaires










-
53
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 14, 2022
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.5720MB