Pratiques : linguistique, littérature, didactique Un genre du récit : le monolo

Pratiques : linguistique, littérature, didactique Un genre du récit : le monologue narratif au théâtre Bénédicte Le Clerc-Adam, Jean-Michel Adam Citer ce document / Cite this document : Le Clerc-Adam Bénédicte, Adam Jean-Michel. Un genre du récit : le monologue narratif au théâtre. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°59, 1988. Les genres du récit. pp. 51-71; doi : https://doi.org/10.3406/prati.1988.1490 https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1988_num_59_1_1490 Fichier pdf généré le 13/07/2018 PRATIQUES n° 59, Septembre 1988 UN GENRE DU RÉCIT: LE MONOLOGUE NARRATIF AU THÉÂTRE (L'exemple du théâtre classique) Bénédicte LE CLERC-ADAM et Jean-Michel ADAM Innombrables sont les récits du monde. C'est d'abord une variété prodigieuse de genres, eux- mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l'homme pour lui confier ses récits : le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l'image, fixe ou mobile, parle geste et par le mélange ordonné de toutes ces substances; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l'épopée, l'histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint (que l'on pense à la Sainte- Ursule de Carpaccio), le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. Roland Barthes Le présent article obéit à une double motivation : - Une motivation d'ordre didactique, tout d'abord. Lorsqu'il s'agit d'extraire un texte d'une oeuvre, le monologue narratif présente l'avantage de constituer une unité facilement identifiable et localisable dans une pièce de théâtre. Quand on se propose de procéder à des groupements de textes, l'adoption d'une problématique historique et rhétorique présente un intérêt certain. Dans cette optique, nous avons volontairement' choisi de parler ici principalement du monologue narratif classique chez Corneille, Racine et Molière. Dans notre esprit, la motivation institutionnelle et académique de l'épreuve orale de français au baccalauréat se double de la volonté — à quelque niveau d'enseignement que l'on se situe — de faire lire le théâtre classique en dépit des écarts culturels et linguistiques que l'on sait, mais de le faire lire autrement en prêtant une attention particulière à l'histoire d'une forme: le monologue narratif à un certain moment de son évolution. -*■ Une motivation d'ordre théorique, ensuite. Le développement des recherches narratologiques contemporaines nous amène — c'est le sens de ce numéro de Pratiques — à passer d'une forme textuelle (le récit) à ses sous-types en différenciant les genres du récit. Le monologue narratif au théâtre est un genre du récit au même titre que le récit de rêve, l'histoire drôle, le conte merveilleux, le récit policier et les formes citées par Barthes dans le texte donné en exergue. Le monologue narratif présente un autre intérêt pour la linguistique textuelle contemporaine : celui d'être une forme textuelle (narrative) insérée dans une autre (conversationnelle). C'est dire que nous avons affaire à une forme narrative en situation de dialogue et non pas isolée et d'apparence strictement monologique. 51 Cette double motivation nous incite à procéder en trois temps. Nous préciserons tout d'abord les rapports du théâtre et de la narration en rappelant à l'occasion quelques hypothèses utiles sur la structure du récit et surtout son mode d'insertion dans la conversation. Nous relirons ensuite attentivement les thèses de Jacques Schérer dans La dramaturgie classique en France. A la lumière de cette mise au point à la fois théorique et historique, nous examinerons, pour terminer, quelques exemples célèbres de monologues narratifs classiques. Cet article n'est que le premier volet d'une recherche plus vaste qui devra porter sur le rôle du récit dans d'autres périodes et formes esthétiques théâtrales. Notre seul excursus hors du corpus classique sera constitué ici par un extrait des Justes de Camus qui nous aidera à préciser quelques points théoriques importants. 1. - THEATRE ET NARRATION 1.1. le texte théâtral : genre narratif ou dramatique ? La pensée classique oppose, depuis l'Antiquité, la diégésis à la mimésis. Cette dernière étant entendue dans le sens platonicien de dialogue, c'est-à-dire moins d'imitation (sens communément retenu aujourd'hui) que de transcription ou de citation. Soit un couple récit VS dialogue ou mode narratif VS mode dramatique. Cette opposition est reprise par Gérard Genette, dans Nouveaux discours du récit (Seuil 1983), quand il déplore l'entreprise et le titre même d'un ouvrage de Thomas Pavel : Syntaxe narrative des tragédies de Corneille (Klincksieck 1976) et souligne: «la syntaxe d'une tragédie ne peut être que dramatique » (note de la page 13). On peut effectivement opposer le livre de Pavel à deux articles du numéro 41 de Pratiques (mars 1984) : « Pour une approche pragmatique du dialogue théâtral » (C. Kerbrat-Orecchioni) et «La conversation au théâtre» (A. Petitjean) ou encore au numéro 6 des Cahiers de linguistique française de l'Université de Genève « Discours théâtral et analyse conversationnelle » (A. Reboul et J. Moeschler, 1985). La simple confrontation des titres permet de situer le débat et de dégager deux tendances : l'analyse narrative (Pavel) et l'analyse de la conversation (Reboul- Moeschler) peuvent aborder, chacune à leur manière, le discours théâtral du classicisme français. Le fait qu'il s'agisse des grandes tragédies de Corneille dans le premier cas et de l'Ecole des maris et des Fourberies de Scapin dans l'autre ne change rien à l'affaire. On reconnaît derrière syntaxe narrative et analyse conversationnelle deux façons d'aborder le texte théâtral en privilégiant soit le mode narratif, soit le mode dramatique. Lorsque, à la fin de leur travail (pages 103-106 et 107-110), A. Reboul et J. Moeschler résument les deux pièces de Molière, ils procèdent, en fait, à la suppression des dialogues et à la restitution monologale d'une HISTOIRE. Il est vrai qu'une pièce de théâtre, à un certain niveau de description (celui du résumé précisément), est une HISTOIRE et Solomon Marcus peut écrire, justifiant ainsi, en quelque sorte, l'entreprise de Pavel : Une pièce de théâtre n'est pas seulement une structure dramatique [...], mais elle est aussi une structure narrative (donc un conte). De ce point de vue, on peut procéder à une segmentation en événements élémentaires et opérer ensuite une segmentation à un niveau plus abstrait où les segments sont obtenus par concaténation des événements élémentaires. 52 Georges Jean, de son côté, dans son ouvrage général sur le théâtre de la collection "Peuple et culture" au Seuil, rappelle la citation célèbre de Brecht: «La fable, c'est le cœur du spectacle» et il ajoute: Elle est constituée par la somme des événements dans lesquels les personnages sont impliqués, qu'ils le veuillent ou non. C'est l'histoire qu'on raconte pour le plaisir du spectateur. C'est la fiction grâce à laquelle la représentation se déroule dans le temps. Elle est présente même dans ces pièces d'aujourd'hui "où il ne se passe rien ". Car le spectateur de théâtre attend toujours qu'il se passe quelque chose. Cette attente pouvant d'ailleurs constituer toute la fable. De plus, la fable est le révélateur où se réfractent la société, l'histoire, les idéologies (1977 p. 116). Pour considérer une pièce de théâtre comme un RECIT, il faut donc passer du niveau des acteurs-personnages de la représentation théâtrale à celui de la pièce comme tout communiqué par un auteur (narrateur) absent à un public (lecteur). En abandonnant cette position typique d'une narratologie par trop générale et dégagée du texte proprement dit, nous poserons que le texte théâtral doit recevoir en priorité une description conversationnelle, attentive aux échanges de répliques qui constituent la forme même de la part verbale de la représentation. Considérant donc, en accord avec G. Genette, que le texte théâtral est constitué de répliques (1), nous centrerons notre attention sur les insertions de passages narratifs dans les échanges dialogaux. Ce sont de telles insertions que mentionnent, par exemple, des formules de ce genre: - «Au lieu de scènes, nous avons des récits» (préface de Cromwell). - « Une des règles du théâtre est de ne mettre en récit que les choses qui ne peuvent passer en action» (préface de Britannicus). On voit que l'opposition entre scènes-action-dialogue, d'une part, et narration, d'autre part, est théorisée par les écrivains eux-mêmes et développée par les critiques de l'époque classique comme romantique. Le texte théâtral comporte des zones textuelles jugées tellement hétérogènes (dialogue VS récit) que l'époque classique a jugé nécessaire d'en codifier les relations; ceci contre les débordements du théâtre d'avant la Fronde, il faut le souligner. Puisque le texte théâtral peut comporter des séquences narratives, il convient de se donner les moyens de décrire ces séquences monologales fet surtout leur mode d'insertion dans le texte conversationnel-dialogal. Pour une linguistique textuelle, l'étude du monologue narratif présente un double intérêt: permettre, d'une part, de poser très concrètement la question de l'insertion de séquences hétérogènes (2) du type: [conversation [ récit ] conversation ], permettre, d'autre part, de penser la nature profondément dialogales des échanges narratifs. Avec ce qu'on peut appeler un type de récit dans la conversation, il s'agit donc de souligner l'ouverture ou la co-construction du récit par le narrateur-récitant et son interlocuteur. (1) Auxquelles il convient, bien sûr, d'ajouter les didascalies très brèves dans lethéâtre classique, mais bien plus nombreuses et développées chez Hugo, par exemple, uploads/Litterature/ un-genre-du-recit-le-monologue-narratif-au-theatre-jean-michel-adam.pdf

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