Mercietbelété! Comme un écho errant, de Jean Meckert, JosephK., 192p., 16,50¤.

Mercietbelété! Comme un écho errant, de Jean Meckert, JosephK., 192p., 16,50¤. Abîme et autres contes inédits, de Jean Meckert, JosephK., 64p., 7,60 ¤. p r i è r e d ’ i n s é r e r Catherine Simon L ’art de «l’authentique», mot cher à Jean Meckert, est une machine de haute précision. Elle exige de saisir la réalité au vol,à lamanièredesbonsdessi- nateursdepresse.DansComme un écho errant, longtemps resté inédit et que publient les éditions JosephK., la mère de Jean Meckert, penchée sur sa feuille, peine à vouloir « former des bâtons» et peste contre l’orthographe, ce «monument de complication». «Mais pourquoi ne pas écrire comme on causait, puisque c’était finalement pour se faire comprendre?» Jean Meckert (1910-1995), figure origi- nale de la littérature française des années 1950, se reconnaissait une «facilité à utili- ser le langage parlé», voyant là un de ses «pointscommuns»avecJeanouJohnAmi- la,pseudonymessouslequelilsigna,dans lasecondepartiedesavied’écrivain,quel- ques-uns des bijoux de la «Série noire», parmi lesquels Pitié pour les rats(1964) ou Le Boucherdes Hurlus (1982). Roman tardif, Comme un écho errant est d’une autre nature. Y sont recyclés des écritsanciens,jamaispubliés,venusnour- rir «une forme nouvelle», selon le mot de Franck Lhomeau, dont la revue Temps noir accorde, dans son n o15 (1 er semestre 2012, 320p., 18¤), une large place à l’écri- vain. Comme un écho errant raconte l’his- toire d’un romancier devenu amnésique, qui tente de renouer les fils d’une mé- moiredétruite.C’estcequiestarrivé,pour de bon, à l’auteur: un jour de janvier1975, il est retrouvé inconscient sur un trottoir du 20 e arrondissement de Paris. A son réveil, à l’hôpital, il ne se rappelle de rien. A-t-il été «sauvagement agressé» par un commando de barbouzes, comme le laissent entendre certaines biographies? Les médecins décèlent des symptômes épileptoïdes. Cela n’empêchera pas Meckert d’écrire encore et encore. Dans Comme un écho errant, rédigé dix ans après«l’agression»,Meckertfaitsonauto- portrait, tout en rendant hommage à sa mère et à sa sœur, décédées au début des années 1980. Le narrateur amnésique accrédite l’idée qu’il a été victime d’une « exé- cution» politique, pour avoir dénoncé dans l’un de ses romans les essais nuclé- aires dans le Pacifique et le joug colonial, «immense proxénétisme» imposé au «gentil peuple tahitien». Vrai ou faux? Passerde la fictionà laréalité– et vicever- sa–estl’unedescaractéristiquesdecefor- midable styliste, dont le souffle populiste et la gouaille, froidement travaillée, accompagnentles humeurs du temps. Il faut lire ou relire Les Coups (Galli- mard, 1941, réédité en Folio), son premier roman, évoquant la France d’avant- guerre, à travers le périple de Félix, «un gars qui fait le manœuvre dans des petits ateliers mécaniques» et finit par battre sa femme.Commeilssesontaiméspourtant – écoutez: «(…) elle était silencieuse et attentive, avec des petits rires énervants. Onsecernait,onprofitaitdetout,lavies’ar- rêtait à trois pas, on était les uniques.» On aimeraittoutciter,deLaMarcheaucanon (Joëlle Losfeld, 2005) à La Tragédie de Lurs (Joëlle Losfeld, 2007), tant l’écriture est forte, admirable de mobilité et de préci- sion. Les éditions Joëlle Losfeld ont fait beaucoup, dès 2005, pour faire découvrir l’œuvre de cet «anar incrédule» encou- ragé par Raymond Queneau. Anticlérical, antimilitariste, Meckert n’a guère de ten- dresse pour la France rurale et la sacro- saintefamille,pasplusquepourlapresse- trop-pressée, ce «gros monstre pataud et écraseur». Prolifique, donc inégal, Meckert n’écri- vait pas, du moins au début, pour être publié. Dans des cahiers d’écolier où il recopiait ses brouillons ont longtemps dormi trois «contes». Ces nouvelles sont aujourd’hui publiées, grâce aux éditions JosephK., sous le titre Abîme et autres contes inédits. Nédansunefamillepauvre,longtemps abonnée au «chomlag», Meckert y re- trace, de manière à peine romancée, trois dramesdont il a été le témoin.La crise des années 1930 est là, croquée toute crue. Dans «Un meurtre», un représentant de commercefinit«partuerunhommepour trois cents balles», en lui faisant acheter une machine à écrire qu’il ne peut pas payer.«Unbonsamaritain»meten scène des soldats pendant la «drôle de guerre». Lechefdeposte,untypebourru,«avecun orage à l’intérieur qu’on devinait à sa voix rauque et son regard passé à l’alcool comme un vulgaire carreau», surprend son monde… et le lecteur. Dans «Abîme», on suit la lente chute d’un jeune chômeur – «Ça ne vient jamais d’un coup, la dé- bine» –, qui s’enfonce, se débat, à l’image dessans-emploietdeslicenciésdenosjeu- dis noirs d’aujourd’hui. Une gifle magis- trale.Uneécriturerevigorante,quiplonge ses mains dans le social, qui dit l’humain et sa douleur. Quel mec, ce Meckert!p JeanMeckert Lagouaille etlahargne Laparutiondedeuxinéditspermetderedécouvrircettefigurerebelle desannées1950,petitparigotdevenureporteretécrivain Jean Birnbaum 6 7 aEssais Serge Daney, le «ciné-fils» 8 aLe feuilleton Eric Chevillard étudie les sciences avec Camille Flammarion 5 aLittérature étrangère Herman Melville, une biographie classique D ès la semaine prochaine, votre supplément littéraire fera une cure de minceur pour se glisser dans Le Monde de l’été. Il vous proposera des conseils de lecture estivale (romans, polars, bandes des- sinées…) ainsi que deux séries en qua- tre épisodes. Dans la première, des écri- vains (à commencer par Martin Winc- kler) répondront à la question: quel chef-d’œuvre inconnu portez-vous aux nues? Dans la seconde, Roger-Pol Droit partira sur les traces des «philo- zoophes», c’est-à-dire des penseurs et de leurs animaux favoris (Aristote et ses bisons, Kant et ses moutons…). Mais la rentrée littéraire approche à grands pas. Le 23août, donc, vous retrouverez un «Monde des livres» bien remplumé, et son équipe en pleine forme, pour vous guider à tra- vers des centaines de nouveaux ouvra- ges, car les vendanges s’annoncent fructueuses. En attendant, que cet ultime numé- ro de l’année littéraire soit aussi l’occa- sion de vous remercier. Lorsque nous avons lancé la nouvelle formule du supplément, voilà bientôt un an, notre ambition était claire: démontrer qu’il n’y a pas d’un côté les textes et de l’autre la vie. Et donc envisager le livre non comme un objet à recenser mais comme un univers d’expériences quo- tidiennes: chacune et chacun a sa manière personnelle de se laisser conduire par un roman, de s’en remet- tre à une idée. Pour donner toute sa place à cette diversité, nous avons vou- lu multiplier les façons de faire rayon- ner les textes. En inventant des rubri- ques vouées à abattre les cloisons entre les genres, mais aussi en mêlant le regard des écrivains eux-mêmes à celui des critiques professionnels. Ce faisant, nous avions la ferme intention de bousculer nos habitudes. Au risque, nous en étions conscients, de bousculer un peu les vôtres. Or, semaine après semaine, au vu de vos courriers et de notre diffusion en kios- ques, nous avons constaté avec joie que vous aviez adopté cette formule. Une telle marque de fidélité renforce encore la confiance que nous avons dans les livres, cette même confiance qui nous lie à vous, chères lectrices, chers lecteurs.p 3 aTraversée Du bon usage du «je» 10 aRencontre Jaques Le Rider, distingué germaniste 2 …la «une», suite aEntretien Annie Le Brun : «Meckert est l’antidote de Céline» aEclairage L’exposition Meckert à la Bilipo aHistoire d’un livre Les impudiques Lettres à Nora, de James Joyce, enfin publiées en poche 4 aLittérature française Hélène Hoppenot, un bonheur de diariste Un formidable styliste, dont le souffle populiste, froidement travaillé, accompagne les humeurs du temps COLLECTION LAURENT MECKERT Cahier du « Monde » N˚ 20988 daté vendredi 13 juillet 2012 - Ne peut être vendu séparément «Lui, il était à peine plus grand, blond à l’œil bleu, la gouaille au coin des moustaches.Elle lui devaittout: le savoir lire-écrire, le sens de sa libertérévélée. Il lui avaitappris qu’elle n’avait pas à s’écraserdevant ses patrons, que le drapeau n’étaitque torchon médaillé, les hymnes nationaux des borborygmesde poivrots, et qu’il ne fallait pas se priver de crier: “Crois! Crois! Crois!” devant le pape et ses corbeaux. Probable qu’il ne lui lisait pas Proudhon ou Bakouninedans le texte, mais il l’emmenaitaux réunions des petits anars de Noisy-le-Sec. C’était là que leur quartettede noces et banquets s’installaitpour les répé- titions hebdo, dans un hangar fermé par des traversesde voie ferrée qui existait encore vers les années 30. Rien des crapulars sardoniques. Plutôtdes marrants, aux idées “avancées”.Et trois quarts de siècle plus tard les idées restaient tou- jours tellementavancées que le peloton n’avait jamais pu ramarrer l’échappée.» Comme un écho errant, page133 Extrait Prolifiqueettouche-à-tout Uneexposition,àParis,permetd’apprécierleparcoursetl’œuvre–indissociables–deJeanMeckert Propos recueillis par Julie Clarini Q uand Les Coups, pre- mier roman de Jean Meckert, a été réédité en 1993 par Jean-Jac- ques Pauvert, l’es- sayiste et poète Annie Le Brun en a donné une postface intitulée «Le côté pile du roman». Vingt ans plus tard, elle réaffirme la force de l’écriture de Meckert. Comment avez-vous découvert Jean Meckert? C’est Jean-Jacques Pauvert qui m’a un jour apporté Les Coups. Il avait découvert ce livre à sa paru- tion, cinquante ans plus tôt, en 1941. Il avait 16 ans et en avait été bouleversé, alors que, au cours de «cette année-là, coupée par un séjour dans une prison alle- mande», il n’allait pas moins lire L’Etranger et Le Mythe de Sisyphe, deCamus.Quandilavuquejepar- tageais l’étrange émotion qui res- taitlasienneàchaquelecturedece roman, il m’a dit: «Pourquoi ne pas le republier, avec un texte de vous?» J’ai tout de suite accepté, fascinée par le pouvoir de Jean Meckert de nous ame- ner immédiatement à la source de l’émotion et même de nous la faire vivre à l’état naissant. Pourquoi uploads/Litterature/ supplement-le-monde-des-livres-2012-07-13.pdf

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