T E X T E I N T É G R A L Amélie Nothomb Stupeur et Tremblements COLLÈGE/LP Cla

T E X T E I N T É G R A L Amélie Nothomb Stupeur et Tremblements COLLÈGE/LP Classiques & Contemporains & 4 Amélie Nothomb Stupeur et Tremblements Présentation, notes, questions et après-texte établis par JOSIANE GRINFAS professeur de lettres Classiques Contemporains & PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 STUPEUR ET TREMBLEMENTS Texte intégral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Après-texte POUR COMPRENDRE Étapes 1 à 7 (questions) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 GROUPEMENT DE TEXTES Écrire pour vivre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 INTERVIEW EXCLUSIVE Amélie Nothomb et Sylvie Testud répondent aux questions de Josiane Grinfas . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 INFORMATION / DOCUMENTATION Bibliographie, filmographie, visites, Internet . . . . . . . . . 171 Sommaire Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n’étais la supérieure de personne. On pourrait dire les choses autrement. J’étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques. Donc, dans la compagnie Yumimoto, j’étais aux ordres de tout le monde. Le 8 janvier 1990, l’ascenseur me cracha au dernier étage de l’immeuble Yumimoto. La fenêtre, au bout du hall, m’aspira comme l’eût fait le hublot brisé d’un avion. Loin, très loin, il y avait la ville – si loin que je doutais d’y avoir jamais mis les pieds. Je ne songeai même pas qu’il eût fallu me présenter à la récep- tion. En vérité, il n’y avait dans ma tête aucune pensée, rien que la fascination1 pour le vide, par la baie vitrée. Une voix rauque2 finit par prononcer mon nom, derrière moi. Je me retournai. Un homme d’une cinquantaine d’années, petit, maigre et laid, me regardait avec mécontentement. – Pourquoi n’avez-vous pas averti la réceptionniste de votre arrivée? me demanda-t-il. Stupeur et Tremblements 9 5 10 15 20 1. Attirance mêlée de peur. 2. Grave et éraillée. Je ne trouvai rien à répondre et ne répondis rien. J’inclinai la tête et les épaules, constatant qu’en une dizaine de minutes, sans avoir prononcé un seul mot, j’avais déjà produit une mau- vaise impression, le jour de mon entrée dans la compagnie Yumimoto. L’homme me dit qu’il s’appelait monsieur Saito. Il me conduisit à travers d’innombrables et immenses salles, dans les- quelles il me présenta à des hordes1 de gens, dont j’oubliais les noms au fur et à mesure qu’il les énonçait. Il m’introduisit ensuite dans le bureau où siégeait son supé- rieur, monsieur Omochi, qui était énorme et effrayant, ce qui prouvait qu’il était le vice-président2. Puis il me montra une porte et m’annonça d’un air solennel que, derrière elle, il y avait monsieur Haneda, le président. Il allait de soi qu’il ne fallait pas songer à le rencontrer. Enfin, il me guida jusqu’à une salle gigantesque dans laquelle travaillaient une quarantaine de personnes. Il me désigna ma place, qui était juste en face de celle de ma supérieure directe, mademoiselle Mori. Cette dernière était en réunion et me rejoindrait en début d’après-midi. Monsieur Saito me présenta brièvement à l’assemblée. Après quoi, il me demanda si j’aimais les défis. Il était clair que je n’avais pas le droit de répondre par la négative. – Oui, dis-je. Amélie Nothomb 10 25 30 35 40 45 1. Troupes nombreuses, impressionnantes. 2. Président adjoint. Ce fut le premier mot que je prononçai dans la compagnie. Jusque-là, je m’étais contentée d’incliner la tête. Le «défi» que me proposa monsieur Saito consistait à accep- ter l’invitation d’un certain Adam Johnson à jouer au golf avec lui, le dimanche suivant. Il fallait que j’écrive une lettre en anglais à ce monsieur pour le lui signifier. – Qui est Adam Johnson? eus-je la sottise de demander. Mon supérieur soupira avec exaspération1 et ne répondit pas. Était-il aberrant2 d’ignorer qui était monsieur Johnson, ou alors ma question était-elle indiscrète? Je ne le sus jamais – et ne sus jamais qui était Adam Johnson. L’exercice me parut facile. Je m’assis et écrivis une lettre cor- diale : monsieur Saito se réjouissait à l’idée de jouer au golf le dimanche suivant avec monsieur Johnson et lui envoyait ses amitiés. Je l’apportai à mon supérieur. Monsieur Saito lut mon travail, poussa un petit cri mépri- sant et le déchira : – Recommencez. Je pensai que j’avais été trop aimable ou familière avec Adam Johnson et je rédigeai un texte froid et distant : monsieur Saito prenait acte de la décision de monsieur Johnson et conformé- ment à ses volontés jouerait au golf avec lui. Mon supérieur lut mon travail, poussa un petit cri mépri- sant et le déchira : Stupeur et Tremblements 11 50 55 60 65 70 1. Énervement, irritation. 2. Étranger à toute logique. – Recommencez. J’eus envie de demander où était mon erreur, mais il était clair que mon chef ne tolérait pas les questions, comme l’avait prouvé sa réaction à mon investigation1 au sujet du destina- taire. Il fallait donc que je trouve par moi-même quel langage tenir au mystérieux Adam Johnson. Je passai les heures qui suivirent à rédiger des missives à ce joueur de golf. Monsieur Saito rythmait ma production en la déchirant, sans autre commentaire que ce cri qui devait être un refrain. Il me fallait à chaque fois inventer une formulation nouvelle. Il y avait à cet exercice un côté : «Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour» qui ne manquait pas de sel. J’explorais des catégories grammaticales en mutation : «Et si Adam Johnson devenait le verbe, dimanche prochain le sujet, jouer au golf le complément d’objet et monsieur Saito l’ad- verbe? Dimanche prochain accepte avec joie de venir Adamjohnsoner un jouer au golf monsieurSaitoment. Et pan dans l’œil d’Aristote!2» Je commençais à m’amuser quand mon supérieur m’inter- rompit. Il déchira la énième lettre sans même la lire et me dit que mademoiselle Mori était arrivée. – Vous travaillerez avec elle cet après-midi. Entre-temps, allez me chercher un café. Amélie Nothomb 12 75 80 85 90 95 1. Enquête. 2. Philosophe grec (384-322 av. J.-C.), élève de l’académie de Platon qui a enseigné la rhétorique (art de bien écrire et de bien dire les discours), donc la grammaire. Il était déjà quatorze heures. Mes gammes1 épistolaires m’avaient tant absorbée que je n’avais pas songé à faire la moindre pause. Je posai la tasse sur le bureau de monsieur Saito et me retournai. Une fille haute et longue comme un arc marcha vers moi. Toujours, quand je repense à Fubuki, je revois l’arc nippon, plus grand qu’un homme. C’est pourquoi j’ai baptisé la com- pagnie «Yumimoto», c’est-à-dire «les choses de l’arc». Et quand je vois un arc, toujours, je repense à Fubuki, plus grande qu’un homme. – Mademoiselle Mori? – Appelez-moi Fubuki. Je n’écoutais plus ce qu’elle me disait. Mademoiselle Mori mesurait au moins un mètre quatre-vingts, taille que peu Stupeur et Tremblements 13 100 105 110 1. Mes exercices d’écri- ture de lettres. BIEN LIRE • Page 9, l. 11 : Quelle valeur attribuer au verbe «cracha»? • Page 10, l. 24 à 28 : Quel est le premier sentiment du narrateur? • Page 11, l. 48 : Quel est le genre du personnage? l. 52-53 : Pour quelle fonction a-t-il été embauché? • Page 13, l. 103 : «C’est pourquoi j’ai baptisé la compagnie «Yumimoto», c’est-à-dire «les choses de l’arc»» : est-ce une intervention de l’auteur? l. 105 : Quel verbe montre que le regard de la narratrice est rétrospectif? POUR COMPRENDRE Étape 1 L'art du récit : le récit d'une aliénation...... 144 Étape 2 Le récit à la première personne : un « moi » dans tous ses états .......................................146 Étape 3 Les personnages : comment peut-on être japonais ? ........................................................................................148 Étape 4 L'explication et l'argumentation : l'empire des mots ..........................................................................150 Étape 5 Les tons du récit : les ravages de l'humour..............................................................................................152 Étape 6 Le travail du style : exister par l'écriture.....154 Étape 7 Du roman au film : la question de l'adaptation d'un roman au cinéma ................156 GROUPEMENT DE TEXTES Écrire pour vivre........................................................................................................................... 158 INTERVIEW EXCLUSIVE Amélie Nothomb et Sylvie Testud répondent aux questions de Josiane Grinfas........................................................................ 167 INFORMATION/DOCUMENTATION Bibliographie, filmographie, visites, uploads/Litterature/ stupeur-de-tremblements.pdf

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