Le modèle philologique dans la perspective actionnelle du français langue étran
Le modèle philologique dans la perspective actionnelle du français langue étrangère Synergies Europe n° 14 - 2019 p. 63-76 63 Reçu le 12-06-2019 / Évalué le 27-07-2019 / Accepté le 30-09-2019 Résumé Le modèle philologique, selon lequel la littérature joue un rôle primordial dans l’accès à la culture et la connaissance de l’homme, est aujourd’hui en crise, car la littérature, concurrencée par l’image et la science, semble avoir perdu toute ambition de s’interroger sur l’homme et sa condition. Cette crise atteint également l’enseignement du français langue étrangère qui n’attribue au texte littéraire qu’un rôle fonctionnel. Avec la perspective actionnelle de l’enseignement du français langue étrangère, le texte littéraire est cependant à nouveau abordé pour ses spéci fités, ce qui semble augurer d’un retour au modèle philologique. Mots-clés : français langue étrangère, littérature, perspective actionnelle, philologie The philological model in action-oriented approach of French as a foreign language Abstract Philological model, whereby literature plays a primordial role to access culture and knowledge of the humanity, is nowadays in crisis, because literature is in competing with image and science and literature itself seems to have lost all ambition of understanding human being and his condition. French as a foreign language teaching, which assigns the literary text only a functional role, is also affected by this crisis. However, the action-oriented approach in French as a foreign language teaching deals with the literary text again taking un account its specificities, which seems to augur a return to the philological model. Keywords: action-oriented approach, French as a foreign language, literature, philology Introduction Étude des textes anciens au sens étroit du terme, la philologie désigne aujourd’hui, dans une plus large acception, à la fois l’étude du texte littéraire et la place privi légiée qu’on lui attribue dans l’accès à la culture et à la connaissance de l’homme. François Schmitt Université Matej Bel de Banská Bystrica, Slovaquie francois.schmitt@umb.sk GERFLINT ISSN 1951-6088 ISSN en ligne 2260-653X Synergies Europe n° 14 - 2019 p. 63-76 Ainsi défini, et c’est à ce sens du mot philologie que nous nous référerons dans cet article, le terme ne désigne pas seulement l’ensemble des disciplines littéraires. Il implique aussi un rapport privilégié au texte littéraire considéré comme supérieur aux autres types de texte. Nous appelerons modèle philologique cette relation privilégiée du lecteur, du chercheur et du didacticien avec le texte littéraire. Dans tous les lieux de transmission de la culture, les médias, l’école et même l’université, le modèle philologique est aujourd’hui en crise. Ce phénomène touche particulièrement les sciences humaines. Cette crise du modèle philologique semble notamment concerner le français langue étrangère, discipline hybride à la marge du monde des lettres, entre tradition littéraire, linguistique appliquée et anthropo logie culturelle. La perspective actionnelle, approche méthodologique privilégiée actuellement qui se pose, entre autres objectifs, de sortir, physiquement ou au moins symboliquement, l’enseignement des langues étrangères hors de la classe en mettant au premier plan la pratique sociale de la langue, semble, à première vue, renforcer le fonctionnalisme de l’enseignement des langues et de ce fait, éloigner encore davantage le français langue étrangère du modèle philologique, au point qu’on soit en droit de se demander si le français langue étrangère a définitivement abandonné le modèle philologique au profit d’approches uniquement fonction nelles. Même si elle n’y occupe qu’une place de second plan, la littérature n’a certes pas disparu de l’enseignement du français langue étrangère et une obser vation munitieuse des manuels de français récents, en particulier de ceux qui se réclament de la perspective actionnelle, témoigne même d’un regain d’intérêt pour la littérature. Dans le présent article, nous ne nous intéresserons cependant pas à la place de la littérature dans l’enseignement du français langue étrangère du point de vue quantitatif, mais à la manière dont le texte littéraire est abordé, autrement dit, à la démarche envisagée. Pour ce faire, après avoir proposé une définition du modèle philologique dans la lignée de Compagnon et de Todorov et évoqué les caractéristiques majeures de la crise de ce modèle, nous ferons le point sur les principales approches proposées actuellement en français langue étrangère pour aborder le texte littéraire en appuyant notre propos sur des exemples tirés de manuels de langue générale récents (Écho B1, Latitudes 3 et Texto 3) proposant un nombre relativement élevé de textes littéraires. Nous restreindrons notre analyse au niveau 3, correspondant au niveau seuil (B1-B2 du Cadre européen commun de référence pour les langues) dans l’hypothèse que des manuels s’adressant à des apprenants ayant un niveau relativement élevé de maîtrise de la langue ne limitent pas le texte littéraire à sa seule fonction d’appui langagier. 64 Le modèle philologique dans la perspective actionnelle du français langue étrangère 1.De la suprématie de la littérature à la crise du modèle philologique 1.1. La culture c’est la littérature Le modèle philologique consiste à attribuer à la littérature la position suprême dans l’accès à la culture et à la compréhension de l’homme. Dans cette optique, selon Victor Hugo dans son discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878, « la civilisation, c’est la littérature ». Ainsi, pour Proust, Calvino et Barthes, la vraie vie, c’est la littérature (Gyimesi). La conception de la littérature comme connaissance du monde relève de deux traditions, un temps opposées, mais qui ont fini par se rejoindre. La première, la tradition théorie-rhétorique, propose une vision synchronique de la création artistique et considère la littérature comme une, éternelle et universelle. Selon une conception édificatrice de la litté rature, on peut alors tirer des règles et des lois des œuvres quelle que soit leur époque. Au contraire, la tradition histoire-philologie est diachronique et accorde une importance déterminante au contexte de création : auteur, lieu, époque, public (Compagnon, 2007 : 18-19). Finalement, quelles que soient les traditions et les approches, décontextualisée ou contextualisée, la littérature, expérience et témoignage d’un autre que soi, est là pour nous apprendre quelque chose sur l’homme. C’est le fondement même du modèle philologique : la « mathésis » de Roland Barthes, selon laquelle la littérature, qui passe par l’écriture et le style, délivre un savoir différent de celui des sciences (Gyimesi). C’est ce qu’écrivait déjà Émile Zola dans Le Roman expérimental : « La vérité est que les chefs-d’œuvre du roman contemporain en disent beaucoup plus long sur l’homme et sur la nature, que de graves ouvrages de philosophie, d’histoire et de critique » (Compagnon, 2007 : 34). A la vertu édificatrice de la littérature, Roland Barthes ajoute le pouvoir libérateur de la littérature : dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 1977, il a montré comment la littérature, parce qu’elle triche avec la langue, restait un espace autonome de liberté, alors que le pouvoir se glisse partout, y compris dans la langue (Gyimesi). Selon Besse (1992 : 155-160), c’est dans l’enseignement du latin que le texte littéraire s’est imposé pour compenser le déficit de maîtrise de la langue par l’enseignant. Le texte littéraire est alors abordé par l’explication de texte introduite par l’abbé Batteux au 18e siècle pour remplacer les exercices d’imitation des textes anciens. Pour assurer sa légitimité face aux disciplines plus nobles comme le latin et le grec, l’enseignement des langues vivantes accorde à son tour une place prépondérante au texte littéraire et à l’explication de texte. 65 Synergies Europe n° 14 - 2019 p. 63-76 1.2. La crise du modèle philologique 1.2.1. La concurrence de l’image A la fin du 20e siècle, le modèle philologique d’unité entre langue, littérature et culture, concurrencé par d’autres modèles, vole en éclat. Il subit d’abord de plein fouet la domination massive de l’image, fixe et mobile, qui s’impose comme représentation culturelle et qui, de surcroît, est considérée comme recevable (Compagnon, 2007 : 29-30). Conséquence de cette montée en puissance de l’image selon Maingueneau (2006) : la perte de statut de l’imprimé. Ce n’est pas la littérature qui est menacée, mais son statut particulier, c’est-à-dire le modèle philologique de la culture tel que nous l’avons défini. 1.2.2. La concurrence des sciences Concurrence plus ancienne au modèle philologique, le modèle scientifique semble également s’imposer. Si la progression du modèle scientifique remonte à l’âge classique, l’antagonisme entre les modèles philologique et scientifique est particulièrement marqué en France dans l’opposition entre études classiques et modernes depuis la réforme scolaire de 1902. Ceci a pour conséquence une lente victoire de « la République des sciences » sur « la République des lettres », comme le prévoyait en ces termes le philosophe Bonald dès le milieu du 19e siècle, affectant d’abord les langues anciennes et la culture classique pour toucher aujourd’hui la culture moderne et la langue française (ibid. : 36-38). 1.2.3. Crise du modèle philologique à l’école Malgré une production littéraire très élevée aujourd’hui, la place de la litté rature, affectée par la montée en flèche du texte documentaire et surtout accusée d’accroître les inégalités scolaires par son élitisme et de ne pas répondre aux besoins du marché du travail, connaît un net recule à l’école (ibid. : 29-31). Mais la crise du modèle philologique à l’école touche aussi la conception même du texte littéraire. uploads/Litterature/ schmitt 1 .pdf
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- Publié le Apv 02, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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