Michel Foucault « Il faut défendre la société » Cours au Collège de France (197

Michel Foucault « Il faut défendre la société » Cours au Collège de France (1975-1976) Édition établie, dans le cadre de l’Association pour le Centre Michel Foucault, sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana, par Mauro Bertani et Alessandro Fontana Édition numérique réalisée en août 2012 AVERTISSEMENT Ce volume inaugure l’édition des cours de Michel Foucault au Collège de France. * Michel Foucault a enseigné au Collège de France de janvier 1971 à sa mort en juin 1984 – à l’exception de l’année 1977 où il a pu bénéficier d’une année sabbatique. Le titre de sa chaire était : Histoire des systèmes de pensée. Elle fut créée le 30 novembre 1969, sur proposition de Jules Vuillemin, par l’assemblée générale des professeurs du Collège de France en remplacement de la chaire d’Histoire de la pensée philosophique, tenue jusqu’à sa mort par Jean Hippolyte. La même assemblée élut Michel Foucault, le 12 avril 1970, comme titulaire de la nouvelle chaire[1]. Il avait 43 ans. Michel Foucault en prononça la leçon inaugurale le 2 décembre 1970[2]. L’enseignement au Collège de France obéit à des règles particulières. Les professeurs ont l’obligation de délivrer 26 heures d’enseignement par an (la moitié au maximum pouvant être dispensée sous forme de séminaires[3]). Ils doivent exposer chaque année une recherche originale, les contraignant à renouveler chaque fois le contenu de leur enseignement. L’assistance aux cours et aux séminaires est entièrement libre ; elle ne requiert ni inscription ni diplôme. Et le professeur n’en délivre aucun[4]. Dans le vocabulaire du Collège de France, on dit que les professeurs n’ont pas d’étudiants mais des auditeurs. Les cours de Michel Foucault se tenaient chaque mercredi de début janvier à fin mars. L’assistance, très nombreuse, composée d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs, de curieux, dont beaucoup d’étrangers, mobilisait deux amphithéâtres du Collège de France. Michel Foucault s’est souvent plaint de la distance qu’il pouvait y avoir entre lui et son « public », et du peu d’échange que rendait possible la forme du cours[5]. Il rêvait d’un séminaire qui fût le lieu d’un vrai travail collectif. Il en fit différentes tentatives. Les dernières années, à l’issue du cours, il consacrait un long moment à répondre aux questions des auditeurs. Voici comment, en 1975, un journaliste du Nouvel Observateur, Gérard Petitjean, pouvait en retranscrire l’atmosphère : « Quand Foucault entre dans l’arène, rapide, fonceur, comme quelqu’un qui se jette à l’eau, il enjambe des corps pour atteindre sa chaise, repousse les magnétophones pour poser ses papiers, retire sa veste, allume une lampe et démarre, à cent à l’heure. Voix forte, efficace, relayée par des haut-parleurs, seule concession au modernisme d’une salle à peine éclairée par une lumière qui s’élève de vasques en stuc. Il y a trois cents places et cinq cents personnes agglutinées, bouchant le moindre espace libre […] Aucun effet oratoire. C’est limpide et terriblement efficace. Pas la moindre concession à l’improvisation. Foucault a douze heures par an pour expliquer, en cours public, le sens de sa recherche pendant l’année qui vient de s’écouler. Alors, il serre au maximum et remplit les marges comme ces correspondants qui ont encore trop à dire lorsqu’ils sont arrivés au bout de leur feuille. 19 h 15. Foucault s’arrête. Les étudiants se précipitent vers son bureau. Pas pour lui parler, mais pour stopper les magnétophones. Pas de questions. Dans la cohue, Foucault est seul. » Et Foucault de commenter : « Il faudrait pouvoir discuter ce que j’ai proposé. Quelquefois, lorsque le cours n’a pas été bon, il faudrait peu de chose, une question, pour tout remettre en place. Mais cette question ne vient jamais. En France, l’effet de groupe rend toute discussion réelle impossible. Et comme il n’y a pas de canal de retour, le cours se théâtralise. J’ai un rapport d’acteur ou d’acrobate avec les gens qui sont là. Et lorsque j’ai fini de parler, une sensation de solitude totale[6]… » Michel Foucault abordait son enseignement comme un chercheur : explorations pour un livre à venir, défrichement aussi de champs de problématisation, qui se formulaient plutôt comme une invitation lancée à d’éventuels chercheurs. C’est ainsi que les cours au Collège de France ne redoublent pas les livres publiés. Ils n’en sont pas l’ébauche, même si des thèmes peuvent être communs entre livres et cours. Ils ont leur propre statut. Ils relèvent d’un régime discursif spécifique dans l’ensemble des « actes philosophiques » effectués par Michel Foucault. Il y déploie tout particulièrement le programme d’une généalogie des rapports savoir / pouvoir en fonction duquel, à partir du début des années 1970, il réfléchira son travail – en opposition avec celui d’une archéologie des formations discursives qui l’avait jusqu’alors dominé. Les cours avaient aussi une fonction dans l’actualité. L’auditeur qui venait les suivre n’était pas seulement captivé par le récit qui se construisait semaine après semaine ; il n’était pas seulement séduit par la rigueur de l’exposition ; il y trouvait aussi un éclairage de l’actualité. L’art de Michel Foucault était de diagonaliser l’actualité par l’histoire. Il pouvait parler de Nietzsche ou d’Aristote, de l’expertise psychiatrique au XIXe siècle ou de la pastorale chrétienne, l’auditeur en tirait toujours une lumière sur le présent et les événements dont il était contemporain. La puissance propre de Michel Foucault dans ses cours tenait à ce subtil croisement entre une érudition savante, un engagement personnel et un travail sur l’événement. * Les années soixante-dix ayant vu le développement, et le perfectionnement, des magnétophones à cassettes, le bureau de Michel Foucault en fut vite envahi. Les cours (et certains séminaires) ont ainsi été conservés. Cette édition prend comme référence la parole prononcée publiquement par Michel Foucault. Elle en donne la transcription la plus littérale possible[7]. Nous aurions souhaité pouvoir la livrer telle quelle. Mais le passage de l’oral à l’écrit impose une intervention de l’éditeur : il faut, au minimum, introduire une ponctuation et découper des paragraphes. Le principe a toujours été de rester le plus près possible du cours effectivement prononcé. Lorsque cela paraissait indispensable, les reprises et les répétitions ont été supprimées ; les phrases interrompues ont été rétablies et les constructions incorrectes rectifiées. Les points de suspension signalent que l’enregistrement est inaudible. Quand la phrase est obscure, figure, entre crochets, une intégration conjecturale ou un ajout. Un astérisque en bas de page indique les variantes significatives des notes utilisées par Michel Foucault par rapport à ce qui a été prononcé. Les citations ont été vérifiées et les références des textes utilisés indiquées. L’appareil critique se limite à élucider les points obscurs, à expliciter certaines allusions et à préciser les points critiques. Pour faciliter la lecture, chaque leçon a été précédée d’un bref sommaire qui en indique les principales articulations. Le texte du cours est suivi du résumé publié dans l’Annuaire du Collège de France. Michel Foucault le rédigeait généralement au mois de juin, quelque temps donc après la fin du cours. C’était, pour lui, l’occasion d’en dégager, rétrospectivement, l’intention et les objectifs. Il en constitue la meilleure présentation. Chaque volume s’achève sur une « situation » dont l’éditeur du cours garde la responsabilité : il s’agit de donner au lecteur des éléments de contexte d’ordre biographique, idéologique et politique, replaçant le cours dans l’œuvre publiée et donnant des indications concernant sa place au sein du corpus utilisé, afin d’en faciliter l’intelligence et d’éviter les contresens qui pourraient être dus à l’oubli des circonstances dans lesquelles chacun des cours a été élaboré et prononcé. * Avec cette édition des cours au Collège de France, c’est un nouveau pan de « l’œuvre » de Michel Foucault qui se trouve publié. Il ne s’agit pas, au sens propre, d’inédits puisque cette édition reproduit la parole proférée publiquement par Michel Foucault, à l’exclusion du support écrit qu’il utilisait et qui pouvait être très élaboré. Daniel Defert, qui possède les notes de Michel Foucault, a permis aux éditeurs de les consulter. Qu’il en soit vivement remercié. Cette édition des cours au Collège de France a été autorisée par les héritiers de Michel Foucault, qui ont souhaité pouvoir satisfaire la très forte demande dont ils faisaient l’objet, en France comme à l’étranger. Et cela dans d’incontestables conditions de sérieux. Les éditeurs ont cherché à être à la hauteur de la confiance qu’ils leur ont portée. FRANÇOIS EWALD et ALESSANDRO FONTANA COURS DU 7 JANVIER 1976 Qu’est-ce qu’un cours ? – Les savoirs assujettis. – Le savoir historique des luttes, les généalogies et le discours scientifique. – Le pouvoir, enjeu des généalogies. – Conception juridique et économique du pouvoir. – Le pouvoir comme répression et comme guerre. – Retournement de l’aphorisme de Clausewitz. Je voudrais que soit un petit peu clair ce qui se passe ici, dans ces cours. Vous savez que l’institution où vous êtes, et où je suis, n’est pas exactement une institution d’enseignement. Enfin, quelle qu’ait été la signification qu’on a voulu lui donner quand elle a été créée il y a longtemps, actuellement le Collège de France fonctionne essentiellement comme une sorte d’organisme de recherche : on est payé pour uploads/Litterature/ michel-foucault-il-faut-defendre-la-societe-cours-au-college-de-france-1975-1976.pdf

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