DU MÊME AUTEUR Les Saisons de la nuit, Belfond, 1998, rééd., 2007 ; 10/18, 2000
DU MÊME AUTEUR Les Saisons de la nuit, Belfond, 1998, rééd., 2007 ; 10/18, 2000 La Rivière de l’exil, Belfond, 1999, rééd., 2007 ; 10/18, 2001 Ailleurs, en ce pays, Belfond, 2001, rééd., 2007 ; 10/18, 2003 Danseur, Belfond, 2003 ; 10/18, 2005 Le Chant du coyote, Belfond, 2007 ; 10/18, 1998 Zoli, Belfond, 2007 ; 10/18, 2008 Et que le vaste monde poursuive sa course folle, Belfond, 2009 ; 10/18, 2010 Transatlantic, Belfond, 2013 Treize façons de voir, Belfond, 2016 ; 10/18, 2017 Vous pouvez consulter le site de l’auteur à l’adresse suivante : www.colummccann.com COLUM MCCANN LETTRES À UN JEUNE AUTEUR Traduites de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre Pour Jennifer Raab, Sarah Chalfant, Alexandra Pringle et Jennifer Hershey. Et pour tous les jeunes écrivains que vous avez mis au monde. Introduction Inexprimables bonheurs « PERSONNE NE PEUT VOUS APPORTER CONSEIL OU AIDE, personne, disait Rilke dans les Lettres à un jeune poète 1, il y a plus d’un siècle. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même. » Rilke avait, bien sûr, raison. La seule aide vient de soi-même. Une seule chose compte en définitive : le mot qu’on jette sur la page, puis le suivant, et encore le suivant. Cependant Rilke répondait aux sollicitations d’un jeune homme, Franz Xaver Kappus, à qui il écrivit dix fois dans une période de six ans. Il lui fit part de ses opinions en matière de religion, d’amour, de féminisme, de sexualité, d’art, de solitude, de patience. Des opinions qui, puisant à la source de sa vie, n’étaient peut-être pas sans influencer sa poésie. « Ceci surtout, insistait-il, demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : “Suis-je vraiment contraint d’écrire ?” » Quiconque a jamais éprouvé le besoin d’écrire connaît ces heures-là. Au cours de ma vie d’écrivain et d’enseignant, j’ai rencontré bien des Franz Kappus – et je connais certainement le silence. Je commence chaque année mes cours de littérature au Hunter College en déclarant à mes étudiants de maîtrise que je serai incapable de leur enseigner quoi que ce soit. Ce qui ne manque pas d’étonner les douze femmes et hommes qui ont décidé de se consacrer à cet art revêche et retors. Choisis parmi un contingent de plusieurs centaines de candidats, ils comptent parmi les jeunes talents les plus brillants d’Amérique : six en première année et six autres en deuxième. Il ne s’agit pas, pour moi, de les décourager ; c’est même, je l’espère, tout l’inverse. « Je ne peux rien vous enseigner. Maintenant que vous le savez, à vous d’apprendre. » En fait, je les guide vers le feu en souhaitant qu’ils repèrent les endroits où, de toute évidence, ils se brûleront. Je leur expose le principe en souhaitant également qu’ils parviennent à maîtriser l’incendie et à le transmettre. Un mur en flammes : situation idéale pour de jeunes écrivain-e-s qui n’ont que leur énergie, leur désir et leur persévérance pour les propulser de l’autre côté. Et ils passent : certains creusent par-dessous, certains escaladent, certains y vont même au bulldozer. Sans mon aide, mais, comme le suggère Rilke, en entrant à l’intérieur d’eux-mêmes. J’enseigne maintenant depuis presque vingt ans. Ce qui représente beaucoup de craie blanche et beaucoup d’encre rouge. Cela n’a pas été un bonheur constant, mais j’y ai pris du plaisir et c’est une expérience que je n’échangerais pour rien au monde. Un de mes étudiants s’est vu décerner le National Book Award. Un autre le Booker Prize. Il y a eu des bourses Guggenheim, des prix Pushcart, des mentorats, des amitiés. Mais, soyons franc, de l’épuisement et du découragement aussi. Des pleurs, des grincements de dents. Des portes claquées et des débâcles. Des regrets. En réalité, je joue seulement les faire-valoir. La pratique et les années ne confèrent aucune sorte de supériorité. Un étudiant – dès le début – en saura peut-être bien plus que moi. Il me reste toutefois l’espoir d’affirmer une ou deux choses, pendant les deux semestres, qui les fera avancer plus vite et leur épargnera des déconvenues. Sans exception, tous ces étudiants se proposent, selon l’expression de Rilke, d’écrire « d’inexprimables bonheurs ». Inexprimables, en effet. Voilà leur mission. Accepter la difficulté. Comprendre que réussir demande du temps, de la patience, de la ténacité. Il y a quelque temps, TheStoryPrize.org m’a demandé de rédiger un court texte sur la vie d’écrivain. J’ai résumé plusieurs de mes idées phares, leur ai instillé un semblant de conviction et j’ai pioché quelques réflexions dans l’écume de mes jours d’enseignant. Cette « Lettre à un jeune auteur » constitue le premier article de cet ouvrage. J’en ai ensuite produit toute une série sur une période d’un an – certaines dans un but pédagogique, d’autres pour appeler à la raison ou au courage. Ce livre n’est donc pas un « guide pratique ». Ni, croisons les doigts, une manière de diatribe ou de pamphlet. C’est plutôt une voix qui chuchote lors d’une promenade au parc – une chose que j’aime d’ailleurs bien faire avec mes élèves. Je le conçois comme un mot à l’oreille d’un jeune auteur, quoique ces lettres, je suppose, s’adressent à tout écrivain, moi compris. J’ai repensé, bien sûr, à la question de Cyril Connolly : « Combien de livres Renoir a-t-il écrits sur l’art de peindre ? » Je comprends bien ce qu’il y a de vain à vouloir disséquer ce qui reste essentiellement un procédé mystérieux. Voici, malgré tout, ces lettres. Je n’ignore pas non plus qu’en ouvrant la boîte magique je risque d’exposer le lecteur à de vives déceptions. La vérité est que j’aime réellement voir de jeunes auteurs peu à peu donner forme à ce qui compose leur univers. J’exige beaucoup de mes étudiants, qui me le rendent parfois. Un de mes axiomes, au départ, est d’ailleurs que du sang coulera forcément sous la porte pendant le semestre. Chaque année, il s’agit notamment du mien. En composant ce recueil, j’avoue avoir lamentablement échoué. Comme vous le verrez, j’y ai tendance à me donner moi-même des tapes dans le dos. J’aspire à la défaite, et c’en est une. Mes conseils ne sont pas à la hauteur de ceux que j’aimerais recevoir. Je les fournis avec une modeste révérence et je m’efface aussitôt. Petite mise en garde. Pendant que j’écrivais Danseur 2, un récit romancé de la vie de Rudolf Noureïev, j’ai adressé mon manuscrit à un de mes héros. Un écrivain dont j’étais jaloux du moindre mot. Avec une extrême gentillesse, il m’a envoyé en retour six pages de notes manuscrites. J’ai accepté pratiquement toutes ses suggestions, sauf une en particulier qui me dérangeait. Selon lui, j’aurais dû supprimer le passage sur la guerre qui commence par « Quatre hivers ». J’avais consacré six mois à cette partie et c’était une de mes préférées. Ses arguments étaient convaincants, mais je n’en étais pas moins perturbé. Des jours et des jours à la suite, sa voix répétait dans ma tête : « Coupe, coupe, coupe. » Comment pouvais-je ignorer cette recommandation d’un des plus grands écrivains du monde ? Finalement, je n’ai pas suivi son conseil. Je suis entré à l’intérieur de moi-même et je me suis écouté. Quand le roman est sorti, il m’a écrit pour me dire que j’avais fait le bon choix, qu’il avouait humblement s’être trompé. C’est une des plus belles lettres que j’aie jamais reçues. John Berger. Je cite son nom car il a été mon professeur – non pas littéralement, mais sa langue et son amitié m’ont profondément inspiré. Des professeurs, j’en ai eu d’autres : Jim Kells ; Pat O’Connell ; le frère Gerard Kelly ; mon père, Sean McCann ; Benedict Kiely ; Jim Harrison ; Frank McCourt ; Edna O’Brien ; Peter Carey ; et pratiquement tous les écrivains que j’ai lus. Je dois beaucoup aussi à Dana Czapnik, Cindy Wu, Ellis Maxwell et à mon fils John Michael pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans cet ouvrage. Notre voix n’est pas unique. Elle provient d’une multitude d’ailleurs. Là jaillit l’étincelle. J’espère offrir ici quelque chose à tout-e jeune auteur-e – et même moins jeune – qui souhaiterait la présence d’un guide, d’un professeur incapable en définitive d’enseigner autre chose que le feu. 1. Traduction de Bernard Grasset. 2. Danseur, trad. J.-L. Piningre, Belfond, 2003. LETTRES À UN JEUNE AUTEUR Lettre à un jeune auteur « Je vis ma vie en cercles de plus en plus larges qui passent sur les choses. » Rainer Maria Rilke ÉLOIGNE-TOI DU RAISONNABLE. SOIS FERVENT. Dévoué. D’une aisance subversive. Lis à haute voix. Mets-toi en jeu. Ne crains pas les sentiments, même taxés de sensiblerie. Sois prêt à te faire réduire en miettes : cela arrive. Accorde-toi la colère. Échoue. Marque un temps. Accepte le rejet. Nourris-toi de tes chutes. Pratique la résurrection. Émerveille-toi. Porte ta part du monde. Trouve un lecteur en qui tu aies confiance. Ils doivent aussi te faire confiance. Même quand tu enseignes, sois l’étudiant et non le professeur. Ne te raconte pas de bobards. Si tu te uploads/Litterature/ lettres-a-un-jeune-auteur-by-colum-mccann-mccann-colum.pdf
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- Publié le Jui 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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