Max Lejbowicz, Saint-Michel historiographe. Quelques aperçus sur le livre de Sy
Max Lejbowicz, Saint-Michel historiographe. Quelques aperçus sur le livre de Sylvain Gouguenheim Ce texte paraitra dans la revue les Cahiers de Recherches Médiévales. Il est prévu pour le numéro 16 de l’année prochaine (2009). L’ auteur développe une thèse qui, fondée sur le postulat de l’excellence exclusive de la culture grecque, se met aisément sous forme syllogistique. Prémisse majeure : la culture de l’Europe latine s’est tout au long du Moyen Âge abreuvée aux sources de la culture grecque. Prémisse mineure : à la même époque, la culture arabo-islamique n’a été qu’effleurée par la culture grec-que. Conclusion : la culture arabo- islamique a eu peu d’effet sur le développement d’une Europe latine, grecque dans l’âme, en dépit des traductions arabo-latines du XIIe siècle. Mis en valeur par un titre accrocheur, les rapports d’Aristote et du Mont- Saint-Michel ne sont traités que dans un des cinq chapitres du livre, le troisième ; ils s’insèrent dans l’ensemble plus large que je viens d’évoquer et que traduit le sous-titre d’un classicisme austère. L’illustration de couverture renforce pourtant ce titre discutable en l’orientant curieusement. Elle reproduit une enluminure où, dans le ciel du Mont-Saint-Michel, l’archange protecteur des lieux terrasse le dragon1. Faut-il penser qu’en éduquant l’Europe latine un Aristote exempt d’arabismes a rejoint la milice céleste ? Je préfère croire que l’ auteur et son éditeur invitent leurs lecteurs du XXIe siècle à partager le combat que sous toutes les latitudes et à toutes les époques, les historiens mènent contre les approximations, les erreurs, les dossiers mal ficelés et les surinterprétations, contre aussi ces dérives du jugement qui résultent de compagnonnages inavoués. Je ré-ponds à leur initiative, en procédant du simple, du trivial même, au complexe. Le livre se termine par une Bibliographie sélective (BS) de quinze pages. Si elle donne, comme il se doit, un aperçu de la documentation sur laquelle l’ auteur s’est appuyé pour défendre et il-lustrer sa thèse, elle laisse aussi entrevoir le degré de familiarité qu’il a atteint avec son sujet. L’usage de préciser les première et dernière pages des articles et des contributions à un volume n’est que partiellement suivi ; y échappent Aerts, al-Azmeh, Albert, Ammar, Delcambre, van Ess, etc. sans qu’on sache en quoi ces auteurs ont démérité. Les trois auteurs du tome I de l’Histoire culturelle de la France ne doivent pas être énoncés selon l’ordre alphabétique de leur nom mais en commençant par celui de Michel Sot, qui, conformément aux informations données sur la couverture et la page de titre, a dirigé ce tome. L’ouvrage de Robert Benson, Giles Constable et Carol Lanham n’est pas seulement sorti sous le label d’un éditeur américain, Harvard University Press, mais aussi sous celui d’un éditeur européen, Clarendon Press d’Oxford ; il en existe de surcroît une édition de poche parue en 1991 chez Toronto University Press. La traduction française de l’ouvrage de Richard Hodges et David Whitehouse n’est pas parue au CNRS mais aux éditions P. Lethielleux, dans une collection spécialisée et de haute tenue: « Réalités byzantines ». Le tome I d’une des deux contributions citées de Roshdi Rashed, Les mathématiques infinitésimales du IXe au XIe siècle, n’est pas davantage paru au CNRS, en 1996, mais à l’Al-Furqan Islamic Heritage Foundation de Londres, trois ans plus tôt. Quatre autres tomes ont depuis complété ce premier chez le même éditeur. La lecture de cet ensemble est quelque peu ardue mais, en persévérant, le lecteur obtient un résultat difficilement contestable : le niveau atteint par les mathématiciens arabophones sur le sujet annoncé par le titre se situe au- dessus de celui des Grecs de l’Antiquité et bien au-dessus de celui des Latins de l’époque. L’adjectif qui qualifie cette bibliographie aurait demandé que soient précisés les critères au nom desquels la sélection s’est opérée. En l’état, ils paraissent si peu évidents que l’adjectif « arbitraire » semble être plus approprié. Certains travaux de Lorenzo Minio-Paluello sont largement utilisés dans le livre, eux qui ont mis en pleine lumière la figure du traducteur gréco-latin Jacques de Venise2; mais le recueil du savant médiéviste, Opuscula. The Latin Aristotle, Amsterdam, 1972 n’est pas mentionné. Il réunit, en les dotant le plus souvent de notes additionnelles, tous les articles de l’intéressé qui, parus avant 1969, étaient pour lui importants, soit trente-et-un au total. De fait, les trois sur cinq qui sont cités dans la BS, et qui respectent ce critère de date, se retrouvent dans les Opuscula, munis, pour deux d’entre eux, de notes additionnelles pour deux d’entre eux. La documentation sur laquelle l’ auteur s’appuie pourrait être évaluée en rapportant ces trois articles aux trente-et-un du recueil : elle atteint le dixième de ce qu’il aurait été souhaitable qu’elle acquière3. Pire : l’instrument de travail de Charles Lohr4, est, lui, passé sous silence. La présence des médiévistes sollicités oscille entre le dixième de Minio-Paluello et le zéro de Lohr. Qu’on en juge. Peut-on réduire l’apport aux études médiévales de Menso Folkerts à son seul article sur l’abaque de Gerbert ? Ce médiéviste n’est-il pas aussi l’auteur d’un très remarquable Euclid in Medieval Europe, qui, paru en 1989 a, depuis lors, été mis en ligne et à jour sur le site http://www.math.ubc.ca/~cass/Euclid/folkerts/folkerts.html ? Et que dire de l’absence de l’étude fondatrice de Marshall Clagett, « The Medieval Latin Translations From the Arabic of the Elements of Euclid, With Special Emphasis on the Versions of Adelard of Bath », Isis, XLIV (1953), p. 16-42, reprise dans le recueil Studies in medieval Physics and Mathematics, Londres, 1979 ? Sans compter une autre absence non moins étonnante, celle qui porte sur les éditions de l’Euclide arabo- latin par Hubert L. L. Busard, seul ou avec l’aide du même Folkerts, de ou attribué à Hermann de Carinthie, Adélard de Bath, Gérard de Crémone, Robert de Chester et Campanus de Novare ? Outre, enfin, que le même Busard a également édité la version médiévale gréco-latine anonyme des Éléments, édition que notre chantre de l’hellénisme n’a pas retenue. Le nombre des manuscrits de chacune de ces deux versions montre celle qui avait la préférence des Latins des XIIe-XVe siècles : l’arabo-latine est très nettement gagnante. Autre « oubli » étonnant : les cinq tomes de l’Archimedes in the Middle Ages de Clagett, si riches en textes originaux, et si révélateurs des efforts des clercs médiévaux latins pour retrouver les éléments d’une véritable science. Parmi les lacunes les plus flagrantes au regard du thème annoncé par le sous-titre, on relève : les Dionysiaca édités par Philippe Chevallier, Paris, 1937 ; Hyacinthe F. Dondaine, Le Corpus Dionysien de l’Université de Paris au XIIIe siècle, Rome, 1953 ; les éditions et les travaux de Raymond Klibansky sur le Platon latin ; les mille pages de la Cambridge History of Later Medieval Philosophy, 1982, qui contiennent une excellente contribution de Bernard G. Dod, « Aristotle in the middle ages » et, parue sous la direction de Peter Dronke, la plus modeste History of Twelfth-Century Western Philosophy, 1988, qui contient trois remarquables contributions sur les héritages philosophiques reçus par les clercs médiévaux : platonicien (Tullio Gregory), stoïcien (Michael Lapige) et arabe (Jean Jolivet). Réduire à Aristote l’hellénisme de l’Europe latine n’est guère conforme au contenu des bibliothèques médiévales. L’ auteur montre un intérêt particulier pour l'un des traducteurs arabo- latins, Adélard de Bath, déjà cité; je prends les quelques lignes qu’il lui consacre pour fil conducteur de la suite de mon propos5. Il donne, p. 52, un aperçu bio- et bibliographique d’Adélard, mais sans préciser les sources auxquelles il puise. S’il avait consulté les actes du colloque Adelard of Bath. An English Scientist and Arabist of the Early Twelfth Century, Londres, 1987, ou la biographie de Louise Cochrane, Adelard of Bath. The First English Scientist, Londres, 1994, il n’aurait pas attribué à son héros une traduction arabo-latine de la Syntaxe mathématique de Claude Ptolémée, qui a jusqu’à aujourd’hui échappé à la vigilance du spécialiste par excellence du Ptolémée arabo- latin, Paul Kunitzsch. La BS n’a pas retenu le nom de cet historien polyglotte de l’astronomie ancienne et médiévale, dont l’œuvre est impressionnante (voir sa bibliographie sur le site http://www.geschichte.uni- muenchen.de/wug/gnw/personen_kunitz.shtml). L’ auteur mentionne dans ce même passage le traité sur l’astrolabe d’Adélard, sans prendre la peine de le situer dans les années 1140-1150. Or cette décennie abonde en traités de l’espèce avec ceux de Raymond de Marseille, de Jean de Séville, d’Abraham ibn Ezra, de Platon de Tivoli, de Robert de Chester et de Robert de Bruges – outre la traduction latine, par Hermann de Carinthie, de la traduction gréco-arabe de la Planisphère de Ptolémée, qui contient la théorie de la projection stéréographique indispensable à l’intelligence de l’instrument. Fait significatif : Hermann dédie sa traduction à un maître chartrain, Thierry de Chartres, et jette ainsi un pont entre les traducteurs arabo-latins travaillant dans la péninsule ibérique et l’un des plus prestigieux maîtres de l’École de Chartres6. L'auteur ignore cette effervescence astrolabique si remarquablement datée, qui doit peu aux Grecs et beaucoup aux Arabes ; il n’est pas en mesure de signaler la place que uploads/Litterature/ lejbowicz-max-saint-michel-historiographe.pdf
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- Publié le Aoû 15, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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