Dans son premier placet adressé au roi Louis XIV, Molière soutient que « le dev
Dans son premier placet adressé au roi Louis XIV, Molière soutient que « le devoir de la comédie [est] de corriger les hommes en les divertissant, rappelant la célèbre formule castigat ridendo mores ou encore cette du placere et docere. En effet, en sa qualité de moraliste, Molière fustige dans ses pièces les comportements sociaux, les excès et les dérives qu’il a pu constater chez ses contemporains : les précieuses dans les Précieuses ridicules, le misanthrope et l’avare dans les pièces du même nom, et l’hypocrite dans Tartuffe. Tartuffe connut de nombreux tumultes, puisque la pièce fut interdite par la puissante compagnie religieuse du Saint-Sacrement, qui y voyait une menace pour l’ordre social et religieux fragile de l’époque. Dans la pièce, Tartuffe intrigue pour se faire introduire chez le riche bourgeois Orgon, en se faisant passer pour un directeur de conscience. Il y parvient et désormais cherche à s’y installer pour de bon, en épousant la fille de la maison, Mariane, qui de son côté aime Valère. Dans la scène 2 de l’acte II, Dorine, la servante attachante et rusée, tente de s’opposer à Orgon, qui sous le charme de Tartuffe soutient son mariage avec sa fille. Dorine interrompt la conversation et feint de prendre le projet d’Orgon pour une plaisanterie, pendant qu’Orgon se charge de colère. Ensuite elle change de stratégie et s’oppose avec force au mariage. En quoi cet échange vif, s’il marque l’opposition, est surtout animé par le véritable intérêt de Dorine pour ses maîtres ? Dorine fait irruption dans le dialogue où Orgon expliquait à sa fille qu’elle allait devoir épouser Tartuffe. Cette rupture est marquée par la coupe non conventionnelle du vers 1, à la septième syllabe, ce qui brise l’équilibre de l’alexandrin classique. Dorine est bien une intruse qui vient s’immiscer dans une conversation qui ne la concerne pas, et perturbe le cours de cette conversation. Orgon cherche d’abord à la réprimander en suscitant chez elle la honte en amplifiant son défaut avec l’adverbe intensif « la curiosité qui vous presse est bien forte », un vice dépeint comme irrésistible, qui est un lieu commun chez les domestiques. La servante qui est surprise à épier aux portes trahit la confiance du maître. Il s’adresse à elle avec l’interpellation Mamie, qui est la contraction archaique de ma amie, et qui constitue une forme de familiarité condescendante à son égard, c’est bien l’adresse d’un maître à sa domestique. Mais à la question rhétorique « que faites vous là ? » qui visait à la faire fuir sans attendre de réponse, Dorine montre une certaine insolence et y répond. Elle feint alors d’avoir entendu une rumeur, nécessairement fausse et mal intentionnée. Cette rumeur serait celle du mariage de Tartuffe et Mariane. L’incertitude quant à l’origine de ce bruit participe à cet effet, celle-ci est marquée par la négation « je ne sais pas » et la subordonnée à caractère hypothétique « si c’est un bruit qui part ». L’idée de ce mariage honteux ressemble donc davantage à un propos fallacieux et nuisible qu’on aurait utilisé pour faire du tort à la famille, qu’à un projet sérieux du maitre de maison. Toute cette vision est synthétisée dans la périphrase « pure bagatelle » qui désigne le mariage. Ainsi, Dorine tente d’ouvrir une brèche dans les certitudes et la determination de son Maitre. Orgon est surpris, comme l’indique la tournure interrogative du vers suivant. Il semble s’étonner qu’on puisse mettre en doute l’union de Mariane et Tartuffe, ce qui souligne son aveuglement. Le débat concerne donc la crédibilité de la nouvelle, ce qui est soulevé par la présence de la polyptote « incroyable » « crois » « croire » « croyez » »croira » « croit ». Malgré la présence et l’autorité du maître, la décision est tellement saugrenue qu’elle suscite l’incrédulité. Impossible d’avoir foi en une telle décision quelle que soit la crédibilité de celui qui en a décidé. La réplique d’Orgon laisse planer un péril, et fait sentir tout son agacement. Le moyen dont il est question est un euphémisme, qui laisse deviner une menace physique. Cela redouble la dimension comique du passage, en plus de l’insolence délibérée de Dorine, la scène s’ouvre sur un comique de geste qui relève de la farce : scène de bastonnade, coups, gilfes. Cependant Dorine ne se laisse pas impressionner et l’on devine le caractère d’Orgon, emporté et grondeur mais débonnaire et bon au fond. L’opposition entre les deux personnages est marquée par l’antithèse plaisante histoire / ce qu’on verra dans peu, qui est contenue dans un parallélisme de construction, ce qui souligne la binarité du débat. Les deux registre, les deux visions du même événement s’opposent. Incrédulité, rapprochement avec l’imaginaire d’un côté, et concret, réaliste de l’autre. Cette opposition est réitérée avec « chansons », à rapprocher de « n’est point jeu ». Cette dernière expression est une litote, qui affirme le caractère concret du projet en niant son caractère fictif. Dorine modifie alors la situation d’énonciation en s’adressant à Mariane, puisque la deuxième personne correspond bien à la fille d’Orgon. Ainsi, elle met Orgon à distance, en le rendant presque étranger à l’échange. Il n’est même plus nécessaire de faire attention à lui. Le vers suivant est constitué d’un échange vif entre le maître et la servante, sous forme de stichomythies. Dorine lui coupe la parole assez brutalement et oppose son refus de l’écouter avec l’adverbe de négation non, qui sied mal à une domestique. Dorine ne se pose aucune limite. La négation se poursuit au vers suivant avec « on ne vous croira point » qui fait écho à « je ne vous en crois point ». Les deux hémistiches sont très similaires mais le second, en modifiant le sujet, du pronom personnel « je » au pornom indéfini « on », étend, diffuse la croyance : ce n’est pas seulement Dorine qui ne peut pas le croire, mais tout un chacun. Quiconque entendrait la nouvelle de ce mariage en refuserait l’idée Orgon s’entête alors et s’agace de l’impertinence qu’on lui oppose « à la fin mon courroux ». Le terme choisi relève de la tragédie, ce qui lui donne une ampleur comique, qui nait du décalage avec la situation assez triviale. Le terme confine à l’hyperbole, ce qui ne manque pas de faire rire le spectateur. Dorine feint alors de se résigner à le croire, avec l’apparition d’une tournure affirmative cette fois. « on vous croit donc ». Cela n’est pas à l’avantage d’Orgon, car on voit bien que Dorine est forcée à consentir mais n’est pas du tout convaincue par l’idée. Elle déplore qu’Orgon se fasse du tort à lui- même. La servante laisse entendre qu’Orgon n’est sage qu’en apparence avec l’expression « avec l’air ». Elle évoque aussi la barbe d’Orgon, symbole de sagesse et de maturité mais qui peut s’avérer n’être qu’une apparence trompeuse. Elle montre que le comportement d’Orgon est en décalage avec la sagesse qu’il devrait avoir. Il est insensé de vouloir unir Tartuffe et Mariane. C’est au tour d’Orgon de l’interrompre de manière autoritaire, par l’impératif « écoutez », avant de lui rappeler quelle est sa place dans la maison : le déictique céans agit comme une synecdoque. Orgon désigne par ce mot sa demeure, dans laquelle il est maître et a toute autorité. Ainsi une domestique ne peut se permettre de prendre certaines privautés, ce qui signifie qu’elle devient excessivement familière, inconvenante, en oubliant son statut : Orgon lui rappelle qu’elle ne fait pas partie de la famille. La servante est alors plus accommodante : « parlons sans nous fâcher monsieur je vous supplie » Elle adoucit le propos, d’abord en se rapprochant de son maître avec la première personne du pluriel qui les rassemble pour la prmière fois. La formule privative sans nous facher cherche à désamorcer la colère, à faire retomber cette tension, que Dorine a elle-même suscitée. Elle a fait naître la crise en menant une défense véhémente, qui aurait dû être celle de Mariane. Ainsi elle montre son amour pour la famille, elle est prête à se mettre en danger, à prendre des risques pour protéger d’une part les intérêts de la jeune femme qui manque de tempérament, et d’autre part pour sauver l’honneur de son maître. Elle cherche finalement à s’accommoder avec son maître, en devenant plus respectueuse. L’apostrophe monsieur, et la formule déférente « je vous supplie » montre qu’elle cherche à le satisfaire en se montrant humble et complaisante. Elle change donc de stratégie mais garde le même but, qui est de lui faire admettre le ridicule et l’extravagance de sa position. Elle cherche avec obstination à le sauver de lui-même et se montre donc une véritable amie, une adjuvante. Dorine s’inscrit donc dans la tradition de valets habiles des comédies de Molière qui cherchent le bien de leur maître, comme Toinette par exemple dans le Malade Imaginaire. Elle est partie prenante de leur destin, et son attitude semble porter la voix du dramaturge en condamnant et déjouant avec bon sens les uploads/Litterature/ lecture-lineaire-tartuffe.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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