A s g e r J o r n sauvagerie, barbarie et civilisation les atomes de l’âme 2012

A s g e r J o r n sauvagerie, barbarie et civilisation les atomes de l’âme 2012 éditions les atomes de l’âme sauvagerie, barbarie et civilisation éditions les atomes de l’âme éditions les atomes de l’âme New design by Christian Isidore Angelliaume Août 2012, éditions les atomes de l’âme. Ce livre a été entièrement reconditionné — c’est-à-dire : copie, mise au français moderne, relecture, et mise ne page, etc. —, à titre privé et pour son usage strictement personnel, par C Ch hr ri is st ti ia an n I Is si id do or re e A An ng ge el ll li ia au um me e à partir de l’édition Fanrândola, 2005. © Cette étude a été recueillie dans le Corpus des Signes gravés sur les églises des départments de l’Eure et du Calvados, publié en 1964, d’après l’édition Farândola, Paris 2005 Asger Jorn sauvagerie, barbarie et civilisation les atomes de l’âme 2012 4 Asger Jorn Sauvagerie, barbarie et civilisation éditions les atomes de l’âme LES NORDIQUES Toutes les possibilités ignominieuses des comportements et des conduites humaines s’incarnent et se concrétisent en un petit nombre de situa- tions et en quelques actes simples. Les mots qui nomment ces actes et ces situations élémentaires ne sont ni savants, ni nombreux. Vandale, Barbare, quel- ques autres encore, et la liste est vite close : la conscience claire ne veut rien en connaître. Faits et mots horribles et monstrueux — tabous — la conscience les fuit, refuse à l’intelligence le droit à un libre examen, et entretient méthodique- ment à leur égard une longue et persistante incuriosité. À preuve de cette der- nière, un seul exemple : une fois l’inceste dénoncé et raconté, 2 000 ans se sont écoulés avant qu’on ait osé chercher et dire comment il s’enracine au cœur de l’homme. Le seul mot de Vandale comporte de telles implications émotives et suscite de telles oppositions horrifiées — oppositions toutes affectives — qu’il y a lieu de penser que s’en trouve épaissi le mystère même de la conduite qu’il prétend désigner. Ce mot-là est moins porteur de clarté que d’obscurité. Aussi me paraît-il essentiel de situer enfin le vandalisme dans sa vraie lumière. Et de rendre compte, le plus exactement possible, de ce qui est tenu pour l’une de ses plus spectaculaires manifestations : le graffiti. Orgueil d’une solidarité peut-être trop violemment ressentie ? J’ose tout de suite dire que je n’ai pas songé sans émotion, devant ces églises de la Normandie, aux mains patientes et laborieuses qui ont creusé, gravé, la pierre. Furtives et tremblantes également — ces mains — puisqu’il s’agissait là d’un interdit. Se plaire à imaginer qu’elles aient pu être animées par la passion la plus aveugle - celle de détruire - révèle, à mon avis, une aberration profonde. Et point seulement d’esprit, mais aussi de cœur. Celle-là même prétendument ainsi dénoncée. L’acte de détruire ne nous semble jamais si pur - je veux dire si absolu - que lorsqu’il met en jeu la pierre. Il nous faut bien songer qu’après avoir fait date aux âges de la préhistoire humaine, la pierre a également occupé les temps historiques, et cela sous un usage essentiellement double : construc- tion, destruction. De l’importance de ces deux fonctions antinomiques témoi- 5 éditions les atomes de l’âme gnent toutes les religions : la chrétienne — pierre à bâtir et lapidation — l’is- lamique et d’autres, en un symbolisme moins explicité, mais aussi fort. Cette dualité de son emploi est notre ambivalence même, laquelle s’est inscrite, au cours des millénaires d’abord, des siècles ensuite, dans la seule matière solide que l’homme ait connu pendant longtemps. La présence de la pierre est chose trop fondamentale pour que nous ne soyons pas sensibilisés à sa négation, de manière extrême. Qu’elle soit — utilisée simplement comme support par les graffitomanes — ou mise à bas par les vandales — voilà ce que nous ne supportons pas, ce qui nous scanda- lise. Et, du même coup, nous interdit de comprendre et de connaître la démar- che et les mobiles de ces auteurs de signes et images gravés et dessinés ; nous condamne à ne rien savoir de cette pulsion qui pousse certains hommes plus que d’autres à détruire. Déjà d’excellents esprits se sont attachés à cesser de déposséder la conscience claire de ses moyens, à ne plus préférer stigmatiser allègrement la conduite de ce peuple du Nord — les Vandales — mais à étudier la nature d’une énergie et la signification d’un besoin — le vandalisme. Leurs efforts ont permis la naissance de la vandalismologie. Savoir exactement comment ont vécu les Vandales et qui ils ont été, quelles furent les épreuves, buts et difficultés de ce peuple, voilà ce qui est devenue partie du problème. Et. de manière plus centrale encore, l’étude de cette même force, rage et but : détruire, aveuglément détruire. On a fait du mot Barbare un mot censé désigner ceux qui, obstiné- ment, se refusent à toute rhétorique. Pas de justification à ce fait, sinon qu’en politique, les méthodes des parlementaires nordiques s’opposent aux discours latins. En France, au sens populaire, « la barbe » est une expression qui exprime une situation ennuyeuse et désagréable En Scandinavie, elle désigne une situation amusante et drôle. Il est devenu possible, aujourd’hui, d’apercevoir que le potentiel affec- tif contenu dans le mot Vandale est un don malheureux de la mémoire collec- tive héréditaire. Cette mémoire même, dont la psychologie contemporaine a abondamment souligné les prouesses, s’est révélée, sur ce point précis, faillible elle aussi. En fait, la synonymie des mots Vandale et Destructeur masque plus la conduite qu’elle prétend désigner qu’elle ne sert ou facilite sa représentation claire. Et puis, cette mémoire ne nous aurait-elle rien transmis d’erroné que je n’hésiterais pas plus à faire la remarque suivante : tant en biologie qu’en psy- chologie, la faculté d’oubli et le renouvellement sont indispensables à la vie, sinon à la survie. 6 Asger Jorn Sauvagerie, barbarie et civilisation éditions les atomes de l’âme Science en formation, la vandalismologie a déjà ses méthodes propres et aussi son histoire. C’est à un Français, Louis Réau, que revient le mérite de s’être efforcé de répertorier et classer les diverses variétés de vandalisme. Le définissant comme la destruction de monuments à signification historique ou à caractère artistique, il a pu opérer, à partir de ses effets, la classification suivante : Avec mobiles inavoués : Vandalisme sadique : l’instinct brutal de destruction ; Vandalisme cupide : avidité aveugle de pillards ; Vandalisme envieux : effacement de la trace des prédécesseurs ; Vandalisme intolérant : fanatisme religieux et révolutionnaire ; Vandalisme imbécile : la graffitomanie. Aux motifs avouables : Vandalisme religieux ; Vandalisme pudibond ; Vandalisme sentimental ou expiatoire ; Vandalisme esthétique du goût ; Vandalisme elginiste et collectionneur. À cette classification bien diversifiée, les Anglais ont souhaité adjoin- dre - sous l’impulsion de Martin S. Briggs - une catégorie supplémentaire : le manque d’entretien, qui serait considéré comme un vandalisme de négligence. Opposition vigoureuse des Français qui, personnalisant justement le débat, refusent cette ouverture possible à l’anonymat. En effet, pour pouvoir vraiment dénoncer le vandalisme, il paraît essentiel de pouvoir indiquer non seulement un acte, mais encore un agent responsable. À supposer ce dernier point non nécessaire, nous aboutirions, en pays panthéiste (ou seulement à tendance), devant le spectacle de la dégradation naturelle des choses, à une hérésie du genre : Dieu est Vandale. Toute hérésie de ce genre engendrerait vite la tentation de se consi- dérer soi-même comme divin. La mentalité traditionnelle de la province danoise du Vendsyssel atteste cette possibilité. L’intransigeance des positions anglaises et la docilité traditionnelle des hommes politiques et des savants danois envers celles-ci nous font craindre que l’essor remarquable de la vanda- lismologie dans les années d’après-guerre ne joue, en définitive, à l’encontre même de ses buts. L’histoire du sens du mot Vandale est longue. Cependant, c’est seule- 7 les Nordiques éditions les atomes de l’âme ment aux temps modernes que le sens de ce mot va s’enfermer définitivement dans les clichés traditionnels que nous connaissons aujourd’hui. En 1739, en plein siècle des Lumières, Voltaire signale la colonnade du Louvre « masquée et déshonorée par des bâtiments de Goths et de Vandales. » Quarante-cinq ans plus tard, en août 1794, un ancien député du clergé lorrain, devenu évêque constitutionnel — l’Abbé Grégoire — l’emploie dans un rapport présenté à la Convention (14 Fructidor An III). « Pourquoi celui-ci a-t-il choisi de clouer au pilori les Vandales plutôt que les Goths, les Huns; les Philistins ou les Béotiens ? » demande Louis Réau, qui explique : « Les Philistins n’étaient des barbares qu’aux yeux de leurs ennemis, les Israélites ; et les Béotiens ne passaient pour lourdauds que par rapport aux Athéniens. La réputation de sauvagerie des hordes germani- ques était par contre bien établie dans l’Europe Occidentale, victime des gran- des invasions. Les Romains gardaient le souvenir de la Vandalica Rabies, un des premiers accès de furor teutonicus dont Rome uploads/Litterature/ asger-jorn-sauvagerie-pdf.pdf

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