Littératures Les Poèmes de Milosz (Pour le 20e anniversaire de sa mort) André L

Littératures Les Poèmes de Milosz (Pour le 20e anniversaire de sa mort) André Lebois Citer ce document / Cite this document : Lebois André. Les Poèmes de Milosz (Pour le 20e anniversaire de sa mort). In: Littératures 7, février 1959. pp. 11-46; doi : https://doi.org/10.3406/litts.1959.965 https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1959_num_7_1_965 Fichier pdf généré le 01/05/2018 Les Poèmes de Milosz (Pour le 20* anniversaire de sa mort.) « La critique est peut-être un mal aussi nécessaire que l'inutilité, dont l'archétype existe dans la pensée de Dieu, à côté du vocable Non. » Milosz (1937). « Moi, qui prie, je suis libre. Vous, qui désagrégerez demain les atomes, et cependant n'irez pas vous pavaner dans les voies lactées qui se trouvent à deux cent mille années lumière, vous, Messieurs, qui ne priez pas, vous êtes libres également. Mais c'est moi qui suis le maître du trésor. » Les Arcanes (1928). Milosz naît le 28 mai 1877 à Czéreia, département de Mohilev, district de Sien, terre lithuanienne contestée. Un arbre généalogique de Druja fait descendre les Lubicz-Bozawola [Volonté de Dieu] d'une dynastie sorabe de la Lusace (l). Trente mille hectares de fiefs, Czéreia, Druja et Lukolm, près de Vitebsk, seront confisqués par les Soviets, inclus dans la Russie Blanche, hors de l'Etat lithuanien de 1918. Le grand-père du poète fit le coup de feu à Ostrolenko, le 26 mai 1831, contre les Russes. Il épousa une cantatrice italienne, Natalia Tassistro, qui fut, pour le petit-fils, « la morte de Vercelli ». Leur fils Vladislas choisira, lui, la fille d'un (1) Milosz en parle plaisamment dans un de ses contes : « J'ai oy recorder ee que s'ensuit ou pals lithuan, à Labunava-Serbinaï, terre qui ou tems que le Roy Loys neufofesme du nom regnoit en France, jà estoit seigneurie de mes ancestres Milosz, lesquelz, Diex en ait l'ame ! furent jadis, ce dit on, sires de Lusaice. » 12 ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE TOULOUSE professeur d'hébreu de Varsovie, Maria Rosenthal. Raymond Schwab attribue à ces greffes et boutures l'essentiel de Milosz : dans la poétique la plus vieille du monde et la plus racée, une étrangeté naïve, une originalité sans artifice. Milosz préférait vanter les humanités de l'ancienne noblesse lithuanienne : « Avant d'adopter, au XVIIIe siècle, le français comme moyen presque unique elle a fait un usage courant, pendant et après la Renaissance, du langage de Cicéron et de Virgile », et s'est illustrée par sa connaissance du grec. Taine aurait beau jeu: traces de morgue autocratique, colère des porte-glaive, chant de Natalia, musique et couleur méditerranéennes et, transmises du ghetto à travers quels pogroms ? , l'angoisse juive, les soubresauts harassants, de l'orgueil prophétique à l'humilité saupoudrée de cendres et lécheuse de murs, l'entrée de plain-pied dans le monde biblique, l'accès aux secrets, la capture des éclairs... Il suffit : la critique tainienne est très romanesque. Aux meilleurs esprits, que d'erreurs promises ! Le déterminisme nous la baille belle. Surtout s'il s'agit d'un être aussi libre. Le père? Un personnage d'Elémir Bourges. Il y avait en ce boyard du Charles d'Esté, du Floris des Oiseaux... Un Floris qui, au lieu de servir la Commune, profite des troubles pour arracher, en plein Paris, une novice d'un couvent. La décadence de leur famille, ce « crépuscule des dieux », Milosz et son père l'éprouveront dans leurs moelles, jusqu'à l'essai de suicide. Greta Prozor entendra Milosz conter la nuit extravagante, le sabre décroché de la panoplie, le harakiri inframortel de Vladislas, la course de l'enfant par les salles du château de ténèbres, jusqu'à l'air libre où il trouve du secours. Malgré ses violences médiévales, le descendant des voïvodes traitait humainement ses serfs : catholiques de souche, Russes du pope, boutiquiers d'Israël. Oscar, le « petit seigneur », assiste aux mariages juifs, mange les sucreries de fête dans les isbas, voit à Noël la chambre bleue visitée par l'arbre mort devenu ange. L'arbre de Noël est venu tout seul de la forêt enneigée « avec ses feux follets repentis et sanctifiés »; les vux des humbles l'accompagnaient. Mais du junker flanqué de deux énormes heiducs de race oursonne, quelle tendresse l'enfant pouvait-il attendre ? Et la mère ? « Je dis ; ma Mère 1 Et c'est à vous que je pense, ô Maison ! » On connaît ces cris, plus que d'orphelin, de jeune cur martyr, déchiré par les rigueurs et les sévices, les combats et les débats. Il n'est de remède que la fuite vers l'allée, l'églantier, le saule; et ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE TOULOUSE 13 les transferts de l'amour filial. La vraie mère sera la maison, ou mieux, la solitude, vêtue de brun pauvre couleur de semailles : Car je n'ai jamais eu, ô Nourrice, ni père ni mère Et la folie et la froideur erraient sans but dans la maison. Devant Jean de Boschère, Milosz précisera l'accusation : le mot père, pour des raisons que Dieu seul sait, n'a jamais réussi à s'épanouir sur ses lèvres, pas plus que le vocable mère, en fleur de tendresse véritable; « chose infernalement céleste que de naître de l'esprit ». Un portrait de Maria la montre auprès de son fils, et pourtant séparée, irrémédiablement. Jusque devant l'objectif, le visage rapace, nu, abrupt, se détourne de l'enfant aux yeux anxieux, aux mains déjà jointes; dans les plis de bronze du buste sanglé et de la jupe, cette roideur, cet interdit... Mais calomnions-nous ? Les parents aussi ont leurs secrets. Et cependant... Il y a le terrible « requiem » du Don Juan de Milosz devant son père moribond. Prendrons-nous au mot l'oraison funèbre ? Vladislas vient de mourir, en 1904. « Cela », dit Don Juan, dans les printemps d'autrefois, sous les pommiers du Cantique, Rêvait sans doute aucun de la virginité D'une bête sans âme et sans cœur et sans nerfs A qui ma chair depuis donna le nom de mère... Et de cette heure burlesque quelqu'un naquit, Moi. Croirons-nous que le petit rebelle interrogeait les miroirs sur cette balafre à son front, souvenir d'un gros bâton moral Qui voulait enseigner la franchise à l'enfant Faible et triste qui n'osait pas lever les yeux... ? Faible et triste, il l'est, à quatre ans, sur le sein de sa seule amie, gouvernante au grand cœur, ancilla domini. Tout ici est tendresse et confiance. Un malheur en console un autre. Des strophes, maladroites encore mais révélatrices, diront la vénération du poète à l'égard de celle qui jadis dans la maison glacée Où l'âme de l'enfant se mourait d'abandon Me prit sur ses genoux de fille délaissée Et souffla sur mes pleurs le soupir de son nom; De celle qui, suivant le progrès de mon âge, Sut m'être sous un nom entre tous respecté Tout d'abord une mère au sublime visage Puis l'amie au grand cœur plein de nuit et d'été. 14 ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE TOULOUSE Faute d'autres précisions, retenons : « fille délaissée », les persistantes comparaisons de la douleur avec une épouse chassée trouvent ici leur origine (2). Et le poème Insomnie, où la maison est personnifiée : « ô femme de jadis sur la colline », est un hommage issu des sources les plus chaudes de l'inconscient : le souvenir de Czéreia et de « l'amie au grand cœur » sont indissolublement liés. Les parents le firent, du moins, baptiser; il reçut la Première Communion en 1886, le 2 juillet, à Varsovie; savait-il déjà que la douceur de ce sacrement le hanterait toute sa vie ? Mais pour le petit lecteur de l'aimable Don Quichotte de M. de Florian, pour l'amoureux de « la Dormeuse blanche » de Perrault, dans la seule compagnie des bêtes, des plantes, et d'Echo, « votre second fils, solitude », la vraie mère est la Lithuanie. Liêtiwa, Motina Musu: Lithuanie, notre mère. Liêtuva, où le ciel et la mer « dorment sur les violettes du lointain, comme les amants ». C'est le pays du chevalier blanc, décrit par Jean Mauclère (3), avec « ces ruches dont les rangées s'alignent sous les panaches argentés des bouleaux, au bout des jardins où croît en parterres frisés la ruta », la rue, qui fleurit aussi dans les poèmes de Milosz. On connaît le chant d'amour de Mickiewicz, dans Messire Thadêe (Pan Tadeusz) « vers ces collines boisées, vers ces vastes prairies étalées largement au bord du bleu Niémen, vers ces champs diaprés de moissons, dorés par le froment, argentés par le seigle, où la navette est couleur d'ambre, le sarrazin blanc comme la neige, où la luzerne brûle d'une rougeur virginale, — le tout liséré d'une senteur verdoyante sur laquelle, çà et là, de calmes poiriers reposent ». Mieux encore que Mickiewicz, Milosz aura parlé de cette contrée « étrange, vaporeuse, voilée, murmurante », de sa senteur de nymphéas, de sa vapeur de forêt moisissante, du sursaut de ses printemps, de ses automnes précoces et blafards, quand « la pâleur de l'idée fixe noie la force silencieuse du soleil ». Ici la couleuvre du foyer, le uploads/Litterature/ lebois-andre-les-poemes-de-milosz.pdf

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