Sur la catégorie des prépositions en moyen-iranien occidental Arthur Laisis* Ma
Sur la catégorie des prépositions en moyen-iranien occidental Arthur Laisis* Massivement prépositionnel, le persan contemporain semble une exception typologique au regard non seulement des autres langues néo-iraniennes, mais aussi des états de langue plus anciens. La période médiévale (IIIe s. av. J.-C. ― IXe s. ap. J.–C. environ) est la plus cruciale dans cette longue évolution. Cette partie du discours (qui recoupe pour partie celle des préverbes) est l’objet d’un profond renouvellement lexical et sa syntaxe atteste une diversité de constructions inédite. Le parthe – langue la plus proche du moyen-perse – obéit à une logique similaire tout en présentant des différences intéressantes pour la comparaison. As a strongly prepositional language, contemporary New Persian looks like a typological exception when compared not only to other New Iranian dialects, but also to older stages of the language. Medieval ages (from circa 3rd century B.C. to 9th century A.D.) are the most dramatic period within this long-term evolution. This part of speech (which partially overlaps with that of preverbs) is subject to a profound lexical renewal, and its syntax shows a large, hitherto unknown diversity of constructions. Parthian – the most akin language to Middle Persian – acts in a similar way, though with differences interesting for linguistic comparison. Le persan contemporain appartient au petit nombre de langues dont la structure soit à la fois fortement Sujet – Objet – Verbe et fortement prépositionnelle. Ces deux propriétés typologiques, non harmoniques, caractérisent assez nettement la famille linguistique « irano-aryenne » (pour reprendre un terme forgé par G. Lazard), notamment au regard de son cousin indo-aryen systématiquement postpositionnel, et sont décelables dès les états de langue les plus anciens, en avestique et en vieux-perse. Il est donc probable que la préférence pour la préposition soit, dès l’origine, une des isoglosses définissantes du rameau iranien, comme le laissait déjà entendre É. Benveniste * École normale supérieure & École pratique des hautes études, Paris. Correspondance : 45, rue d’Ulm, F-75230 Paris cedex 05 / arthur.laisis@ens.fr Je remercie Mme Agnès Lenepveu-Hotz (EPHE), MM. Philippe Gignoux (EPHE, émér.), Philip Huyse (EPHE) et Daniel Petit (ENS) pour leur collaboration, ainsi que Mlle Hélène Gérardin (INALCO / ENS) pour ses relectures patientes et bienveillantes. Article à paraître dans un cahier de la revue Faits de langues, décembre 2011 (actes du colloque G. Lazard – Duino-Aurisina, juillet 2011). Version non contractuelle. 2 Arthur Laisis en 1954 à propos du sogdien,1 et ce même si certaines postpositions de la proto- langue iranienne ont pu conserver quelque temps leur placement originel (ex. i.- ir. *kam, av. aēibiiōkąmY.44.20). Les innovations syntaxiques ultérieures à la séparation du rameau indien témoignent de cette même préférence ; ainsi par exemple de la construction en « interposition » : (1) yō yūiδiieiti māzaniiaēibiiō REL.NOM.MASC.SG combattre.PRÉS.3SG mazanéen.ABL.MASC.PL haδa daēuuaēibiiō [Y.57,17,avestiquerécent] avec démon.ABL.PL «QuicombataveclesdémonsduMāzandarān.» (2) nƽmasƽ t θrīš=cī parō aniiāiš hommage.NOM.SG 2SG.DAT trois.ACC=PART devant autre.INSTR.PL2 dāmąn [Ny.1,1] créature.ACC.PL «Hommageàtoidevantlestroisautrescréatures.» (3) dūrā haca ahmā nmānā [Y.57,14] lointain.ABL.NEUT.SG de DEM.ABL.NEUT.SG maison.ABL.NEUT.SG ou:loin.ADV de DEM.ABL.NEUT.SG maison.ABL.NEUT.SG «Loindecettemaison.» Cette construction bien connue, également dans d’autres familles de l’indo- européen (mais probablement davantage par innovation parallèle que par héritage commun), présente en avestique toujours l’ordre adjectif – préposition – nom ; un syntagme d’ordre inverse **daēuuaēibiiō haδa māzaniiaēibiiō ne semble pas possible, contrairement au cas du lat. laude cum magnā, variante plus rare de magnā cum laude, et des autres langues italiques (Clackson 2004, Fortson 2010). Cette histoire n’est pour autant linéaire qu’en apparence. Dès l’époque des premières attestations du moyen-iranien (première moitié du IIIe siècle), il est beaucoup plus difficile de caractériser typologiquement cette catégorie du discours. Bien qu’elle reste prédominante, la construction prépositionnelle est concurrencée par d’autres ordres, déjà attestés marginalement (postposition), ou nouveaux (circomposition – morphème disjoint composé d’une préposition ou d’une postposition). Il en est de même dans les langues moyen-iraniennes 1 « Ceci fait présumer que kam était déjà préposition dans la phase ancienne du sogdien, ce qui constituerait une innovation par rapport à l’indo-iranien, et créerait une isoglosse importante entre le sogdien et le slave, analogue à celle de sl. radi et. v.-p. radiy. » (Benveniste 1954 : 73 [302]) 2 INSTR pour ACC, antiptose fréquente au pluriel. Prépositions en moyen-iranien occidental 3 orientales (notamment le sogdien). Ces langues ne sont néanmoins pas documentées à l’époque ancienne, ce qui rend plus difficile l’étude de la genèse de ses constructions. Si toutefois on postule un état prépositionnel pour l’iranien commun, elles ont suivi une évolution similaire. Comment peut-on rendre compte, en diachronie, de cette diversité des constructions adpositionnelles et préverbales en moyen-perse (et, dans une mesure un peu moindre, en parthe) ? Elle ne semble pas assignable à des faits de contacts de langue, dans la mesure où elle touche l’ensemble du monde iranien ; elle peut s’expliquer par des motivations typologiques (en terme d’universaux linguistiques) : le développement des postpositions serait ainsi une tentative de retrouver un ordre des mots « harmonique » ; il faut cependant noter qu’il est difficile de déceler dans ces évolutions une logique univoque : le degré de variation est important, et elles se résorbent de plus dans une large mesure à la fin de la période (la situation du persan contemporain, prépositionnel, étant plus proche de celle du vieux-perse que du moyen-perse). Il s’agit donc d’une complexification du système précédent, bien plus que d’une simplification. La langue des inscriptions achéménides semblait avoir procédé à une grande simplification du système iranien commun : systématisation de l’ordre prépositionnel, y compris pour les adpositions qui sont plutôt postposées en avestique (ex. haca),3 suppression probable des interpositions (structures du type av. māzaniiaēibiiō haδa daēuuaēibiiō, θrīšcī parō aniiāiš dāmąn, dūrā haca ahmā nmānā, etc., même si la taille du corpus rend difficile tout jugement péremptoire) et également de la tmèse. Certes, le moyen-perse n’est pas, du point de vue dialectologique, le strict descendant du vieux-perse (de même que le persan ne continue pas directement 3 Un seul lexème, v.-p. rādiy, fait exception, de même que ses cognats ultérieurs (m.-p. rāy, pth. rāδ, ps. راrā). Il est attesté uniquement dans la locution avahKya=rādiy « pour cette raison, à cause de cela ». La postposition s’explique aisément pour rādiy, qui est probablement une forme nominale de cas figé (d’où la rection génitive), sur le modèle bien connu de lat. causā et gr. χάριν ; le consensus ne va néanmoins pas plus loin : on l’interprétait généralement par le passé comme un locatif en *-i, ce qui ne permettait pas d’expliquer directement la forme sl. è×Ûß < *-īou-. Sylvain Patri (2005) postule pour la forme vieux-perse un instrumental < *h2reh1dh-ih1 « fait de dire », et justifie le cas instrumental par l’allomorphe vieux-slave è×Ûôä×, forme de duel qui ne saurait être un locatif (pour la discussion complète des formes slaves, cf. Kopečný 1973 : I, 227-229). Son propos est néanmoins quelque peu affaibli par l’analyse – habituelle (cf. Derksen 2007 : 432) – du sl. è×Ûß comme un emprunt à l’iranien : les locuteurs auraient eu conscience d’emprunter un mot à l’instrumental (pour pouvoir créer une forme de duel ensuite), alors que v.-p. rādiy est pleinement grammaticalisé et que le mot *rād- n’est nullement attesté en iranien. Le sl. âò (å)=, malgré l’indéniable proximité des emplois avec l’i.-ir. *kam (véd. kám, v.-av. kąm, sogd. kw) exposée par Benveniste (1954) n’est pas non plus unanimement et définitivement reconnu comme un emprunt, notamment du fait des cognats italiques et celtiques. 4 Arthur Laisis le moyen-perse) ; certes, les inscriptions achéménides sont un corpus très particulier, marqué par une forte influence mède, et peut-être par un degré élevé de standardisation, bien éloigné de la langue orale. Il ne serait pas impossible d’imaginer que certains faits moyen-perses puissent continuer en ligne directe un état ancien de la langue non répertorié par les sources antérieures. Quoi qu’il en soit, la catégorie des prépositions a subi un profond remaniement à l’aune de la période moyen-iranienne ; au sein d’un lexique pehlevi plutôt conservateur, on assiste à un renouvellement étonnant : aucun des préverbes du vieil-iranien (dont la plupart fonctionne aussi comme préposition) n’est productif en moyen-iranien, à l’exception d’andar < p.-ir. *antar. Inversement, la préposition la plus fréquente en moyen-perse et en parthe, pad, qui est aussi la plus fréquente en avestique (paiti), où elle est bien attestée également comme préverbe, n’est plus jamais employée comme préverbe en dehors du verbe paδīriftan « recevoir, accepter ». De manière peut-être encore plus emblématique, un préverbe comme ō-, qui est demeuré identique à sa préposition sœur (la réduction de la séquence *aa > *ō en moyen-iranien étant indépendante de l’environnement), dont l’évolution phonétique n’a en rien masqué la reconnaissance synchronique, dans des verbes préverbés hérités d’une époque plus ancienne comme ōzadan « tuer » en face de zadan « frapper », n’est pas davantage demeuré productif. Ces interdits semblent donc pouvoir s’expliquer par une tendance à la dissociation (sur le plan de la morphologie) de deux catégories grammaticales originellement proches – préverbes et adpositions – ; cette tendance uploads/Litterature/ laisis-2011-sur-la-cate-gorie-des-pre-positionsen-moyen-iranien-occidental.pdf
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- Publié le Sep 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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