LA PRESSE CLANDESTINE DANS LA BELGIQUE OCCUPÉE PAR JEAN MASSART VICE-DIRECTEUR
LA PRESSE CLANDESTINE DANS LA BELGIQUE OCCUPÉE PAR JEAN MASSART VICE-DIRECTEUR DE LA CLASSE DES SCIENCES DE L'ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE CE LIVRE EST VENDU AU PROFIT DES OEUVRES DE SOUTIEN DES BELGES 1917 AVANT-PROPOS Dans un autre livre, Comment les Belges résistent à la domination allemande 1, j'ai essayé de montrer combien la mentalité allemande diffère de la nôtre: à la terreur que l'Allemand prétend inspirer, le Belge répond par le calme le plus profond—et le plus agaçant aussi—et par un humour ingénu. * [ Chez Payot, à Paris et à Lausanne.] Le présent ouvrage a pour objet de mettre en lumière l'une des modalités de cette résistance: la publication et la distribution clandestines de journaux, brochures, livres, cartes illustrées, etc. Alors que le livre précédent était basé sur des documents venant d'outre-Rhin, ou du moins revêtus de l'estampille officielle de la censure allemande, celui-ci n'utilise guère que des écrits non censurés. Le lecteur appréciera ainsi le contraste entre les deux genres de littérature. LA PRESSE CLANDESTINE DANS LA BELGIQUE OCCUPÉE 1 Jusqu'en août 1915, j'ai pu collaborer à la presse prohibée. Depuis que je me suis évadé de mon pays, j'ai eu à ma disposition la plupart des publications clandestines paraissant en Belgique. Pourtant j'ai dû parfois me contenter de copier les articles qui sont reproduits dans les journaux belges paraissant en Hollande. Tout journal publie deux sortes d'articles: ceux qui sont écrits spécialement pour ses lecteurs, et ceux qui sont découpés dans d'autres journaux ou revues. La presse clandestine belge est rédigée presque uniquement par des personnes de bonne volonté, et non par des journalistes professionnels, que leur style ferait trop facilement reconnaître. Les articles dont la forme est la meilleure sont donc, on le comprend sans peine, ceux qui sont empruntés aux publications étrangères. Mais ceux-ci, nous les supposons connus; c'est pourquoi on ne trouvera dans ce livre presque rien de La Soupe ni de la Revue hebdomadaire de la Presse française, qui sont les plus considérables de nos journaux défendus, mais qui ne donnent guère que des réimpressions ou des traductions. Nous copions presque toujours les articles en entier, sans coupures. Nous avons vu trop clairement, par le parti que les Allemands tirent des amputations de documents, combien ce procédé est malhonnête. Si la pièce est vraiment trop longue et renferme des parties sans aucun intérêt pour nous, nous indiquons où ont été faites les coupures. Il a fallu faire un choix entre les articles. Nous ne reprenons que ceux qui montrent le mieux l'opposition entre la mentalité belge et la mentalité allemande. Le texte écrit par l'auteur est aussi réduit que possible; il n'est là que pour aider le lecteur à apprécier pleinement l'action de la presse clandestine; il fallait pour cela indiquer l'état d'esprit du Belge avant la publication des articles et l'influence qu'ils ont eue sur sa mentalité. Afin d'éviter les redites, je ne reproduis pas en général dans ce livre-ci les affiches, proclamations, articles, photographies, etc., déjà donnés dans Comment les Belges résistent à la domination allemande. Les écrits prohibés ne sont qu'un épisode presque insignifiant dans la lutte de chaque jour que les Belges de Belgique ont à soutenir contre les exigences de plus en plus âpres et de plus en plus injustifiées du pouvoir occupant. Mais mieux qu'aucun autre mode d'activité, la presse clandestine permet à l'étranger de saisir sur le vif l'incompressible énergie et la persistante bonne humeur d'un peuple qui refuse de se laisser écraser. J. M. Antibes (Villa Thuret), janvier 1917. The Project Gutenberg eBook of La Presse Clandestine en Belgique Occupée by Jean Massart. AVANT-PROPOS 2 LA PRESSE CLANDESTINE DANS LA BELGIQUE OCCUPÉE CE QUI EST DÉFENDU ET CE QUI EST TOLÉRÉ I A. LES PUBLICATIONS PROHIBÉES 1. Importation de journaux et de livres. Pendant les deux premières semaines de la guerre, la population bruxelloise put participer à la fièvre universelle. Le 20 août 1914, changement complet. Le matin, les journaux avaient encore été vendus par les crieurs affairés. Le soir, plus rien: les Allemands étaient dans la ville, et pas un seul journal n'avait accepté leur censure; bien plus, le matériel de certaines imprimeries avait été rendu volontairement inutilisable. A l'excitation des premiers jours succédait sans transition le calme le plus lugubre. Bientôt parurent les affiches allemandes annonçant les succès de nos ennemis: la prise de Namur, la défaite des Français dans le Luxembourg, le siège de Maubeuge, l'entrée des Autrichiens en Serbie, puis la marche rapide des armées allemandes sur Paris, que les corps de cavalerie allaient atteindre en deux jours. Bien entendu, les Bruxellois refusaient de croire les «nouvelles officielles» allemandes, d'autant plus que leur bourgmestre venait d'infliger à l'autorité occupante un démenti qu'elle s'était bien gardée de relever 2. 2 [ Voir DAVIGNON, La Belgique et l'Allemagne, p. 29, et J. MASSART, Comment les Belges résistent à la domination allemande, fig. 2.] Du reste, leurs bataillons en route «vers Paris» n'avaient pas fini de défiler au pas de parade, musique en tête, à travers la ville, que déjà des audacieux avaient organisé un service d'importation de journaux: Le Matin et La Métropole d'Anvers, La Flandre libérale et Le Bien public, de Gand. A partir des derniers jours d'août, le commerce clandestin fonctionnait avec régularité, et nous lisions, dès 9 heures, à Bruxelles, La Flandre libérale qui se vendait le même matin à Gand. Les premiers exemplaires sortant de presse étaient apportés en automobiles jusque tout près des avant-postes allemands de Ninove, de Lennick ou de Hal, à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles. Là, les paquets étaient enfouis dans des paniers de légumes et amenés ainsi en ville. On les déballait dans l'arrière-salle de quelque cabaret qui changeait tous les jours. Immédiatement les camelots se mettaient en campagne. Les uns se postaient dans les grandes artères et aux carrefours, où ils vendaient ostensiblement des cartes illustrées, des insignes patriotiques ou des journaux autorisés par la censure. Tout bas ils ajoutaient: «La Flandre?—Combien?» C'était d'habitude 75 centimes, l'avant-midi, mais LA PRESSE CLANDESTINE DANS LA BELGIQUE OCCUPÉE 3 plus tard on l'obtenait pour 40 ou 50 centimes. D'autres, munis de quelques caissettes de raisins, se rendaient dans les faubourgs. Les fruits n'étaient là que pour donner le change et pour permettre aux vendeurs de sonner chez leurs clients habituels; dès que la porte s'était refermée sur eux, les journaux sortaient du fond des poches. Les charrettes des maraîchers apportaient à Bruxelles, en même temps que les feuilles belges, des journaux étrangers. Les plus lus étaient: Le Journal, Le Petit Parisien, Le Matin (de Paris), Le Temps, The Times, The Daily Mail, parfois De Tijd et De Telegraaf; très rarement Le Journal de Genève. De loin en loin, les policiers allemands réussissaient à saisir la contrebande. Ce jour-là nous n'avions les gazettes que l'après-midi, par des marchands irréguliers agissant isolément; La Flandre libérale ou La Métropole coûtait alors 2 ou 3 francs. Cette organisation fonctionna normalement, malgré les sévérités allemandes, jusqu'à la prise d'Anvers et à l'occupation des Flandres (en dehors de la boucle de l'Yser). A partir de la mi-octobre, les derniers quotidiens belges disparurent de la Belgique occupée. Quelques-uns reparurent ailleurs: L'Indépendance belge à Londres, La Métropole également à Londres, sur une page de The Standard, Le XXe Siècle au Havre. Ils nous étaient apportés en même temps que les journaux français et anglais. Parfois nous recevions l'un ou l'autre des journaux occasionnels publiés à l'étranger par des Belges. L'Écho d'Anvers à Bergen-op-Zoom, Les Nouvelles et Le Courrier de la Meuse à Maestricht, L'Écho belge, Vrij België et Belgisch Dagblad à la Haye, La Belgique à Rotterdam, De Vlaamsche Stem à Amsterdam, De Stem uit België et La Belgique nouvelle à Londres, Le Franco-Belge à Folkestone, Le Courrier belge à Derby, La Patrie Belge et La Nouvelle Belgique à Paris, Le Courrier de l'Armée (De Legerbode) et Het Vaderland au Havre, Ons Vaderland et De Belgische Standaard à La Panne (Belgique libre). De jour en jour, la circulation entre la Hollande et la Belgique était rendue plus difficile: les sentinelles avaient ordre de tirer sur les marchands de journaux qui tentaient de franchir la frontière, et elles n'hésitaient pas à le faire. Mais même après que la frontière eut été garnie d'une rangée de fils électrisés, puis de deux rangées, et enfin de trois rangées, et après qu'on y eut délimité une zone où il était défendu de pénétrer, les journaux étrangers continuèrent à se faufiler en Belgique. Bien rares sont les jours où les fraudeurs sont tous arrêtés ou tous tués3. Assez souvent pourtant des périodiques volumineux comme The Times trouvent acheteur à 200 francs. Mais en général The Times se vend 5 francs et les journaux français coûtent de 2 à 3 francs. 2 [ En décembre 1914, les sentinelles allemandes abattirent deux marchands de journaux à Putte (province d'Anvers). En juillet 1915, furent tués dans le Limbourg quatre personnes transportant des correspondances et des journaux.] La vente dans la rue a presque entièrement cessé: les risques sont trop grands. uploads/Litterature/ la-presse-clandestine-dans-la-belgique-occupee-by-massart-jean.pdf
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- Publié le Jan 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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