Michel Messu L'exclusion : une catégorisation sans objet In: Genèses, 27, 1997.
Michel Messu L'exclusion : une catégorisation sans objet In: Genèses, 27, 1997. pp. 147-161. Résumé ■ Michel Messu: L'exclusion: une catégorisation sans objet L'auteur cherche à mettre à jour les enjeux théoriques et méthodologiques qui traversent l'entreprise réalisée sous la direction de Serge Paugam et publiée sous le titre L'exclusion, l'état des savoirs (La Découverte. 1996). Cet «état des savoirs» se solde par une majoration de l'incertitude théorique malgré des objectifs affichés de clarification de la notion. II pose également problème du point de vue de la méthode sociologique: que faire des mots du sens commun? Faut-il, et jusqu'à quel point, en préciser le sens et procéder à définition scientifique? C'est d'abord dans les contributions de ce volume encyclopédique que l'auteur cherche une solution aux impasses de cette entreprise édito- riale dont il analyse en partie les origines et les effets. Abstract Exclusion: unfounded categorising The author seeks to expose the theoretical and methodological stakes at the heart of a project carried out under the direction of Serge Paugam and published under the title: l'Exclusion, l'état des savoirs (La Découverte, 1996). Despite the explicit aim of clarifying the notion of exclusion, this «current state of knowledge» ends up by increasing theoretical uncertainty. It also raises a problem from the: standpoint of sociological method: what should be done about common sense words? Should their meaning be explained, and if so. should, they be defined scientifically? The author looks to the many contributions to this encyclopedic volume to find a way out of the deadlocked editorial project whose causes and effects he partially analyses. Citer ce document / Cite this document : Messu Michel. L'exclusion : une catégorisation sans objet. In: Genèses, 27, 1997. pp. 147-161. doi : 10.3406/genes.1997.1455 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1997_num_27_1_1455 С О N Т R О V R L'exclusion: une catégorisation sans objet Michel Messu "Ж "Tous souhaitons publier dans cette: I ^L I rubrique des textes vifs mais courtois, JL 1 qui prennent position pour ouvrir des débats importants dans nos univers profession nels. Ce fut le cas, nous semble-t-il, pour l'article de Marcel Maget qui, dans notre numéro 10, contestait la thèse de Christian Faure sur le folklore et la Révolution nationale. Il apportait sur l'ethnologie de la France sous Vichy des éléments d'information essentiels. Ce fut le cas encore pour la tribune que nous avons ouverte, dans le numéro 25, à un collect if de jeunes sociologues en colère: il critiquait . la procédure de recrutement des maîtres de conférences en apportant des témoignages utiles. C'est le cas à présent, espérons-le, avec ce compte rendu critique qui dissèque sans complaisance une récente entreprise éditoriale. Nous souhaitons ouvrir ainsi un espace public de dialogue entre professionnels. Ces contro verses n'ont pour l'instant pas connu de grands rebondissements. Sans ouvrir pour autant un droit de réponse systématique aux personnes , ainsi critiquées, il va de soi que nous accueille rons avec plaisir des articles argumentes qui permettraient de relancer le débat. ► ►► 1. Serge Paugam. L'Exclusion, l'état des savoirs. Paris. Éditions La Découverte. 1996. Genèses 27, juin iççj, pp. 147-161 Dans un gros volume de type encyclopé dique intitulé L'exclusion, l'état des savoirs, Serge Paugam a rassemblé près de cinquante contributions en vue de «de clarifier le concept d'exclusion»1, comme l'indique la quatrième de couverture. La ligne éditoriale adoptée se veut synthétique. Les nombreux spécialistes convoqués ici (historiens, philo sophes, sociologues, économistes, etc.) sont présentés comme des utilisateurs de la notion d'exclusion, «notion transversale dans les recherches en cours» (p. 17). L'ouvrage, en cinq parties distinctes, se propose de balayer les domaines d'analyse et les expériences poli tiques dans lesquels se manifeste toute la puis sance comprehensive de la notion, promue d'entrée à la dignité de «paradigme societal» 147 CONTROVERSES (p. 16). Ce large tour d'horizon est rendu pos sible par une réflexion préalable qui fait de la «crise du lien social» la grille de lecture dudit paradigme. Las, l'entreprise n'arrive pas à remplir l'ensemble de ses objectifs. On peut même dire qu'elle laisse le lecteur, qui s'est senti mystifié, à la fois frustré et satisfait d'avoir trouvé bon nombre d'articles d'une qualité théorique et d'écriture remarquable. D'autres pourtant inquiètent par leur démarche intel lectuelle ou la facilité avec laquelle ils adopt ent sans distance critique les mots et les st éréotypes des journalistes ou des politiques. Une série de paradoxes charpente l'édifice. Le premier consiste à vouloir rétablir dans son éclat une notion que nombre de contribu- teurs, et non des moindres, rejettent pour cause de confusion. Le deuxième tient à ce que les tentatives d'élucidation de la notion que l'on rencontre au fil des chapitres ne sont pas cumulatives - ou du moins n'ont pas été cumulées dans la synthèse de l'éditeur. Au contraire, autre paradoxe, ce dernier s'affran chit des contributions qu'il a rassemblées, pour proposer une mise en perspective peu convaincante. Enfin, l'ambition de clarifica tion affichée dans l'introduction se trouve abandonnée en conclusion. Les rejets de la notion Outre le rejet par omission, plusieurs cha pitres de l'ouvrage se donnent explicitement pour objectif soit d'écarter la notion même d'exclusion, soit d'accompagner son usage d'un luxe de précautions qui le rend, de fait, inopérant. 1 - Envisageons d'abord le rejet par omiss ion. Symptomatiquement, plusieurs chapitres dont les thèmes devraient conforter la validité ► ► ► analytique de la notion, ou du moins en four- 2. Julien Freund, Préface, in Martine Xiberras, Les nir Une illustration probante, préfèrent en Théories de l'exclusion, Paris, Méridiens Klincksieck, 1993. faire l'économie. Ainsi, le chapitre 19, «Le 148 О N R O V R quart monde des cités d'urgence», écrit par Jean Labbens, pionnier de la sociologie de la pauvreté de l'après-guerre et propagandiste du Mouvement ATD-Quart monde, ne fait pas la moindre allusion à l'exclusion sociale. De façon inattendue, le texte de Jean Labbens prend ses distances et introduit la suspicion.. Le rappel des thèses classiques d'ATD doit « apporter des éléments de réponse à nos pré occupations présentes», elles-mêmes définies par l'auteur comme une interrogation sur la «production» (et non la seule reproduction) de la pauvreté. D'où la concession faite à la «nouvelle pauvreté», mais point à l'exclusion. Cette absence de la notion d'exclusion pour désigner des populations que tout porterait à désigner comme des « exclus » prend l'allure d'un désaveu théorique. D'autant que Serge Paugam avait affirmé en introduction que « la référence à l'exclusion, comme menace pour la collectivité, est désormais plus ou moins acceptée par tout le monde» (p. 16). Jean Labbens rappelle ainsi, discrètement, qu'il n'en est rien. 2 - D'autres auteurs avancent des argu ments explicites en faveur du rejet ou, pour le moins, d'un usage réservé de la notion: son usage actuel et inconséquent la discrédite. Elle autorise l'amalgame entre le salarié, récemment licencié, le sans-abri de longue date, le sans-papiers reconduit à la frontière, la veuve âgée réduite au minimum vieillesse, le sidéen qui organise sa mort prochaine, etc. L'exclusion apparaît alors comme une notion forcément vague, dépourvue de validité conceptuelle parce que, selon le mot de Julien Freund, « saturée de sens », susceptible de dire tout et n'importe quoi2. Plusieurs contributeurs vont donc la récuser pour lui substituer parfois des notions non moins ambiguës. Ainsi, Henri-Jacques Stiker, dans le chapitre 26, « Handicap et exclusion. La construction sociale du handicap», préfère à la notion d'exclusion, « notion passe-partout dont la signification est difficile à cerner» (p. 318), celle de «liminarité». De même pour Didier Demazière, dans le chapitre 28,' « Chô mage et dynamiques identitaires» : « Les enquêtes disponibles ne mettent pas en évi dence une appropriation par les chômeurs de - la catégorie d'exclusion: aucun ne se définit i comme «exclu», aucun n'utilise ce terme, ni pour dire «on m'a exclu», ni pour dire «je me suis exclu» [Demazière et Dubar, 1994]» (p. 337). L'impuissance de la notion d'exclu sion à favoriser la connaissance des phéno mènes est également soulignée par Julien Damon et Jean-Marie Firdion dans le chapitre 32, «Vivre dans la rue: la question SDF»: « Dominée par les thématiques de l'exclusion et de l'urgence, la question SDF reste ancrée dans une logique qui empêche toute prudence , et qui, parfois, oriente la compassion vers l'idéologie» (p. 384). Michel Wieviorka, dans le chapitre 29," « Racisme et exclusion » pointe ■ lui aussi les carences conceptuelles du terme : «Les stéréotypes que véhicule la notion d'exclusion, qui semble impliquer le vide social, l'anomie, le manque, la souffrance, l'absence ou la perte de repères, passent à côté d'él éments qui ne méritent pas tous un jugement! négatif de l'extérieur. C'est pourquoi il vaut mieux prendre ses distances avec la notion d'exclusion», même si, ajoute aussitôt l'auteur, il en usera par commodité de langage (p. 346). . 3 - Le rejet toutefois peut se faire plus radi cal, comme le propose Robert Castel dans le chapitre 2, « Les marginaux dans l'histoire ». C'est en considérant le fonctionnement global de la société (ses structures de base, ses valeurs, son mode d'organisation du travail et de distribution uploads/Litterature/ l-x27-exclusion-une-categorisation-sans-objet 1 .pdf
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- Publié le Mar 29, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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