Revue des Études Grecques Télès le Cynique Marie-Odile Goulet-Cazé Citer ce doc

Revue des Études Grecques Télès le Cynique Marie-Odile Goulet-Cazé Citer ce document / Cite this document : Goulet-Cazé Marie-Odile. Télès le Cynique. In: Revue des Études Grecques, tome 94, fascicule 445-446, Janvier-juin 1981. pp. 166-172; doi : 10.3406/reg.1981.1269 http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1981_num_94_445_1269 Document généré le 20/09/2016 TÉLÉS LE CYNIQUE Télés est un professeur de philosophie de tendance cynique du me siècle avant Jésus-Christ, dont l'œuvre est disparue à l'exception de sept fragments qui ont été conservés par Γ Anthologium de Stobée. Ces textes ont été publiés dans une édition séparée, pour la première fois, à la fin du xixe siècle, par O. Hense (1). On est très surpris de constater qu'il a fallu attendre ces dernières années pour que l'ensemble des fragments soit enfin traduit en langue moderne (2). C'est en effet coup sur coup que viennent de paraître deux traductions de Télés en langue française et une en langue anglaise (3). Détail amusant, chacun des trois traducteurs qui, manifestement, ont travaillé de façon indépendante, est convaincu d'être le premier à publier une traduction en langue moderne de cet auteur. C'est sur le travail d'édition, de traduction et de commentaire accompli par le traducteur américain, Edward N. O'Neil, que vont porter les remarques qui suivent. Avec raison, ce dernier rappelle dans son introduction que les fragments de Télés, malgré leur manque d'originalité, sont intéressants pour (1) Teletis Reliquiae, 1. Auflage, Freiburg im Breisgau, 1889 ; 2. Auflage, Tubingen, 1909 ; reprographischer Nachdruck, Hildesheim/New York, 1969, cxxiv-107 p. (2) W. Capelle avait en effet traduit les extraits II et III dans Epiktet, Teles und Musonius. Wege zu glûckseligem Leben (Bibliothek der alten Welt, grie- chische Reihe, 3), Zurich, 1948, et on pouvait trouver encore une traduction de l'extrait II dans un appendice du tome II de La Révélation d'Hermès Trismé- giste d'A. J. Festugière, Paris, 1949, p. 592-597. (3) L. Paquet, Les Cyniques grecs. Fragments el témoignages (Philosophica, 4), Ottawa, 1975, p. 139-164 (voir le compte rendu bibliographique que nous avons donné de cet ouvrage dans la Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes, 52, 1978, p. 112-120). Edward N. O'Neil, Teles (The Cynic Teacher) (Society of Biblical Literature, Texts and Translations Nr 11, Graeco-Roman Religion Nr 3), Missoula (Montana), Scholars Press, 1977, xxv-97 p. A. J. Festugière, Deux prédicateurs de Γ Antiquité : Télés et Musonius (Bibliothèque des textes philosophiques), Paris, 1978, 130 p. TÉLÉS LE CYNIQUE 1G7 le lecteur moderne à trois points de vue. Ils nous ont conservé bon nombre do citations d'auteurs anciens dont les écrits sont par ailleurs perdus (les Cyniques Diogène, Crates, Métroclès, Bion, et le Mégarique Stilpon). D'autre part, ces textes, dont la valeur littéraire reste limitée, demeurent pour nous les témoignages les plus anciens de ce qu'on a coutume d'appeler la diatribe. Enfin, la lecture des fragments permet de rejoindre directement le Grec moyen du ine siècle, loin des cercles philosophiques et des discussions d'écoles. Le moraliste qu'est Télés parle en effet le langage de la rue. Ensuite, à partir d'un rapide bilan des données chronologiques fournies par les fragments, O'Neil conclut que Télés écrivait au milieu du me s., vers les années 242 ou peu après. Les villes d'Athènes et de Mégare, qui se trouvent à plusieurs reprises évoquées, pourraient toutes deux être considérées comme le lieu d'origine de Télés. En fait O'Neil suggère de voir plutôt dans Athènes la patrie du philosophe et dans Mégare le lieu de son exil (4). Dans cette introduction auraient pu être évoqués, sinon résolus, un certain nombre de problèmes sur lesquels des opinions contradictoires avaient été formulées parle passé. Ainsi, par exemple, faut-il penser que Théodore, rabrévia- teur dont les manuscrits de Stobée mentionnent le nom dans l'intitulé du premier fragment (έκ της Θεοδώρου των Τέλητος επιτομής περί του δοκεΐν και τοΰ είναι) a seulement abrégé le texte ou l'a complètement remanié (5) ? Ou encore, qui s'exprime derrière les « je » et les « nous » qui émaillent le texte ? Télés ? Son interlocuteur fictif ? Bion ? Théodore (6) ? Sans vouloir prétendre qu'on puisse donner une réponse définitive à ces questions, nous pensons que le problème ne doit pas être esquivé et qu'en procédant à l'examen global des passages en cause il est possible au moins de se former une opinion ^7). Enfin, (4) Cette suggestion ne va pas dans le sens de ce qu'avaient proposé ses prédécesseurs, puisque, pour Wilamowitz, Antigonos von Karystos (Philolo- gische Untersuchungen, 4), Berlin, 1881, Exkurs 3 (« Der kynische Prediger Teles »), p. 300-302, et Hense, op. cit., p. xxxvi-xxxix, Télés était un Mégarien. (5) Alors que Wilamowitz, op. cit., p. 293, et Hense, op. cit., p. xxvm, penchent pour l'hypothèse d'une simple abréviation, Crônert, Kolotes und Menedemos, p. 37-41, échafîaude une construction d'une incroyable complexité pour tenter de prouver que Théodore a complètement refondu le texte. En bref, Théodore, d'une part, aurait en maints endroits abrégé deux fois le texte, une fois en une version courte, une fois en une version longue, et un copiste négligent aurait recopié côte à côte les deux versions. D'autre part, cet abrévialeur aurait rajouté au texte de Télés des phrases de son cru. Une telle hypothèse, par l'enchevêtrement fort compliqué qu'elle suppose, reste invraisemblable et ne peut qu'inviter au scepticisme. (6) Pour Hense, op. cit., p. xxi-xxn et Gerhard, Phoinix von Kolophon, p. 66, il ne fait point de doute que c'est bien Télés qui dit à la fois «je » et « nous », mais cette interprétation, loin de faire l'unanimité, n'est pas celle de Weber, « De Dione Chrysostomo Cynicorum sectatore », Leipziger Studien zur classischen Philologie 10, 1887, p. 163, qui attribue le « nous » à Télés et le «je » à son interlocuteur, ni celle de Crônert, op. cit., p. 40, qui reconnaît dans le « nous » la marque de Théodore, du moins dans certains cas. (7) Nous sommes personnellement convaincue que c'est bien Télés qui dit « je », quand il veut donner son point de vue propre sur le problème qu'il traite 168 MARIE-ODILE GOULET-CAZÉ même si la critique moderne a raison de se méfier des abus de la Quellenforschung, a-t-on le droit de balayer d'un revers de phrase (p. xv) les tentatives faites au xixe siècle pour retrouver derrière les fragments de Télés un noyau originel bionéen ou stilponéen ? Là encore un bref rappel des thèses émises sur le sujet aurait au moins permis au lecteur de prendre conscience que la recherche sur le texte de Télés avait été par le passé le lieu des hypothèses les plus contradictoires (8). D'autre part, dans la note bibliographique (p. xxm, n. 17) que l'auteur consacre aux travaux sur Télés et qui prétend à une certaine exhaustivité, sont absentes quelques études, notamment celles d'Hirzel, de Crônert et de Gerhard qui comportaient des pages substantielles sur Télés et qu'Hense déjà mentionnait dans ses Prolégomènes (9). Le texte établi par O'Neil s'appuie pour l'essentiel sur la seconde édition Hense. Outre quelques détails relativement peu importants, comme la suppression d'un φησίν, le rétablissement de mots antérieurement supprimés par Wilamowitz puis Hense, ou de légères retouches dans la ponctuation, l'éditeur a introduit dans le texte quelques modifications avec lesquelles, comme nous le dirons plus loin, nous sommes en désaccord. Mais ce n'est pas là le grief essentiel que nous avons retenu contre ce travail : il est très grave de livrer au lecteur un texte dépourvu (ou presque) d'apparat critique. En n'identifiant pas, à de rares exceptions près, les conjectures d'Hense ou de ses devanciers, ni les ou appuyer une citation qui lui paraît particulièrement pertinente, et qui en même temps dit «nous», lorsqu'il s'adresse à ses étudiants en moraliste, conscient d'appartenir lui aussi à cette humanité folle dont il dénonce les travers et à qui il propose comme modèle la conduite idéale d'un Socrate ou d'un Cratès. (8) Télés a-t-il, comme le croit Hense, op. cil., p. xliv ss, lu les écrits de Bion et leur a-t-il emprunté l'essentiel de ses diatribes, de même qu'il aurait puisé dans la lecture directe de Stilpon les passages où il fait intervenir ce dernier ? Ou vaut-il mieux, à la suite d'Hirzel, Der Dialog, t. I, p. 368, n. 1, rejeter cette idée d'un emprunt direct et massif à Bion et voir dans l'œuvre de Télés une littérature épigonique largement tributaire des αποφθέγματα bionéens cités par Diogène Laërce IV, 47 et des Στίλπωνος απομνημονεύματα auxquels fait allusion Athénée dans les Deipnosophistes IV 162 Β ? (9) R. Hirzel, Der Dialog. Ein literarhistorischer Versuch, Leipzig, 1895, 2 vol. (sur Télés : t. I, p. 367-370 ; t. II, p. 12 et 29, sur Bion : t. I, p. 373 et 379) ; W. Crônert, Kolotes und Menedemos. Texte und Untersuchungen zur Philosophen- und Literaturgeschichte (Studien zur Palaeographie und Papyruskunde, 6), Munchen, 1906 (unverânderter Nachdruck, Amsterdam, 1965), vi-198 p. (sur Télés : p. 37-47) ; Id., « Eine Telesstelle und Anderes », Rheinisches Museum 62, 1907, p. 620-625 ; G. A. Gerhard, Phoinix von Kolophon. Texte und Untersuchungen, Leipzig/Berlin, 1909, uploads/Litterature/ goulet-caze-marie-odile-teles-le-cynique.pdf

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