Claude Addas Ibn Arabî et le voyage sans retour Éditions du Seuil Collection di
Claude Addas Ibn Arabî et le voyage sans retour Éditions du Seuil Collection dirigée par Vincent Bardet et Jean-Louis Schlegel ISBN 2-02-025126-4 © Éditions du Seuil 1996 Table 1. Faut-il brûler Ibn Arabî ? Un procès toujours recommencé 2. La prière du prince Une foudroyante métamorphose 3. « Fuyez vers Dieu ! » Sur les pas du Prophète Le disciple de Jésus 4. Les seigneurs de la Voie L’héroïsme des soufis d’Andalousie La « Voie du blâme » et la servitude absolue La tribu des saints 5. Le Sceau 6. « Lorsque disparaît ce qui n’a jamais été... » Le « monde imaginal », terre de contemplation La vision suprême 7. « A la distance de deux arcs ou plus près » Le « voyage nocturne » Les adieux à l’Occident 8. Les illuminations de La Mecque « Me voici, Seigneur, tout à Toi » 9. « Dieu est, et rien n’est avec Lui » L’unicité de l’être Les « exemplaires éternels » et la science divine « Il ne cesse d’être et tu ne cesses de n’être pas » 10. « Où que vous vous tourniez, là est la Face de Dieu » L’Assemblée des Noms divins « Le cœur de Mon serviteur croyant Me contient » « Ma Miséricorde embrasse toute chose » 11. Les deux horizons Errances Les héritiers du Maître La Lettre et la Loi Jugements sur Ibn Arabî Les auteurs musulmans Chronologie Orientation bibliographique Études Traductions 1 Faut-il brûler Ibn Arabî ? S’il est poète à ses heures, Sélim Ier n’est pas un rêveur. Maître de l’empire ottoman - après avoir sans états d’âme semé sur son chemin les cadavres de sa parentèle -, le père de Soliman le Magnifique est un conquérant pressé. Le 28 septembre 1516, il entre à Damas : la Syrie lui appartient, l’Égypte est sa prochaine étape. Après de durs combats contre les Mamelouks, il arrive au Caire en vainqueur le 7 février 1517. Au début d’octobre, il est de retour à Damas et met aussitôt en chantier la construction d’une mosquée et d’un mausolée qui, désormais, abritera le tombeau d’Ibn Arabî. Ce tombeau, gisant parmi les herbes folles dans un enclos à l’abandon, il l’avait déjà pieusement visité lors de son précédent séjour, à un moment où les préparatifs de l’expédition en Égypte semblaient devoir l’occuper tout entier. Les travaux, dont il contrôle personnellement l’exécution, avancent rapidement. Le 5 février 1518, la prière du vendredi est célébrée pour la première fois en présence du sultan. Le personnage ainsi honoré d’un hommage impérial n’était pourtant pas de ceux dont, à l’époque, les notables damascènes vénéraient la mémoire. Un voyageur marocain, quelques années auparavant, avait pu à grand-peine se faire indiquer l’emplacement du cimetière privé des Banû Zakî, où reposait Ibn Arabî : l’œuvre de ce dernier était alors en Syrie la cible de violentes polémiques et son auteur, frappé d’anathème, n’échappait à l’oubli que par la haine posthume qu’il suscitait chez la plupart. On s’interroge donc encore sur le motif de la fervente attention que porta Sélim à un maître spirituel dont l’enseignement était obscur et décrié : la métaphysique n’était pas son fort et sa politique n’avait rien à y gagner. On attribue à Ibn Arabî, il est vrai, un écrit - parfaitement apocryphe - censé prédire, en termes sibyllins, les hautes destinées de la dynastie ottomane et, en particulier, la conquête de la Syrie. Mais ce grimoire a été manifestement rédigé post eventum et il est fort peu probable que Selim l’ait connu. Il n’explique donc pas la surprenante dévotion du sultan, qu’imiteront sur ce point la plupart de ses successeurs. Juste retour des choses ? Trois siècles auparavant, Muhammad b. Alî al-Arabî al-Hâtimî al-Tâ’î, surnommé Muhyî al-dîn (« le Vivificateur de la religion »), venu de son Andalousie natale, avait trouvé à Damas, où il avait choisi de s’établir au terme de longues pérégrinations, l’accueil dû à un éminent soufi. Et c’est entouré de vénération et fort paisiblement que, âgé de soixante-dix-huit années lunaires, il y avait rendu l’âme le 8 novembre 1240 (638 de l’hégire). Tout aussi paisiblement sa dépouille avait été conduite vers sa dernière demeure, sur le mont Qâsiyûn. A ceux qui le pleuraient ce jour-là, il ne laissait aucun bien - il avait renoncé, depuis son adolescence, aux biens de ce monde -, mais il léguait une œuvre littéraire aux dimensions colossales. Qu’on le considère comme un philosophe ou comme un mystique, comme un hérétique ou comme un saint, un fait demeure incontournable : avec plus de quatre cents ouvrages à son actif, Ibn Arabî figure parmi les écrivains les plus féconds de la littérature arabe. Si certains de ces écrits ne sont que de brefs opuscules, d’autres, en revanche, comptent des milliers de pages. Il y a, par exemple, ce Recueil des connaissances divines (Dîwân al-Ma‘ârif), une somme poétique qu’Ibn Arabî a rédigée à la fin de sa vie en vue d’y rassembler l’intégralité des poèmes qu’il a composés au cours de sa longue existence, soit des dizaines de milliers de vers. Il y a ce commentaire du Coran en soixante-quatre volumes - encore est-il inachevé ! -, aujourd’hui disparu. Il y a aussi et surtout les trente-sept volumes des Futûhât Makkiyya, Les Illuminations de La Mecque. La première version est achevée en décembre 1231 et donnée en legs à son fils, « et après lui à ses descendants et à tous les musulmans d’Occident et d’Orient, sur terre et sur mer1 ». C’est dire que dans l’esprit d’Ibn Arabî, ce qu’il a consigné dans cette somme n’est point seulement destiné à une poignée d’érudits. C’est aux musulmans de tous les horizons, de tous les temps à venir, que s’adresse son message. «Je sus alors que ma parole atteindrait les deux horizons, celui d’Occident et celui d’Orient », déclare-t-il à la suite d’une vision survenue dans sa jeunesse. L’histoire lui a-t-elle donné raison ? Quand on songe que depuis plus de sept siècles son œuvre n’a cessé d’être lue, méditée - 1 Futûhât Makkiyya (désormais Fut.), Le Caire, 1329 h., IV, p. 554. attaquée aussi, nous y reviendrons - et commentée dans toutes les langues vernaculaires de l’islam ; quand on sait l’influence majeure qu’elle va exercer sur tout le soufisme - « the mystical dimension of islam », selon l’expression d’Anne-Marie Schimmel -, que ce soit dans ses formes érudites ou ses expressions populaires, force est de répondre par l’affirmative. En serait-il autrement, d’ailleurs, que la vindicte des oulémas à rencontre d’Ibn Arabî aurait cessé depuis longtemps. Si, depuis la fin du XIIIe siècle, ils persistent à combattre les idées que véhicule son enseignement, c’est qu’ils savent pertinemment que l’adversaire qu’ils traquent reste invaincu et que, de manière ouverte ou couverte, son œuvre demeure une référence majeure pour les « Hommes de la Voie ». Bien des facteurs que nous n’évoquerons pas ici, d’ordre historique, politique et socioculturel, ont contribué à ce rayonnement que les polémiques ont été impuissantes à éteindre. Il résulte aussi, à n’en pas douter, du caractère exhaustif de l’enseignement exposé dans les Futûhât : ontologie, exégèse, cosmologie, hagiologie, prophétologie, eschatologie, jurisprudence, rituel..., il n’est pas de question qui ne trouve une réponse dans ce compendium des sciences spirituelles - quand ce ne sont pas des réponses. Le Doctor Maximus a en effet le souci constant, lorsqu’il traite de questions litigieuses, d’indiquer les diverses opinions qui ont prévalu. Il n’exclut aucune des interprétations proposées, tout en signalant celle qui a sa préférence. Au demeurant - et contrairement à une opinion courante selon laquelle il était zâhirite2 -, Ibn Arabî n’est rattaché à aucune école juridique ou théologique. C’est un penseur indépendant, au sens le plus fort de ce terme. Non qu’il rejette l’héritage des maîtres qui l’ont précédé et dont son œuvre est, au contraire, totalement solidaire. Ibn Arabî, quoi qu’en disent ses adversaires, n’est pas un « innovateur », du moins au sens péjoratif qu’ils donnent à ce terme. Les Futûhât sont d’abord l’expression d’une extraordinaire synthèse qui ordonne et rassemble les membra disjecta d’une longue et riche tradition mystique. La formulation est certes parfois inédite, souvent audacieuse, mais ce qu’elle véhicule était présent, en germe, bien avant que son auteur voie le jour. La seconde version de cette Summa mystica - dont subsiste le manuscrit autographe - est achevée en 1238, deux ans avant la mort de l’auteur, et offre un état définitif et complet de son enseignement. D’emblée, on observe que les idées majeures qui s’y trouvent développées et le vocabulaire qui les exprime apparaissaient déjà dans ses écrits de jeunesse. Au surplus, Ibn Arabî a incorporé dans les Futûhât, pratiquement sans modification, de courts traités rédigés antérieurement. Aussi bien serait-il vain de vouloir retracer une évolution de sa pensée qui serait à mettre en rapport avec les étapes de sa biographie : c’est à un développement homogène de la doctrine à partir de prémisses immuables que l’on assiste. Et si, sur tel ou tel 2 Zâhirisme : nom d’une école juridique qui ne reconnaît uploads/Litterature/ ebook-claude-addas-ibn-arabi-et-le-voyage-sans-retour.pdf
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- Publié le Jul 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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