Thèse présentée pour obtenir le titre de Docteur d’Université Paris-Est Spécial
Thèse présentée pour obtenir le titre de Docteur d’Université Paris-Est Spécialité : Histoire Par Thomas Reyser Discours et Représentations de l’Au-delà dans le Monde Grec Volume 1 Thèse soutenue le 5 février 2011, devant le jury composé de : Marie-Françoise BASLEZ, Professeur d'Histoire des Religions à l'Université de Paris Sorbonne, directeur Corinne BONNET, Professeur d'Histoire Ancienne à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Institut Universitaire de France. Pierre ELLINGER, Professeur d'Histoire Ancienne à l'Université Paris Diderot-Paris 7. Vinciane PIRENNE-DELFORGE, FNRS, Directrice de Recherche du FNRS à l'Université de Liège. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 2 tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 3 Résumé Les représentations de l’au-delà en Grèce ancienne, depuis Homère jusqu’au IVe siècle après J.-C., posent la question de l’élaboration d’un espace imaginaire et de la perception du temps dans une société. Le choix de privilégier des cadres d’étude limités mais suffisamment documentés permet d’établir des strates successives de représentation de l’au-delà, toutes dominées par l’angoisse du passage dans l’autre monde. La comparaison des sources littéraires et des sources épigraphiques met en lumière les sentiments par rapport à l’au-delà et par rapport à la mort. Si le fatalisme domine largement à travers les époques, l’émergence progressive d’un jugement des défunts dans l’au-delà apporte l’espoir. Par ailleurs, les épitaphes permettent de distinguer ce qui relève des représentations collectives et des représentations individuelles . Dans ces dernières, une large place est faite aux sentiments familiaux et à l’espoir de conserver une vie sociale dans l’au-delà. Les représentations élaborées par des groupes religieux accentuent cet espoir qui est la marque de l’initié. Le judaïsme hellénisé et le christianisme inscrivent cette attente de l’au-delà pour le fidèle dans une théologie de la rétribution. Les stéréotypes tenaces associés à l’au-delà, qui sont le plus souvent hérités de grands auteurs, de grands textes ou encore de l’iconographie attique se retrouvent fortement nuancés. Le voyage dans la barque de Charon ou la présence de Cerbère ne sont que des représentations d’une époque donnée. L’au-delà n’est donc pas un espace figé mais, bien au contraire, il évolue en fonction de circonstances sociales et culturelles. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 4 Abstract Representations of afterlife in ancient Greece, from Homer to the fourth century AD, raise the question of the elaboration of an imaginary space and time perception in a society. The decision to focus on limited but well documented specific studies allows the identification of successive layers of representation of afterlife, all dominated by the fear of crossing into the netherworld. The comparison between the literary texts and epigraphic materials highlights the feelings concerning afterlife and death. If fatalism dominates throughout the ages, the gradual emergence of a judgment of the deceased in the afterlife brings hope. Moreover, the epitaphs make it possible to distinguish what belongs to the collective representations from what belongs to the individual. In those ones, emphasis is given to family feelings and the hope of maintaining a social life in the hereafter. Representations elaborated by religious communities emphasize that very hope, which is the mark of the insider. Hellenized Judaism along with Christianism engrave this expectation of the afterlife for the believers in a theology of retribution. Persistent stereotypes associated with afterlife - which are mostly inherited from great authors, great texts or Attic iconography - are highly qualified. The trip in Charon’s boat, or the presence of Cerberus are only representations of a given era. Afterlife is not a fixed space but, quite the opposite, it evolves according to social and cultural circumstances. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 5 INTRODUCTION Mener une étude des représentations de l’au-delà d’un groupe humain, c’est évidemment se poser la double question de la représentation du temps et de l’espace (fut-il imaginaire). Si ces deux catégories constituent pour Kant les pré-requis de toute expérience humaine, il convient néanmoins de les distinguer car elles n’interviennent pas à un même niveau : la dimension temporelle de la perception de l’au-delà relève d’une dimension individuelle puisqu’elle s’inscrit dans le temps de la vie humaine alors que la dimension spatiale de l’au-delà relève à la fois de l’imaginaire collectif et de l’imaginaire individuel. Dans son ouvrage paru en 2005, Hervé Barreau distingue trois conceptions fondamentales du temps : circulaire, linéaire et ramifiée 1 . La distinction fondamentale entre le temps circulaire et le temps linéaire repose sur la coïncidence ou non de l’origine et de la fin du temps. Le calendrier agraire où la fin correspond au début d’un nouveau cycle en est le meilleur exemple. Le temps ramifié n’est qu’une variante du temps linéaire ; la ramification correspond à un choix possible à un instant précis avant que le temps ne retrouve son cours normal. Natale Spineto, dans l’introduction du Temps et de la Destinée humaine, a montré les implications possibles de cette conception dans le domaine religieux 2. La ramification peut prendre forme, par exemple, lors du rite ; la possibilité de bien accomplir ou non 1 H.Barreau, Le Temps, 2005 2 N.Spineto, « Religions et temps », Le temps et la destinée humaine, Homo Religiosus, II, 6, 2007, p.7-24 tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 6 l’acte rituel détermine le futur de la communauté. Dans le champ mythique, cette conception ramifiée du temps peut se manifester par la volonté divine : la peste dans le camp des Achéens au début de l’Iliade est le fruit de la volonté de Zeus3. Ces perceptions du temps ne sont évidemment pas exclusives ; plusieurs temporalités peuvent coexister dans une société. Pierre Vidal-Naquet a mis en évidence que pour Hésiode temps linéaire et temps cyclique cohabitent4. Le temps des dieux est linéaire puisqu’il part du chaos pour aboutir au règne de Zeus. Le temps des races humaines est lui aussi linéaire : il correspond à une décadence alors que le temps vécu de l’homme est cyclique puisqu’il repose sur les travaux agricoles. Avant d’évoquer le calendrier agraire, Hésiode donne comme conseil « fais succéder travail à travail » ce qui témoigne d’une vision circulaire du temps où la vie est une répétition des mêmes gestes5. Analyser les perceptions de l’au-delà du point de vue de la représentation temporelle conduit de fait à trois grandes catégories. Si la vision de l’au-delà repose sur une conception cyclique du temps, la mort n’est qu’une étape avant un recommencement ou une réincarnation. Dans le cadre d’une vision linéaire du temps, l’au-delà est une fin où le devenir du défunt n’est pas conditionné par sa vie. Par contre, une vision ramifiée du temps ouvre la possibilité de déterminer le devenir post-mortem du défunt en fonction des actes accomplis durant sa vie. Les représentations de l’au-delà n’ont pas seulement une dimension temporelle, et l’on ne saurait en rester à la définition qu’en donne José Costa dans son étude consacrée à l’au-delà et à la résurrection dans la littérature rabbinique. Il propose la définition suivante : « L’au-delà correspond à la dimension individuelle de l’eschatologie ». Ce qui implique que toute conception de l’au-delà est une 3 Iliade, I, 5-6 4 P.Vidal-Naquet, « Temps des dieux et temps des hommes, Essai sur quelques aspects de l’expérience temporelle chez les Grecs », RHR, 157, 1960, p. 55-80 O.Cullman et M.Eliade considéraient que la conception du temps, en Grèce ancienne, est cyclique comme dans toutes les sociétés primitives. Pour eux, la linéarité temporelle est l’apanage du Judaïsme et du Christianisme. O.Cullman, Christ et le temps, 1947. M.Eliade, Le Mythe de l’éternel retour, 1949 5 Hésiode, Les Travaux et les Jours, 382 tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 7 projection dans le temps6. Pourtant l’expression « au-delà » contient en elle une dimension spatiale. Par définition, cet espace n’est pas expérimenté par les vivants, ce qui ne constitue pas une singularité dans le monde ancien : Arnaud Sérandour a, en effet montré, que tout au long de l’Antiquité, la représentation de l’espace est restée essentiellement mentale, sans être matérialisée fut-ce graphiquement7. Faut-il considérer l’au-delà comme un espace imaginaire ? C’est peut être un faux problème dans la mesure où la distinction entre espace réel et imaginaire est parfois fluctuante ainsi que l’a montré Christian Jacob8. L’espace vécu ne s’oppose pas à des espaces imaginés, ce sont ces derniers qui sont construits en fonction de l’espace vécu sur des critères mathématiques ou ethnographique. La reconstitution par Hérodote des cours de l’Istros et du Nil, selon une symétrie parfaite mais aberrante, en fournit un exemple saisissant 9 . C’est dans cette optique qu’Annie Bonnafé, Jean Claude Decourt et Bruno Helly attirent l’attention sur l’importance de la situation géographique de l’auteur d’une carte ou d’une description d’un espace10. Si nous revenons au cas particulier de la représentation spatiale de l’au-delà, l’auteur est toujours en situation extérieure par rapport à l’espace décrit. On en déduit que le monde du descripteur et le monde décrit sont liés par des éléments rhétoriques qu’il convient de mettre en lumière ; le monde des morts est-il un décalque du monde des vivants ou bien est-ce une image inversée de ce même uploads/Litterature/ discours-et-representations-de-l-x27-au-dela-dans-le-monde-grec.pdf
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- Publié le Jui 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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