FORMATIONS THEMATIQUES – QUESTION DE CINÉMA Février 2010 – Cinémathèque françai
FORMATIONS THEMATIQUES – QUESTION DE CINÉMA Février 2010 – Cinémathèque française Filmer le corps Corps-acteur, corps-objet, les stratégies du cinémascope - 1 Le corps, en suspension - 2 Des corps à l’écran : une histoire du XXe siècle - 3 L’itinéraire du corps - 4 Cinémas Indépendants Parisiens – Formation des enseignants – Lycéens et apprentis au cinéma 2009/2010 Filmer le corps – 3/4 Des corps à l’écran : une histoire du XXe siècle Auteur Antoine de Baecque Antoine de Baecque est historien et critique de cinéma. Il a été rédacteur en chef des Cahiers du cinéma entre 1997 et 1999, puis rédacteur en chef des pages Culture de Libération de 2001 à 2006. . Il a publié notamment des essais sur la Nouvelle Vague, la Cinéphilie, une biographie de François Truffaut et, à paraître mi-mars 2010 : Godard (Grasset). Il est également l'auteur d'essais historiques, entre autres, Le Corps de l'histoire (Calmann-Lévy, 1993), La Gloire et l’effroi (1997, Grasset), Les Eclats du rire (Calmann- Lévy, 2001), ou Histoire du Festival d'Avignon (Gallimard, 2007, avec Emmanuel Loyer). Descriptif La propriété première du cinéma est d'enregistrer des corps : les faire entrer et bouger dans un espace, raconter des histoires avec eux, ce qui revient à les rendre infiniment aimables et séduisants, et parfois dans le même temps malades et monstrueux. L'enregistrement brut comme la mise en fiction passe, au cinéma, par cette maladie et cette beauté, celles-ci prenant la forme de la défiguration terrifiante ou de la refiguration idéale. Frankenstein ou Dracula, ou Le baiser, d'une certaine manière, est à la fiction cinématographique américaine ce que L'Arroseur arrosé est aux vues françaises des frères Lumière : l'accident corporel qui fait naître l'histoire. Les forains l'ont compris très tôt, avant même les grandes compagnies de production du cinéma muet : le badaud vient voir un corps sur l'écran, donc, si possible, étrange, effroyable, impressionnant, magnifique, pervers, jouissant. C'est une relation à la fois immédiate et obligée : le corps exposé au cinéma est la première trace de la croyance dans le spectacle, donc le lieu où le spectaculaire, mais aussi la séduction, voire le mystère et le sacré, s'investissent de manière privilégiée. Dès lors, on suivra les principales évolutions du corps mis en scène au cinéma au XXe siècle, tout en tentant de croiser le plus souvent possible les histoires des représentations du corps dans la société. Il me semble suggestif de comprendre les mutations des corps à l'écran grâce à celles du travail des apparences au sein du social. Ou inversement. Comprendre les corps du burlesque grâce à ceux de la caricature, du Caf'Conc, du cirque Belle Epoque, interpréter la fabrication du glamour et de la beauté en situation dans leur contexte, penser les corps du cinéma classique américain avec ceux qui se meuvent sur le plateau nu chez Jean Vilar, ou lier les expériences sur la matière corporelle chez des artistes aussi différents que Grotowski, Carmelo Bene, Julian Beck, Pier Paolo Pasolini, Jerzy Skolimowski, Nagisa Oshima, ou encore montrer comment les corps des héros et super-héros, de Superman à Rocky, de Bruce Lee à Rambo, nous disent un état de l'Amérique et de son empire. Antoine de Baecque La propriété première du cinéma est d'enregistrer des corps : les faire entrer et bouger dans un espace, raconter des histoires avec eux, ce qui revient à les rendre infiniment aimables et séduisants, et parfois dans le même temps malades et monstrueux. L'enregistrement brut comme la mise en fiction passe, au cinéma, par cette maladie et cette beauté, celles-ci prenant la forme Cinémas Indépendants Parisiens – Formation des enseignants – Lycéens et apprentis au cinéma 2009/2010 2/15 de la défiguration terrifiante ou de la refiguration idéale. Frankenstein ou Dracula, ou Le Baiser, d'une certaine manière, sont à la fiction cinématographique américaine ce que L'Arroseur arrosé est aux vues françaises des frères Lumière : l'accident corporel qui fait naître l'histoire. Les forains l'ont compris très tôt, avant même les grandes compagnies de production du cinéma muet : le badaud vient voir un corps sur l'écran, donc, si possible, étrange, effroyable, impressionnant, magnifique, pervers, jouissant. C'est une relation à la fois immédiate et obligée : le corps exposé au cinéma est la première trace de la croyance dans le spectacle, donc le lieu où le spectaculaire, mais aussi la séduction, voire le mystère et le sacré, s'investissent de manière privilégiée. Dès lors, on suivra les principales évolutions du corps mis en scène au cinéma au XXe siècle, tout en tentant de croiser le plus souvent possible ces évolutions cinématographiques avec l'histoire des représentations du corps dans la société. Il me semble suggestif de comprendre les mutations des corps à l'écran grâce à celles du travail des apparences au sein du social. Ou inversement. Interpréter la fabrication du glamour et de la beauté féminine en situation dans leur contexte ; penser le corps viril, et son évolution de l'idéal à sa défaite, comme une mutation historique des représentations du corps masculin, ou encore montrer comment la beauté des corps rebelles, de James Dean et Marlon Brando, à Bruce Lee et Rambo, nous dit un état de l'Amérique et de son empire. Car ce qui impose le corps comme fragment d'histoire, et lui fait quitter les seules rivages fétichistes de la cinéphilie, c'est sa représentation historicisée. Quand un corps se transforme en fait social grâce aux pouvoirs du cinéma : il devient expérience de tous et de chacun, intensifiant sa perception, et acquiert la puissance de cristalliser et de dire les attentes, les craintes ou les valeurs d'une société. Un corps se fait punctum d'un temps historique et d'un espace social, portant par sa force ou sa faiblesse le pouvoir d'engendrer une représentation de soi collective 1. Les corps virils : de l'idéal séducteur à la défaite séduisante Le cinéma est né musclé, bandé, incarné. L'exhibition du corps masculin athlétique est une des principales attractions du cinéma primitif. Chez Edison, chez Muybridge, chez Marey, chez Méliès, la forme virile est enregistrée et proposée en modèle, lutteurs, boxeurs, athlètes, danseurs, coureurs, marcheurs, les muscles en mouvement, le corps plein d'allant. Ce corps est parvenu au cinéma via les exhibitions circassiennes, foraines, les numéros de Variétés ou de Caf'conc. Cette représentation du corps est d'emblée au cœur du dispositif cinématographique. Des films sont spécifiquement consacrés à ces phénomènes de virilité maculine. Des petites sociétés cinématographiques se spécialisent dans l'enregistrement et le filmage d'événements sportifs (Phocéa avec la boxe et le fameux combat entre Carpentier, héros français par excellence, et Nilles ; Aubert et les Jeux Olympiques, qui se déroulent en 1924 à Paris ; Kastor et Lallement et le film de montagne, notamment des expéditions au Mont-Blanc, au Cervin, tels A la conquête des cimes, avec le guide de Zermatt Hermann Perren, "le loup des glaciers", ou La Caravane cinématographique de René Moureau. D'autres n'hésitent pas à proposer les premiers films pornographiques, la plupart du temps de courtes bandes de quelques minutes, projetés dans les bordels Belle-Epoque, comme une sorte d'amuse-gueule dans un boudoir devenu salle d'attente. Certains de ces films sont des strip-tease féminins, Le Bain d'Yvette ou Le Coucher de la mariée, mais d'autres exhibent la virilité en acte, avec pour héros l'Abbé Bitt, ou pour réalisateur Will B. Hard (qui tourne en 1915, le premier porno américain, A Free Ride). Ado Kyrou, chantre du cinéma surréaliste et érotique, décrit ainsi une bobine historique assez particulière du début des années 1910, La bonne Auberge : "Un vaillant mousquetaire moustachu se présente, affamé, à la porte d'une hostellerie. “Plus rien à manger” répond l'aubergiste. Heureusement, grâce à une accorte serveuse, dès qu'il a baissé pantalon, un repas amoureux lui sera offert…" Gascon, soldat, moustachu, ardent et bien membré, voici le stéréotype du "hardeur" qui se met en place, cliché corporel par excellence du cinéma. Les acteurs sont payés 250 francs la scène, somme coquette, parfois dissimulés sous des postiches et des pseudonymes, et les films eux-mêmes se négocient jusqu'à 12 000 francs sur le marché des maisons closes. Mais le genre assûrément le plus ouvertement corporel est alors le forzuto italien, pendant masculin au star-system féminin des divas. Ce héros athlético-acrobatique fait son entrée dans deux peplums, Quo Vadis d'Enrico Guazzoni en 1913, Cabiria de Giovanni Pastrone en 1914, avant de connaître un développement si important qu'il se transforme un temps en un genre en soi, le personnage du forzuto (homme fort, géant, hercule, lutteur, gladiateur) devenant un type de Cinémas Indépendants Parisiens – Formation des enseignants – Lycéens et apprentis au cinéma 2009/2010 3/15 film : un forzuto, où l'exploit musculaire devient l'objet même de l'enregistrement cinématographique. Bruto Castellani incarne Ursus dans Quo Vadis, Bartolomeo Pagano est Maciste dans Cabiria, et ces deux bêtes d'écran aux mensurations impressionnantes deviennent les principales vedettes masculines du cinéma transalpin quinze ans durant. Ils font jouer leurs muscles, portent des charges exceptionnelles ou plusieurs figurants en même temps, campent dans l'arêne face aux fauves et les repoussent par le seul fait de leur puissance, s'imposent à la tête des uploads/Litterature/ des-corps-a-l-x27-ecran-une-histoire-du-xxe-siecle.pdf
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- Publié le Sep 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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