Objet d’étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Corpus Text
Objet d’étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Corpus Texte A Stendhal, Le Rouge et le Noir Texte B Albert Camus, L’Etranger Texte C Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman Texte A Stendhal, Le Rouge et le Noir Julien, jeune homme pauvre et ambitieux, est précepteur des enfants du maire, M. de Rênal. Il vient d’obtenir une double victoire : l’attention de la maîtresse de maison, et une augmentation de son salaire. J’ai gagné une bataille, se dit-il aussitôt qu’il se vit dans les bois et loin du regard des hommes, j’ai donc gagné une bataille. Ce mot lui peignait en beau toute sa position, et rendit à son âme quelque tranquillité. Lycée Lislet Geoffroy Allouche – Emmanuel – Sornom – Magne – Sormassoundrom 1 5 10 15 20 25 30 Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à l’homme heureux et puissant contre lequel, une heure auparavant, il était bouillant de colère, acheva de rasséréner l’âme de Julien. Il fut presque sensible un moment à la beauté ravissante des bois au milieu desquels il marchait. D’énormes quartiers de roches nues étaient tombés jadis au milieu de la forêt du côté de la montagne. De grands hêtres s’élevaient presque aussi haut que ces rochers dont l’ombre donnait une fraîcheur délicieuse à trois pas des endroits où la chaleur des rayons du soleil eût rendu impossible de s’arrêter. Julien prenait haleine un instant à l’ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens de chèvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d’être séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral. L’air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l’agiter malgré la violence de ses mouvements, n’avait rien de personnel. S’il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l’eût oublié, lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l’ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! Plus de cinquante écus par an ! Un instant auparavant, je m’étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour ; la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à demain les pénibles recherches. Julien, debout sur son grand rocher, regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher, quand elles se taisaient tout était silencieux autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement. C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ? Stendhal (1783-1842), Le Rouge et le Noir, première partie, chapitre X, 1830 Lycée Lislet Geoffroy Allouche – Emmanuel – Sornom – Magne – Sormassoundrom 2 5 10 15 J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jaillit du couteau en face de moi. Cette épée brûlante rongeait les cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. Texte B Albert Camus, L’Etranger Le héros, Meursault, raconte, indifférent aux évènements qui se produisent, son existence banale. Un jour, un concours de circonstances le conduit à commettre un meurtre. Albert Camus (1913-1960) L’Etranger, 1942 Lycée Lislet Geoffroy Allouche – Emmanuel – Sornom – Magne – Sormassoundrom 3 5 10 15 20 Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui- là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. C'est grâce à ce caractère qu'il léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême.[…] Texte C Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique. Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? […] On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu. Peut-être n'est-ce pas un progrès, mais il est certain que l'époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s'identifier à l'ascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. Le monde lui-même n'est plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte de proie, qu'il s'agissait moins de connaître que de conquérir. Alain-Robbe-Grillet (né en 1922) Pour un nouveau roman, Editions de Minuit, 1963 Lycée Lislet Geoffroy Allouche – Emmanuel – Sornom – Magne – Sormassoundrom 4 I) Question 1) Quelle est la thèse de Robbe-Grillet ? En quoi les textes A et B illustrent-ils cette thèse ? II) Travaux d’écriture Vous traiterez l’un des trois sujets suivants. 1. Commentaire Vous commenterez le texte de Stendhal 2. Dissertation Alain Robbe-Grillet écrit en parlant du personnage de roman que « son caractère permet au lecteur de le juger, de l’aimer, de le haïr ». Pensez-vous que c’est le personnage qui vous permet d’apprécier la lecture d’un roman ? 3. Ecriture d’invention Sujet : Après le meurtre de l’arabe, Meursault se retrouve devant les assises. Son avocat axe sa défense sur l’inconsistance de son client. Imaginez sa plaidoirie qui pourrait commencer ainsi : « Messieurs les jurés Meursault n’est pas Julien Sorel » Lycée Lislet Geoffroy Allouche – Emmanuel – Sornom – Magne – Sormassoundrom 5 Eléments de correction pour la question 1) Quelle est la thèse de Robbe-Grillet ? En quoi les textes A et B illustrent-ils cette thèse ? Selon l’auteur les romans qui mettent en scène des héros avec une psychologie, un caractère, une histoire, appartiennent au passé (« le roman de personnage »). Dans les romans contemporains le personnage a cédé la place à « un fantoche ». Dans le texte A, Julien Sorel est animé par l’ambition, la réussite, la gloire. Il compare sa destinée à celle de Napoléon. Il s’identifie à son modèle. Il rêve d’ascension sociale. Il veut conquérir uploads/Litterature/ sujet-roman-de-stendhal-le-rouge-et-le-noir 1 .pdf
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- Publié le Oct 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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