Commentaire de l’acte III scène 3 qui s’appuie sur l’ouvrage « Théâtre : texte
Commentaire de l’acte III scène 3 qui s’appuie sur l’ouvrage « Théâtre : texte et représentation » par Alexis et Camille de Hillerin . De « suis-je un Satan » à « tout ce que j’ai à voir c’est que je suis perdu […] ils ne me comprendront » Lorenzo joue le compagnon débauché du duc de Médicis qui fait régner dans Florence un climat d’odieuse corruption, mais on le voit reçu chez Philippe Strozzi (un vieux républicain). La scène 3 de l’acte III s’ouvre sur l’arrestation brutale de deux fils de la famille Strozzi et Philippe demande à Lorenzo ce qu’il faut penser de lui de lui-même. Lorenzo va se livrer à une poignante confidence, dans laquelle il ne croit plus à son rêve de liberté pour l’humanité, celle-ci l’écoeure. Dans un mouvement à la fois rétrospectif, introspectif et spéculatif il va livrer sa vision du monde et de l’existence humaine. Le dramaturge crée ainsi une nouvelle dramaturgie. I) Une élégie romantique Par certains aspects, Lorenzo, jeune florentin des années 1530, appartient à la génération romantique de 1830, aux aspirations élevées « un enfant du siècle », dont la jeunesse fut idéaliste. Une confidence nous donne la première preuve de son innocence passée : « j’aurai pleuré avec la première fille que j’ai séduite ». l’aveu révèle la sensiblité extrême et une quête de fusion amoureuse. Lorenzo rêve aussi d’engagement contre la tyrannie « Brutus moderne », il veut sauver la République. Ici encore, l’innocence des intentions est souvent soulignée par une comparaison « comme un enfant de dix ans ». Mais cette pureté a connu la flétrissure « la première fille », « quand j’ai commencé », « dans mes habits neufs », « j’entrai alors dans la vie ». L’opposition entre l’interrogation initiale « Suis- je un Satan ? » et l’exclamation « «Lumière du ciel » connote le récit biblique et la récit de la chute originelle. Aussi, toute la tirade exprime-t-elle la nostalgie d’un paradis perdu « je m’en souviens encore » « 20 années de vertu »----une jeunesse nourrie de rêve et d’absolu. Dès lors, Musset prête à Lorenzaccio certains accents pathétiques du héros romantique. Ainsi, le cri « O Philippe ! » qui ponctue le récit de la découverte du vice est déchirant. L’angoisse que provoque en lui le spectacle du mal s’exprime par l’anaphore du verbe voir « je vis que », « j’ai vu les hommes tels qu’ils sont » ; « j’ai vu les républicains », « j’ai vu l’effet que produisait sur eux la tyrannie » qui ponctue le récit énumératif de sa descente aux enfers et reprend en écho « j’ai bu ». ces constats désabusés au passé composé s’opposent aux verbes à l’imparfait « je regardais », « je cherchais », « j’attendais toujours », « j’observais », toute la souffrance de ce déchirement passé semble se revivre ici : d’un côté, le témoin de la corruption, de l’autre, celui qui espère le triomphe de la pureté. Le pathétique naît aussi du sentiment de solitude que suggère l’emploi redondant de la première personne opposée à une foule anonyme « tout le monde », « les hommes ». Le rêve de communion avec autrui ne peut se réaliser comme le suggèrent les interrogations insistantes : « pour qui est-ce donc que je travaille ? » « quand j’aurai fini mon coup, celui-là en profitera-t-il ? ». On peut constater que les scènes évoquées au passé auraient pu être l’occasion de véritables rencontres humaines , mais Lorenzo a traversé le monde, en ne croisant que des ombres, comme le suggèrent les compléments d’objet des verbes « j’ai recueilli les discours » « j’ai vu l’effet », « j’ai bu dans les banquets le vin », « j’ai avalé les larmes », ou bien encore l’absence de compléments « je suis entré dans les boutiques, j’ai écouté, j’ai guetté ». Lorenzo a toujours déambulé seul « avec mon fantôme à mes côtés », et si son ton n’est pas proprement élégiaque, il inspire de la compassion au spectateur, partagée par Philippe Strozzi « je te plains ». L’extrait s’achève donc sur le constat douloureux d’un destin d’impuissance et de solitude « tout ce que j’ai à voir, moi, c’est que je suis perdu, et que les hommes n’en profiteront pas plus qu’ils ne comprendront. » Riche de connotations tragiques et religieuses, le participe passé « perdu » révèle la désespérance du héros, conscient d’une fin imminente. II) Une médiation sur la nature de l’humanité Par le biais de cette confidence, Musset précise le portrait de Lorenzaccio, portrait déchiré entre l’idéalisme passé et le cynisme présent/ Mais surtout il nous confronte à notre propre reflet dans le regard du héros. L’humanité, à l’image de Lorenzaccio se révèle duplice : elle a deux visages et celui de la vertu n’est qu’un masque : « j’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant […] et je vis qu’à mon approche tout le monde en faisait autant que moi : tous les masques tombaient. » Lorenzo dénonce ici le scandale de l’hypocrisie universelle, il ne peut excuser la contagion foudroyante du vice. Le récit tout entier s’attache à démasquer cette imposture : sous les discours « des banquets patriotiques » où « le vin engendre la métaphore et la prosopopée, Lorenzo n’a trouvé que lâcheté et complaisance à « la tyrannie » ; de même les plus prudes cèdent à la débauche « j’ai avalé entre deux baisers les larmes les plus vertueuses. » Par les superlatifs et les hyperboles, la société apparaît comme entièrement compromise. L’image des « habits […] de la grande confrérie du vice », comparés à « l’armure du géant de la fable insiste à la fois sur le caractère universel, occulte et indestructible du mal. Lorenzaccio n’hésite pas à recourir aux images les plus dégradantes et la corruption du monde se donne littéralement à voir dans le dépliement d’hypotyposes frappantes. La première est celle de la flétrissure : « je croyais que la corruption était un stigmate et que les monstres seuls le portaient au front.» Les illusions d’un idéalisme manichéen sont ici dénoncées : le mal moral ne s’incarne pas pour être mieux reconnu, il n’est ni circonscrit ni marginal mais porte l’apparence de la normalité. Ainsi, l’image du masque est relayée par celle du vêtement « l’humanité souleva sa robe et me montra comme un adepte indigne d’elle, sa monstrueuse nudité ». Le mot « adepte reprend la métaphore de « la confrérie du vice ». Le rite initiatique pour intégrer le néophyte est ici présenté comme un horrible dépucelage, qui fait échos au rire insensible et moqueur du premier souvenir de Lorenzo. Jusqu’à la fin de la première réplique, Musset file cette métaphore virginale, en faisant référence au poème biblique du Cantique des cantiques : « j’observais comme un amant sa fiancée en attendant le jour des noces. » Mais la révélation est amère puisque l’humanité que découvre Lorenzo prend la forme allégorique d’une prostituée, une catin impudique au corps dégoûtant et même au visage corrompu : cette fois, le mouvement s’inverse, Lorenzo semble vouloir lever le masque du vice pour retrouver un reflet de pureté originelle, mais en vain : « j’attendais toujours que l’humanité me laissât sur voir sa face quelque chose d’honnête. » Plus écoeurante et plus avilissante encore est la métaphore de la dernière réplique. Lorenzo y ravale l’homme au rang de chien : encore une fois, il se contente d’un témoignage oculaire : « on peut voir qu’il se roule sur les cadavres. » L’image devient alors répugnante : « te que la langue avec laquelle il lèche son maître sent la charogne d’une lieue. » Mais ce cynisme, au sens étymologique du terme n’empêche pas Musset de nous interroger sur la nature véritable de l’homme. La courte réplique de Strozzi rappelle la dualité humaine par une antithèse et une comparaison très hugoliennes : « le mal existe, mais non pas sans le bien ; comme l’ombre existe mais non pas sans la lumière. » Or Lorenzo refuse la caricature que Philippe fait de lui : « Tu ne veux voir en moi qu’un mépriseur d’hommes, c’est me faire injure. » La formule n’est pas sans rappeler la périphrase évangélique des « pécheurs d’hommes » ; et, une fois de plus, écarte de lui la figure d’antéchrist. S’il constate l’hégémonie du vice, Lorenzo ne nie pas la réalité de la vertu : la femme séduite laisse couler « les larmes vertueuses », le chien charognard est « un ami fidèle », « le meilleur des serviteurs » ; les limites sont brouillées entre le bien et le mal. Tout le drame de Lorenzaccio c’est de ne plus savoir distinguer en soi le masque du visage. La duplicité du rôle qu’il s’est imposé n’est que le reflet de la dualité de l’homme ; mais le combat de ces forces n’est plus un principe dynamique uploads/Litterature/ commentaire-de-lorenzaccio 1 .pdf
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- Publié le Mai 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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