L'ÉCOLE DES CADAVRES Louis Ferdinand Céline. 1ere partie LES ÉDITIONS DENOËL À

L'ÉCOLE DES CADAVRES Louis Ferdinand Céline. 1ere partie LES ÉDITIONS DENOËL À JULIEN L’APOSTAT Préface de l’édition de 1942 L’eau a passé sous les ponts depuis la sortie de ce livre ! Le monde a changé de visage. Encore quelques mois, quelques ans et l’on racontera des histoires qui n’auront plus ni queues ni têtes, personne ne se souviendra plus. Les témoins authentiques seront morts ou gâteux, ou enrôlés ailleurs. Tuer sous silence ou broderie, telle est la grande œuvre du Temps, je me méfie. Ah ! ce métier je le connais, je suis Temps moi-même à mes heures ! Tout passionné de broderies ! De là si défiant, susceptible. Juste là donc deux trois mots avant l’oubli, sur les caractères, les façons, les petits mérites de ce livre. 1° Imprimé sous Daladier. 2° Il fit condamner son auteur le 21 juin 1939 sur plainte de M. Rouquès qui s’y trouvait diffamé. M. Rouquès, chirurgien du Syndicat des métaux et des Brigades Internationales. La parution de l’École ne fit aucun bruit – silence total, scrupuleux de toute la presse française – y compris la pacifiste, l’antisémite, la franco-allemande, etc., etc., pas un écho, pas une ligne, le frigo intégral, la pétoche totale, le désaveu absolu. Raisons de ce hoquetunanime : l’École était le seul texte à l’époque (journal ou livre) à la fois et en même temps : antisémite, raciste, collaborateur (avant l’heure) jusqu’à l’alliance militaire immédiate, anti-anglais, antimaçon et présageant la catastrophe absolue en cas de conflit. [8] Souvenons-nous qu’il était possible, toléré sous Blum d’être ceci ou cela, mais pas tout à la fois et en même temps. Tout le morceau ! On vous tolérait en somme d’avoir l’air de…mais toujours avec une petite réserve, un recours, un caleçon – à votre choix. Si vous étiez antisémite alors s’il vous plait en même temps antiraciste ! à la bonne heure ! Le coup nul !... Si vous étiez rapprochiste, alors, je vous prie, en même temps pro-anglais ! Bravo ! Antiguerre, soit si vous voulez ! mais conférencier en loge ! La compensation ! Toujours un petit crochet au cul pour respecter la morale, les convenances, le bon ton, laPatrie, et en définitif le juif !... Sauver l’essentiel !... Toutes les rigolades du caméléon ! Ce livre eut donc le mérite d’être rejeté par toute la presse française (y compris l’antisémite), en totalité, au titre d’ordure totale, 1 obscénité qu’il convient de traiter avec pincettes et par le silence. Je fus lu tout de même par le parquet et les gens de l’Humanité. À moi la Correctionnelle ! Le jour de l’audience, même très remarquable discrétion de toute la presse française – y compris l’antisémite, la pacifiste, la pro-allemande, etc. – N’étaient présents à la 12ème en fait d’avocats et de journalistes que ceux de l’Humanité, du Popu, de la Lumière, etc., etc., mais alors ! en foule ! De mon bord, personne ne me connaissait plus. La Bête puante souille les meilleures causes… À la première audition, admirable plaidoirie de notre vaillant Saudemont, puis au jugement trois mois plus tard (quel temps pour se renseigner !) n’assistaient que Denoël et moi forcément, MllesCanavaggia, Marie et Renée, nos bons amis Bernardini, Montandon (et son parapluie), Bonvilliers, et notre excellent Tschann le libraire, et Mlle Almanzor. C’est tout – c’est peu pour une aussi grande ville, en d’autres temps plus spontanée, plus facilement éprise des causes d’aventure et perdues. Le juif avait passé par là, l’âme était froide. Voici les faits. L’autre jour je déambulais comme ça, tout pensif, le long du halage entre la Jatte et Courbevoie, je songeais à des petites choses, j’avais des ennuis… J’allais pas me noyer, bien sûr… mais quand même j’étais tracassé, je ne trouvais pas la solution. La vie n’est pas drôle tous les jours. Je regarde un peu les alentours, je vois une péniche en pleine vase, renversée dessus-dessous, gisante, ça faisait comme une sorte d’estacade… et puis un petit treuil, pendentif, qui remuait tout seul… Je regarde encore un peu loin… J’aperçois là-bas une sirène qui barbotait entre deux eaux, bourbeuses alors, très infectes… une fange pleine de bulles… J’en étais gêné pour elle… Je fis semblant de ne pas la voir… Je m’éloignai délicatement… — Yop ! Eh ! dis donc ! Hop ! Ferdinand ! Tu dis plus bonjour folichon ! Grand tordu ! Crâneur malpoli ! Où c’est que tu te précipites ?...Je la connaissais comme sirène, cette effrontée, je l’avais déjà rencontrée assez souvent, dans des circonstances délicates, en des estuaires bien différents, à d’autres moments de la vie, de Copenhague au Saint-Laurent, là-bas, toute éperdue, toute effrénée de mousse, de joie, de jeunesse, vertigineuse dans les embruns. Cette déchéance me boule-[10]versait bien sûr… Comme ça dans la Seine… si poisseuse, si égoutière… — Où courez-vous ainsi songeur ? Belle bite !… qu’elle m’interpelle. Je la connaissais intrigante… elle était devenue bien grossière, dans les parages… Je la regarde alors de tout près. Quel pauvre visage ! — Tu me trouves vilaine à présent ? Affreux toi-même ! Allez ! Embrasse-moi ! J’étais bien forcé, ça sentait les huiles… je m’excuse… — Tu vas être grand-père ! qu’elle m’annonce. Elle s’esclaffe la garce. Elle savait tout cette bouseuse, tous les ragots, les bignoleries dela région. — T’es bien renseignée, chère morue ! que je lui réponds, tac au tac. Indiscrète ! effrontée ! Tu t’es mis du vert ce matin ?... — Du vert ! du vert !... cadavre vous-même ! Vieux croulant coquin putassier ! Vieux raté ! Ça te vexe hein grand-père ? que je te dise ! Vieux trousseur ! ravageur de pertes ! Honteux ! Honteux prostateux ! Mangefoutre ! — Ah ! que je lui dis. Navrante ordure ! Fleur de fosse ! vidangière ! je vais vous abolir !insolente ! Un petit peu plus, je sautais dessus, je lui arrachais les écailles ! C’était fini les amours !... y avait vingt ans de trop entre nous pour l’ensorcellerie… On allait drôlement se peigner comme ça dans la vase des berges. Ça devenait odieux. Je fis l’effort pour être aimable, je voulais m’éloigner sans haine… Et puis la colère m’emporta. — Je m’en vais à la mer, moi ! pas fraîche ! que j’annonce du coup tout crâneur. Je m’en vais aux ondes pures ! moi !... Barbaque d’épandage ! — Comment que t’as dit hein ? Barbaque ? Que tu m’insultes oublieux ? Navrante âme d’étron ! Répète un peu, que je te noye ! Pipi ! T’iras comme les autres à la mer ? oui, commetous les chiens crevés du monde ? 2 Enflure ! — Ça va ! que je lui réponds ! Barre voyoute ! T’es blèche, t’es triviale ! Tu cocotes ! T’as pas volé ta pénitence ! Je le verrai Neptune ! J’y dirai ! J’ai un condé avec [11] sa fille ! La sirène du Point du jour ! Ça te viole hein ? T’as pas volé ta pénitence ! Je répète ! — Pénitence ! Pénitence ! — Oui ! Harangière ! — Hareng !? Hareng ?... que tu oses ?... C’était pour elle le mot atroce “Hareng”… Ah ! elle en suffoquait ! hoquetait dans les bourbes, d’indignation, de furie. — Hareng ! Hareng !... ça lui remontait. — Attends Attends ! que je te dise toi ! Fruit de la Mer ! T’es en l’air ! Vieux gaz ! Plumet ! Baudruche ! Bulle ! Je suis pourrie que tu dis moi ! Culotté fretin ! Tâte-moi, tiens les miches ! dis donc ! Les rondins ! Mords ! C’est y du soupir qui me réchauffe ? Hein ?... C’est y de la blague à tabac ? Oui ? Suce ! Chétif ! C’était justement bien exact, elle était dure de partout. — Et puis tu sais, qu’elle ajoute – elle se frappe alors très brutalement, elle se malmène à grandes claques les flancs, le poitrail tout luisant – ça sonne ! Tout ça c’est de la méchanceté ! Écoute ! C’est solide ! C’est pas du semblant ! Ça tient ! T’y feras le bonjour à Neptune ! Elle se marrait que je me déconcerte. Il lui manquait deux, trois dents… Et la voix qu’était prise en rogomme, terrible… — C’est les distilleries, qu’elle m’explique, ça me couvre l’organe. J’en ai quatre les unes dans les autres devant Levallois… après le pont… — T’es bien par ici ?— Ça te regarde ?— Je te demande ?... — Et toi, t’es beau comme tu te conduis ?Y avait encore de la rogne. — Moi, je me conduis comme je veux… Je suis libre… — T’es libre… T’es libre… pas longtemps… — Conduis… Conduis… Ça serait à voir !... — Mais tu sais rien ! Hé prétentieux !... — Toi tu sais que les ragots pourris… ça qui vient traîner dans tes cloaques ! — Oui… Oui… fangeux bien vous-même !... Ça va pas durer toujours !... bel arrogant ! on va uploads/Litterature/ celineecolecadavres.pdf

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