CE QUE LACAN A APPRIS DE JOYCE Colette Soler ERES | « L'en-je lacanien » 2014/2
CE QUE LACAN A APPRIS DE JOYCE Colette Soler ERES | « L'en-je lacanien » 2014/2 n° 23 | pages 11 à 22 ISSN 1761-2861 ISBN 9782749241920 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-en-je-lacanien-2014-2-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Non qu’il n’y ait pas un enjeu lit- téraire dans ce séminaire, il y a même une thèse sur l’écriture de Joyce, elle avance qu’elle met fin à la littérature, mais l’enjeu littéraire y est mesuré à l’aune de la psychanalyse, une psychanalyse d’après Freud dans laquelle Lacan a voulu frayer, en théorie comme en pratique, un nouveau chemin qui du roman de l’association libre interprétée va vers le réel 2. La rencontre avec Joyce C’est dans cette démarche qu’il rencontre Joyce pour la première fois. Son texte, il l’a rencontré dès sa jeunesse, on le sait, et bien avant Le sinthome, dès 1967, dans « La méprise du sujet supposé savoir », il avait déjà formulé une thèse sur Joyce, mais en 1975 Joyce est devenu Colette Soler, agrégée de l’Université et formée par Jacques Lacan, est psychanalyste à Paris et membre fondateur de l’epfcl. Elle a notamment publié aux puf Lacan, l’inconcient lacanien et Les affects lacaniens. 1. C. Soler, Lacan lecteur de Joyce, à paraître aux puf début 2015. 2. Voir C. Soler, Lacan, l’inconscient réinventé, Paris, puf, 2009. ce que Lacan a appris de Joyce Colette SOLER L Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES 12 —— L’en-je lacanien n° 23 une question et un exemple pour la psychanalyse. En fait, ce n’est pas sa littérature que Lacan admire, et il ne le cache pas, d’un côté les poèmes ne le convainquent pas tout à fait, il le dit, de l’autre il s’accorde avec un critique qui juge que Finnegans Wake fatigue, et j’en passe. Par contre, si ce n’est pas l’écrivain, Lacan, analyste, admire le cas, et plus précisément ce que Joyce, grâce à son art, a réussi à faire de sa vie avec les condi- tions de sa naissance, et qui permet justement de le nommer « Joyce, le symptôme 3 ». Il ne faut pas s’y tromper, c’est un compliment. Ce nom est moins une interprétation de l’œuvre qu’un diagnostic original de ce que Lacan nomme, comme Joyce lui-même, « l’artificier». Le diagnostic d’une unicité, le contraire d’un type donc. Diagnostic d’une « diffé- rence absolue 4 », le seul digne d’un psychanalyste. C’est comme par hasard, sur la suggestion de Jacques Aubert à l’occasion d’un symposium international James Joyce, le 6 juin 1975, que Lacan est revenu à Joyce, mais il s’en est littéralement emparé et il en fut comme habité pendant des années. Les référence multiples en attestent : « Postface » du Séminaire XI, dès 1973, conférence « Le symptôme » du 4 octobre 1975, « Préface à la publication anglaise du Séminaire XI » le 17 mai 1976, et il y en aurait d’autres. Pourquoi sur le tard un intérêt si soutenu, si passionné ? Serait-ce seulement parce que son objet lui résiste ? Je ne le crois pas. Le style du séminaire indique d’ailleurs à lui seul autre chose. Les nombreuses monstrations commentées de divers nœuds borroméens y voisinent avec beaucoup de questions, lesquelles parfois attendent leur réponse sur plusieurs leçons, du genre : Joyce était-il fou ?, et avec aussi à l’inverse nombre d’assertions catégoriques, qui font thèse et qui, elles, restent parfois en attente d’argument. Ce côté compo- site donne à penser qu’en fait Lacan se sert de Joyce à des fins qui sont les siennes. D’où ma question : qu’a-t-il appris de Joyce qu’il ne savait pas, ou que sans Joyce il n’aurait pu soutenir avec la même assurance ? Joyce ne voulait « rien avoir que le dire magistral », dit Lacan, et c’est par ce dernier qu’il a voulu se nommer, héros d’abord, artiste ensuite. Mais son nom il se l’est fait, non par le dire magistral mais par son art… borroméen et sans doute sans qu’il le sache. Il est sûr que « se vouloir un 3. J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 161-169. 4. J. Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES Ce que Lacan a appris de Joyce —— 13 nom », patent chez lui mais qui ne le caractérise pas en propre, n’y aurait pas suffi. Lacan insiste souvent sur cette dimension d’un effet produit par le savoir faire de l’artiste-artisan, qui impose de distinguer ce qu’il a souhaité de ce qu’il a fait réellement en acte. « Comment un art peut-il viser de façon divinatoire à substantialiser le sinthome dans sa consistance, mais aussi bien dans son existence et dans son trou 5 », demande Lacan dans Le sinthome. Autrement dit, comment un art peut-il avoir une fonction borroméenne de nouage, aussi bien que celle du père, comme dire-nommant ? Rien de moins. Qu’un art puisse être rival de ce qui reste de la fonction père à la fin de l’enseignement de Lacan, et que donc ce soit un art qui permette… « de s’en passer », du père, est à coup sûr une thèse capitale. Sa portée ne se limite pas au cas de Joyce, elle engage même plus que la psychanalyse elle-même qui, si on l’en croit, « de réussir, prouve que du Nom-du-Père on peut aussi bien s’en passer 6 ». Elle engage tout ce qu’il a promu d’un « au-delà de l’Œdipe », pour penser son époque – qui se poursuit dans la nôtre. Cependant, je souligne que la phrase que je viens de citer fait porter la question, non sur le fait de la suppléance qu’il tient pour acquise, mais sur le « comment ». Lacan disposait de la thèse de la suppléance par l’art dès le début du séminaire, elle n’est donc pas le fruit de ce séminaire et peut-être pas même son enjeu. Il la pose dès sa deuxième leçon, puis encore dans la troisième : « Joyce se trouve avoir visé par son art, de façon privilégiée, le quart terme dit du sinthome 7. » Il est frappant qu’il affirme parallèlement de façon explicite qu’elle va, cette suppléance, jusqu’à toucher à la fonction phallique. On comprend la logique de la démarche. La métaphore pater- nelle allait de pair avec la subordination de l’imaginaire au symbo lique, et corrélativement du phallus au Nom-du-Père 8. Avec le nœud borroméen, 5. J. Lacan, Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, op. cit., p. 38. 6. Ibid., p. 136. 7. Ibid., p. 37 et suivantes. 8. Lacan est passé de signification phallique à fonction phallique, mais il n’y a pas contra- diction. Le phallus comme signifié de la métaphore paternelle écrivait une signification de castration, « signification du phallus » disait alors Lacan, la fonction phallique écrite comme la fonction propositionnelle de Frege dans « L’étourdit » est une fonction de jouissance, mais d’une jouissance qui inclut la signification de castration. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.38.148.48 - 28/05/2020 02:05 - © ERES 14 —— L’en-je lacanien n° 23 cette subordination est récusée, les trois consistances sont équivalentes, Lacan le répète. Dès lors, toute la clinique précédente doit être repensée à partir du nouage par le sinthome, et notamment la question du rapport entre « l’art-dire » comme art-père et la fonction phallique, que Lacan pose également dès le début : « Comme il avait la queue un peu lâche, son art a suppléé à sa tenue phallique. » Encore faut-il dire, uploads/Litterature/ ce-que-lacan-a-appri-de-joyce.pdf
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- Publié le Sep 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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