Langue française La ponctuation Nina Catach Citer ce document / Cite this docum

Langue française La ponctuation Nina Catach Citer ce document / Cite this document : Catach Nina. La ponctuation. In: Langue française, n°45, 1980. La ponctuation. pp. 16-27; doi : 10.3406/lfr.1980.5260 http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1980_num_45_1_5260 Document généré le 13/06/2016 Nina Catach LA PONCTUATION La ponctuation pose au linguiste une série de problèmes théoriques qu'il devient de plus en plus difficile d'éluder : — il s'agit d'un système de signes non alphabétiques, plus ou moins « idéographiques », ce qui ne correspond pas à la conception habituelle de nos types d'écriture, en principe calqués sur les unités sonores; — ils fonctionnent comme des signes linguistiques, et cependant n'ont en général aucune correspondance articulatoire, ce qui remet en cause notre conception habituelle de la langue comme fondée sur des éléments appelés phonèmes; — solidement installés dans la plupart des langues, ils fonctionnent en tant qu'universaux, et n'ont cependant jamais été reconnus comme tels; — enfin, il s'agit de signes linguistiques apparus à un moment donné de l'histoire; ils sont liés à un système second de communication, devenu pour l'homme cultivé tout aussi indispensable que le premier, ce qui pose le problème de la prise en compte de cette dualité de fonctionnement linguistique et de leur interaction réciproque; — ces signes linguistiques échappent en grande partie à l'auteur, sont imposés à son texte par les gens du livre, par des conventions extérieures à lui dont il a beaucoup de mal à remettre en cause l'application : nous dirons que cet aspect du langage est, tout comme l'orthographe, particulièrement codifié, socialisé, pour ne pas dire aliéné. En fait, sans doute, il nous fait simplement prendre conscience de la façon dont fonctionne réellement le langage tout entier en tant qu'instrument social de communication. Ces premières constatations nous amènent à avancer que, pour bien comprendre la ponctuation, il nous faudra revoir trois conceptions : celle que nous avons de nos écritures, celle que nous avons de la langue, et celle que nous avons des rapports actuels tissés entre l'écriture et la langue. Essayons tout d'abord de cerner de plus près ce qu'est véritablement la ponctuation et d'en proposer une définition. (Dans cet article et dans l'ensemble de ce numéro, la mention Pond. (I et II) renvoie aux deux brochures des Actes de la Table ronde CNRS, sur l'histoire de la ponctuation : La ponctuation, recherches historiques et actuelles, fasc. I et II, Publ. HESO-GTM, 1977-1979.) 16 I. Qu'est-ce que la ponctuation? 1. Première approche On entend habituellement par signes de ponctuation une dizaine d'éléments graphiques surajoutés au texte : virgule, point-virgule, points (final, d'exclamation, d'interrogation, de suspension), et ce que nous appellerons signes d'énonciation (deux-points, guillemets, tirets, parenthèses, crochets). L'information qu'apportent ces signes joue par présence/absence. La virgule et le point semblent les signes universels, qui peuvent servir d'unités de référence. On leur reconnaît en général trois types de fonctions : — organisation syntaxique : union et séparation des parties du discours, à tous les niveaux (jonction et disjonction, inclusion et exclusion, dépendance et indépendance, distinction et hiérarchisation des plans du discours); — correspondance avec l'oral : indication des pauses, du rythme, de la ligne mélodique, de l'intonation, de ce que l'on appelle en bref le « supra- segmental », tous phénomènes qui, notons-le, ne sont pas marqués à l'écrit par ailleurs, et qui peuvent être appelés ajuste titre « la troisième articulation du langage ». C'est ce qui explique que la plupart du temps l'effet des signes, contrairement à ce que pourrait laisser croire leur dénomination, n'est pas « ponctuel », mais continu, portant sur toute une phrase ou un segment de phrase; — supplément sémantique : ce supplément peut être redondant ou non par rapport à l'information alphabétique, compléter ou suppléer les unités de première articulation, morphématiques, lexicales ou syntaxiques. Exemple de ces trois types de fonctions (en s'en tenant à la virgule) : — Organisation syntaxique : jonction : ceci, cela, cela aussi (= et). disjonction : ceci, pas cela (= mais) inclusion/ exclusion /ceci qui est vrai, cela qui est faux (inclusion par absence de signe, opposition entre les deux syntagmes par présence) hiérarchisation des plans du discours : Oui, dit-il, c'est vrai (deux énon- ciateurs différents). — Correspondance avec l'oral : — Tu viens, ou je me fâche (montée, puis descente). — C'est vrai, dit-il (ton bas continu pour le 2e énonciateur). — Supplément sémantique : — Il dit : « Son nom » (différent de : II dit son nom). Ajoutons, malgré ce que nous disions tout à l'heure, que la ponctuation, du fait de son fréquent caractère de redondance, se prête particulièrement bien aux effets littéraires, à la liberté stylistique, du moins en France où elle n'est pas totalement codifiée. Plus exactement, les infractions au code permettent des effets stylistiques puissants et deviennent les éléments marqués du message (ex. l'absence de ponctuation ou des majuscules). 17 2. Ponctuation et mise en page Cependant, on ne peut se satisfaire longtemps d'une délimitation aussi étroite (dix à onze signes) du secteur considéré. Et d'abord, que veut dire « élément graphique »? En l'absence d'un signe de ponctuation, que reste-t-il? Un blanc, lequel est déjà un signe, le plus primitif et essentiel de tous, un « signe en négatif ». Tl faut bien nous rendre compte que, tout comme la photo en noir et blanc, la page imprimée s'inscrit dans notre champ visuel par une série de contrastes entre l'implicite et l'explicite : « Le texte moderne, dit R. Laufer, prétendument réduit à la seule écriture, n'a pu se développer que par son inscription dans un espace graphique, espace resté implicite parce qu'il était visuel et non verbal. » La principale différence entre l'audible et le visuel est précisément cette conversion d'une chaîne qui se déroule dans le temps en une chaîne qui se déroule dans l'espace. Cet « espace graphique » est parfaitement analysable pour un professionnel. Il comprend des unités de trois ordres de grandeur : au niveau des mots, au niveau des phrases, au niveau du texte. Au niveau des mots, les espaces interlittéraux s'opposent aux espaces (plus grands) inter-mots; l'absence d'espace pour l'apostrophe et le trait d'union (lexicaux) s'oppose à l'espace ménagé après les signes de ponctuation syntaxiques. Le trait de division marque que le mot n'est pas terminé. Au niveau des phrases, la majuscule marque le début de la phrase (à elle seule au début du paragraphe), comme le point en marque la « fin », mais une fin provisoire, puisqu'il s'oppose au passage à la ligne de l'alinéa, au passage à la page pour un nouveau chapitre, etc. Où s'arrêter, et comment considérer les uns et rejeter les autres? On peut, me semble-t-il, opposer une définition plus ou moins limitée à une définition extensive du domaine considéré. Conservant quant à moi les A PROPOS DU BLANC « Le blanc n'est pas en effet seulement pour le poème une nécessité matérielle imposée du dehors. Il est la condition même de son existence, de sa vie et de sa respiration. Le vers est une ligne qui s'arrête, non parce qu'elle est arrivée à une frontière matérielle et que l'espace lui manque, mais parce que son chiffre intérieur est accompli et que sa vertu est consommée... Entre un ensemble de vers et la page qui le contient, le plateau où il nous est présenté... Tl y a un rapport en quelque sorte musical... » Paul Claudel. « Un poème n'est point fait de ces lettres que je plante comme des clous, mais du blanc qui reste sur le papier... Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grande marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé. » Paul Éluard. (Citations tirées de L. Vedenina, La ponctuation de la langue française, Moscou, 1975, p. 129.) espaces et procédés des deux premiers niveaux (mots et phrases, paragraphes) je les opposerai (contrairement à ce que fait plus loin R. Laufer par exemple) au 3e niveau, qui entoure et dépasse le texte et en général échappe à l'auteur : agencement général du livre et des chapitres, justification, marges, filets, titres et intertitres, disposition des interlignes, appel de notes, opposition des capitales et des types de caractères, procédés de mise en valeur, détermination du format, couverture, rappels de collection, couleurs, illustrations, etc. Les premiers types de signes ont en effet une série de caractéristiques qui les opposent plus ou moins nettement aux seconds : ils sont intérieurs au texte, en général explicites, discrets, formant système, et dépendent malgré tout dans une grande mesure de Tauteur : ils sont en général communs au manuscrit et à l'imprimé et font partie du message linguistique. Mais il faut reconnaître que certaines franges entre ponctuation et mise en page resteront floues. Nous ajouterons donc quant à nous aux signes énumérés plus haut la ponctuation de mots (blanc de mot, apostrophe, trait d'union, signe de division) au moins une partie de la ponctuation de texte (alinéas, retraits, paragraphes, etc.), l'usage des majuscules et en partie des capitales, et certaines alternances classiques des caractères typographiques. 3. uploads/Litterature/ 1980-catach-la-ponctuation-pdf.pdf

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