Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences rel

Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses Résumé des conférences et travaux 117 | 2010 2008-2009 Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) Martine Dulaey Édition électronique URL : http://asr.revues.org/829 ISSN : 1969-6329 Éditeur École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2010 Pagination : 217-224 ISBN : 978-2-909036-37-3 ISSN : 0183-7478 Référence électronique Martine Dulaey, « Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 117 | 2010, mis en ligne le 26 janvier 2011, consulté le 03 octobre 2016. URL : http://asr.revues.org/829 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés : EPHE Annuaire EPHE, Sciences religieuses, t. 117 (2008-2009) Conférences de Mme Martine Dulaey Directeur d’études Histoire et doctrines du christianisme latin (Antiquité tardive) Phinees embrochant de sa lance le couple pécheur. À propos d’une peinture de l’hypogée de la Via Latina La catacombe romaine de la Via Dino Compagni (Via Latina 258) renferme nombre de peintures originales du ive siècle. Dans le cubiculum double B-C de cet hypogée anonyme, où abondent les scènes de l’Ancien Testament, le mur d’entrée, à droite de la porte, est décoré d’une scène unique dans l’art paléochrétien : on y voit un personnage vêtu en officier romain, qui brandit sur sa lance les corps d’un homme et d’une femme qu’il y a embrochés 1. A. Ferrua a justement vu dans la scène la représentation d’un récit du livre des Nombres (Nb 25, 6-9). Moïse vient d’ordonner l’exécution de tous ceux qui à Belphegor (Baal Peor) ont forniqué avec des femmes étrangères et se sont rendus coupables d’idolâtrie en adorant leurs dieux, quand arrive l’Israélite Zimri (amoureux fou, distrait n’écoutant pas les informations ou provocateur 2 ?), qui entraîne une femme Madianite dans sa tente : À cette vue, le prêtre Phinees, fils d’Éléazar, fils d’Aaron, se leva au milieu de la com- munauté, prenant en main une lance (Septante : une sonde à silos 3) ; il suivit l’Israélite dans l’alcôve et les transperça tous les deux, l’Israélite et la femme, en plein ventre 4. La suite du texte fait l’éloge du zèle qu’a manifesté pour la loi de Dieu le prêtre Phinees, qui se voit promettre en récompense un sacerdoce perpétuel 1. A. Ferrua, Le pitture della nuova catacomba di Via Latina, Cité du Vatican 1960, p. 48 ; Tf. 92 ; id., Catacombe sconosciute. Una pinacoteca del iv secolo sotto la Via Latina, Florence 1990, p. 43-44 (la photo est à l’envers) ; voir N. Zimmermann, Werkstattgruppen römischer Katakombenmalerei, JbAC, Ergänzungsband 35 (2002), p. 66-67 et 122 pour les diverses datations. On tend aujourd’hui à dater de la seconde moitié du ive siècle même les peintures des cubicula A-C, qui sont les plus anciennes de l’hypogée : F. Bisconti, « Le pitture del cubiculo A nell’ipogeo di Via Dino Compagni », dans M. Andaloro, La pittura medievale a Roma, 1, L’orizzonte tardoantico e le nuove immagini, Turnhout‑Milan 2006, p. 160-162 ; B. Mazzei, « Storie vetero-testamentarie nel cubiculo C di via Dino Compagni », ibid., p. 149-153. 2. Phil. A. Mos. 1, 301, OPA 22, p. 170, penche pour la dernière hypothèse. 3. Sur les diverses traductions latines, voir la note 54. 4. « En plein ventre » : BJ ; « dans l’alcôve de cette femme » : Tob ; « à travers la matrice » : Septante. Sur la traduction du v. 8, voir G. Dorival, Les Nombres, La Bible d’Alexandrie, t. 4, Paris 1994, p. 463. Résumés des conférences 218 pour lui et ses descendants ; grâce à lui, le peuple ne fut pas exterminé pour ses fautes (v. 11-13). Que fait cet épisode sinistre au milieu de scènes bibliques qui, dans l’art funéraire, évoquent généralement le salut espéré par les défunts qui ont là leur sépulture ? S’agit-il, comme on l’a dit, d’un thème iconographique « incompré- hensible sans l’aide des textes haggadiques et des midrashim hébraïques » 5 ? Mais rien, dans l’hypogée, qui est vraisemblablement la tombe d’une famille où coexistent païens et chrétiens, ne suggère une présence juive, et la probabilité que ces sources aient été connues est faible. Il est plus logique de se tourner vers les auteurs chrétiens des premiers siècles pour voir ce qu’ils disaient du personnage de Phinees/ Pinhas, qui n’est pas pour eux un inconnu. I. Le zèle de Phinees Phinees (Pinhas), de lignée sacerdotale, est un petit-fils d’Aaron dont des textes tardifs de l’Ancien Testament exaltent le zèle pour la Loi (Sir 45, 23-24 ; 1 Mac 2, 54 ; Ps 106 (105), 28-30). Selon certaines traditions juives, il devait, comme Élie, « annoncer la rédemption à la fin des jours » 6. Son rôle est moindre dans le christianisme, mais il n’est pas oublié pour autant ; Origène sait encore qu’on l’identifiait parfois à Élie 7. Conformément au texte biblique, Phinees est universellement loué pour son zèle religieux, un zèle qui, selon Origène, est à la hauteur de celui d’Élie ou de Mattatias, père des Macchabées 8. « C’est une belle chose que le zèle, comme l’atteste Phinees, qui a transpercé la Madianite avec l’Israélite pour enlever l’opprobre des fils d’Israël », écrit Grégoire de Nazianze 9. La plupart des auteurs parlent de zèle en général et sont avares de détails 10. Cyprien, par exemple, évoque l’épisode en ces termes qui évitent toute notation concrète : « Nous qui avons reçu l’Esprit de Dieu, nous devons avoir un soin jaloux de la foi divine. C’est par ce zèle que Phinees plut à Dieu et l’apaisa, lorsque dans sa 5. D. Goffredo, « Le cosidette scene di ingresso nell’arte funeraria cristiana », RivAc 74, (1998), p. 222, n. 102 ; cf. L. Kötzsche-Breitenbruch, Die neue Katakombe an der Via Latina in Rom, JbAc, Ergänzungsband 4, Münster 1976, p. 85-86. L’hypothèse de M. Cagiano de Azevedo, « Iconografie bibliche nella opzione di Giudeo-cristiani », VetChr 9 (1972), p. 133-142, que l’hypogée appartenait à des judéo-chrétiens, est bien mal étayée. 6. Targum de Nb 25, 12, SC 261, p. 248-249 ; Ps. Philon. Ant. Bibl. 48, 1, SC 229, p. 320-321. 7. Orig. In Ioh. 6, 83, SC 157, p. 188. 8. Orig. In Rom. 8, 1, PL 14, 1158B ; Orig. Cat. Cant. PG 17, 285B. 9. Greg. Naz. Orat. 14, 3, PG 35, 861. 10. Greg. Naz. Orat. 18, 24, PG 35, 1013B ; Ambrst. In 1 Cor. 10, 11, CSEL 81, 2, p. 110, 3-6 ; Hier. In Eccl. 9, 5, CCL 72, p. 324, 108 ; Hier. In Naum 1, CCL 76A, p. 527, 10 ; Hier. In Mal. 2, 5-7, CCL 76A, p. 917, 181-190 ; Hier. C. Pel. 1, 9, CCL 80, p. 25, 22 ; 2, 15, p. 73, 25 ; Hier. In Gal. 2, 17-18, PL 26, 384C. 219 Martine Dulaey colère il faisait périr son peuple » 11. Eusèbe se réfère au personnage pour dire toute l’importance que peut avoir la vertu d’un seul 12. L’acte de Phinees qui, selon Nb 25, 11, avait empêché l’extermination du peuple coupable, semble considéré comme un sacrifice expiatoire dans le Ps 105, 30, où il est écrit : « Il se dressa et fit l’expiation » (LXX). Grégoire de Nysse affirme qu’en Nb 25, Moïse « fait punir l’impureté par le sacerdoce » ; Phinees accomplit l’action sacerdotale en purifiant la faute par le sang 13. Son geste, dit Jean Chrysostome, manifeste le grand mystère du sacerdoce 14 ; le sang qu’il a alors versé, loin de lui souiller les mains, les a rendues plus pures 15. Pour Ambroise aussi, le zèle de Phinees est avant tout celui du prêtre 16. L’exécution des coupables apparaît comme un sacrifice expiatoire grâce auquel est sauvée la multitude 17. Le meurtre de l’Israélite et de la Madianite est parfois présenté comme l’exécution de criminels dangereux pour le peuple tout entier : c’est un châtiment qui vise à éviter un mal plus grand 18. Phinees a supprimé un seul transgresseur de la Loi et sauvé le peuple ; il a commis un homicide, mais ce fut pour le salut de tous : son acte était en quelque sorte l’amputation à laquelle doit se résoudre le médecin 19. Dieu veut que les coupables soient châtiés, dit Optat de Milev : sans doute, Phinees hésite quand il brandit le glaive, car Dieu interdit de tuer, mais il choisit le moindre mal en tuant Zimri et Cozbi, « et Dieu a approuvé l’homicide parce que l’adultère a été châtié » 20. L’accumulation des justifications laisse transparaître l’embarras des com- mentateurs. Jean Chrysostome croit pouvoir innocenter Phinees en distinguant l’acte de l’intention qui le fait commettre 21 : il n’a pas agi par haine des coupables, mais pour sauver le peuple 22. D’autres auteurs prennent davantage leurs distances par rapport au récit biblique. « Cela a pu édifier le peuple de l’ancienne alliance », commente Origène, qui s’empresse de uploads/Litterature/ asr-829.pdf

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