Trivium Math´ ematique V.I. Arnold 19 octobre 2002 Le niveau de la culture math
Trivium Math´ ematique V.I. Arnold 19 octobre 2002 Le niveau de la culture math´ ematique baisse. Les ´ etudiants de tous ni- veaux sortant de nos universit´ es, y compris du d´ epartement de math´ ematique et de m´ ecanique de l’universit´ e d’´ etat de Moscou, deviennent aussi ignorants que leurs enseignants. Quelle est la raison de ce ph´ enom` ene anormal? Dans des conditions nor- males, les ´ etudiants connaissent mieux leur sujet que leurs professeurs, en application du principe g´ en´ eral de diffusion de la connaissance : la nouveaut´ e ne triomphe pas parce que des vieillards l’enseignent, mais parce qu’arrivent de nouvelles g´ en´ erations qui la connaissent. Parmi les causes de cette situation anormale, je voudrais mettre en ´ evi- dence celles dont nous sommes nous-mˆ emes responsables, afin que nous es- sayons de corriger ce qui est en notre pouvoir. Une des causes est, je crois, notre syst` eme d’examens, sp´ ecialement destin´ e ` a la fabrication de rebut, c’est-` a-dire de pseudo-´ el` eves qui apprennent les math´ ematiques comme le marxisme : ils potassent des formules et apprennent par coeur des r´ eponses aux questions les plus fr´ equemment pos´ ees aux examens. Comment peut-on mesurer le niveau d’entraˆ ınement d’un math´ ematicien? Ni par la liste, ni par les programmes des cours suivis. La seule fa¸ con de d´ eterminer ce que nous avons effectivement appris ` a nos ´ etudiants est de faire une liste des probl` emes qu’ils devraient savoir r´ esoudre ` a la suite de notre enseignement. Je ne parle pas de probl` emes difficiles, mais de questions qui forment le strict minimum essentiel. Il ne doit pas forc´ ement y avoir beaucoup de probl` emes, mais nous devons exiger que les ´ etudiants sachent les r´ esoudre. I.E. Tamm 1 racontait que, tomb´ e entre les mains des bandits pendant la 1. Un des grands physiciens th´ eoriciens russes et un des p` eres de la bombe H 1 guerre civile, il r´ epondit pendant un interrogatoire qu’il avait ´ etudi´ e ` a la fa- cult´ e de math´ ematique et physique. Il eut la vie sauve parce qu’il sut r´ esoudre un exercice de la th´ eorie des s´ eries qu’on lui avait pos´ e pour v´ erifier ses dires. Nos ´ etudiants devraient ˆ etre pr´ epar´ es ` a de telles ´ epreuves. Partout dans le monde, un examen math´ ematique consiste ` a r´ esoudre des probl` emes par ´ ecrit. Le caract` ere ´ ecrit de l’´ epreuve est partout un signe de d´ emocratie aussi n´ ecessaire que des ´ elections pluralistes. En fait dans un examen oral, un ´ etudiant est absolument sans d´ efense. Pendant que je faisais passer des examens pour la chaire d’´ equations diff´ erentielles de la facult´ e de math´ ematiques et de m´ ecanique de l’universit´ e de Moscou, j’ai entendu des examinateurs, ` a la table voisine, coller des ´ etudiants qui donnaient des r´ eponses irr´ eprochables (d´ epassant peut-ˆ etre le niveau de compr´ ehension de l’enseignant). On connaˆ ıt aussi des cas o` u on a coll´ e l’´ etudiant expr` es (on pouvait parfois sauver la situation en entrant dans la salle). Un travail ´ ecrit est un document, et un examinateur est forc´ ement plus objectif (en particulier si la copie est anonyme comme elle devrait l’ˆ etre). Les examens ´ ecrits ont encore un avantage qui n’est pas sans importance : on peut conserver les sujets pour les publier ou les donner aux ´ etudiants pour pr´ eparer l’examen de l’ann´ ee suivante. En plus, ces sujets d´ eterminent le ni- veau du cours et celui du professeur qui les a compos´ es. Ses points forts et ses points faibles s’y voient d’embl´ ee, et les sp´ ecialistes peuvent imm´ ediatement ´ evaluer ` a la fois l’enseignant, ce qu’il souhaite enseigner aux ´ etudiants et ce qu’il a r´ eussi ` a leur apprendre. A propos, en France, les sujets du concours g´ en´ eral, communs au pays tout entier et plus ou moins ´ equivalents ` a nos Olympiades sont compos´ ees par des professeurs qui envoient leurs probl` emes ` a Paris, o` u l’on choisit les meilleurs. Le Minist` ere a ainsi des donn´ ees objectives sur le niveau des professeurs en comparant d’abord l’ensemble des probl` emes et ensuite les r´ esultats des ´ el` eves. Chez nous, cependant, les professeurs sont ´ evalu´ es, comme vous le savez, sur des crit` eres tels que leurs apparence ext´ erieure, vitesse de parole et correction id´ eologique. Il n’est pas ´ etonnant que les autres pays ne veuillent pas reconnaˆ ıtre nos diplˆ omes (je pense que dans l’avenir, ¸ ca s’´ etendra mˆ eme aux diplˆ omes math´ e- matiques). Des ´ evaluations obtenues par des examens oraux dont on ne garde aucune trace ne peuvent se comparer objectivement ` a quoi que ce soit d’autre et ont un poids extrˆ emement vague et relatif, d´ ependant compl` etement du niveau r´ eel de l’enseignement et des questions dans tel ou tel d´ epartement. Avec le mˆ eme programme et les mˆ emes notes, la connaissance et les capacit´ es 2 d’un ´ etudiant peuvent varier (dans un certain sens) d’un facteur 10. En plus, il est bien plus facile de falsifier un examen oral; c’est mˆ eme arriv´ e chez nous, ` a la facult´ e de math´ ematiques et de m´ ecanique de l’universit´ e Lomonossov de Moscou, o` u, un professeur aveugle a ´ et´ e oblig´ e de donner une bonne note ` a un ´ etudiant dont la r´ eponse ´ etait tr` es proche du manuel, et qui n’avait pas su r´ esoudre un seul probl` eme. L’essence et les insuffisances de notre syst` eme d’´ education math´ ematique ont ´ et´ e d´ ecrits brillamment par Richard Feynman dans ses m´ emoires (Surely you are joking, Mr Feynman (Norton, New York, 1984) dans le chapitre sur l’enseignement de la physique au Br´ esil). Dans les termes de Feynman, ces ´ etudiants ne comprennent rien, mais ne posent jamais de questions, ce qui fait qu’ils ont l’air de tout comprendre. Si quelqu’un commence ` a poser des questions, il est rapidement remis ` a sa place, puisqu’il fait perdre leur temps ` a l’orateur qui lit sa conf´ erence et aux ´ etudiants qui la copient. Le r´ esultat est que nul n’est capable d’appliquer l’enseignement ` a un seul exemple. Les examens aussi (dogmatiques comme les nˆ otres : ´ enoncez la d´ efinition, ´ enoncez le th´ eor` eme) sont toujours pass´ es avec succ` es. Les ´ etudiants atteignent un ´ etat de pseudo-´ education auto-propag´ ee et peuvent enseigner de la mˆ eme fa¸ con aux g´ en´ erations suivantes. Mais toute cette activit´ e n’a aucun sens et en fait, notre production de sp´ ecialistes est, de fa¸ con significative, une fraude, une illusion et une tricherie : ces soi-disant sp´ ecialistes ne sont pas capables de r´ esoudre les probl` emes les plus simples et ne poss` edent pas les rudiments de leur art. Ainsi, pour mettre fin ` a cette tricherie, il nous faut sp´ ecifier, non pas une liste de th´ eor` emes, mais une collection de probl` emes que les ´ etudiants de- vraient savoir r´ esoudre. Ces listes de probl` emes doivent ˆ etre publi´ ees chaque ann´ ee (je pense qu’il devrait y avoir 10 probl` emes pour chaque cours semes- triel) . Ainsi nous verrons ce que nous apprenons r´ eellement aux ´ etudiants et ` a quel point nous avons r´ eussi. Pour que les ´ etudiants apprennent ` a appliquer leurs connaissances, tous les examens doivent ˆ etre ´ ecrits. Naturellement, les probl` emes varieront d’un d´ epartement ` a l’autre et d’an- n´ ee en ann´ ee. Ainsi on pourra comparer le niveau des diff´ erents enseignants et la production des diff´ erentes ann´ ees. Un ´ etudiant qui met plus de cinq minutes ` a calculer la moyenne de sin100 x avec une pr´ ecision de 10% n’a au- cune maˆ ıtrise des math´ ematiques, mˆ eme s’il a ´ etudi´ e l’analyse non standard, l’alg` ebre universelle, les super-vari´ et´ es ou les th´ eor` emes de plongements. La fabrication de probl` emes-types est un gros travail, mais je pense qu’il faut le faire. A titre d’essai, je donne ci-dessous une liste de cent probl` emes 3 formant un minimum math´ ematique pour un ´ etudiant en physique. Les pro- bl` emes-types (contrairement aux programmes) ne sont pas uniquement d´ efi- nis, et beaucoup seront probablement en d´ esaccord avec moi. Cependant je crois qu’il est n´ ecessaire de commencer ` a d´ eterminer le niveau math´ ematique au moyen d’examens ´ ecrits et de probl` emes-types. On peut esp´ erer que dans l’avenir on uploads/Litterature/ arnold-trivium-mathematique-exos-math.pdf
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- Publié le Sep 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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