9 Introduction « Il est trois images de l’homme que notre époque a érigées l’un

9 Introduction « Il est trois images de l’homme que notre époque a érigées l’une après l’autre et où les mortels puiseront sans doute longtemps encore l’im- pulsion capable de transfi gurer leur propre vie : l’homme de Rousseau, l’homme de Goethe et pour fi nir l’homme de Schopenhauer. » Nietzsche Éléments de biographie Arthur Schopenhauer naît le 22 février 1788 à Dantzig (actuellement Gdańsk, en Pologne). Sa mère, Johanna, née Trosiener, fi lle d’un magistrat muni cipal, a 19 ans. À la suite d’une déception amoureuse, elle a accepté d’épouser Henri Floris Schopenhauer, un riche négociant qui en a 38. Arthur aura une sœur, Adèle, née en 1797. Très tôt, Floris destine son fi ls à reprendre l’entreprise fami- liale. À cette fi n, le jeune Schopenhauer passe une partie de son adolescence à l’étranger à apprendre les langues étrangères. Il séjourne ainsi deux ans, au Havre, de 1797 à 1799, où il vit « les temps les plus heureux de [son] enfance » (Correspondance, 63). 10 De retour en Allemagne, il commence une forma- tion commerciale à Hambourg. Mais ces études lui pèsent et, à l’âge de 15 ans, il fait part à son père de son désir d’embrasser une carrière de savant, ce qui implique qu’il reprenne des études classiques. Son père, aux yeux de qui « la qualité de savant était inséparablement liée à la pauvreté », cherche par la ruse à le faire dévier de cette idée. Il lui propose alors le marché suivant : sachant son fi ls « fort avide de voir le monde », il lui annonce qu’au printemps suivant, il entreprendra avec sa mère un long voyage à travers l’Europe. S’il le souhaite, Arthur pourra les accompagner mais à la condition qu’il lui promette de reprendre ensuite ses études de commerce. En revanche, s’il tient au projet de sa carrière de savant, il devra rester à Hambourg pour apprendre le latin… Sans surprise, Schopenhauer opte pour le voyage et pendant deux années, il visite en compagnie de ses parents la Hollande, l’Angleterre puis la France : Paris, Bordeaux, Toulon, Marseille. Enfi n, la Suisse, la Bavière, l’Autriche. De ce périple il reste un beau journal de voyage : sur les conseils de ses parents, l’adolescent consigne, souvent avec à-propos, aussi bien l’accessoire – la qualité des auberges ou des hôtels où ils descendent – que les événements qui le frappent par leur caractère extraordinaire : à Londres, c’est l’horreur que lui inspire le spectacle d’une exécution par pendaison, à Toulon, la visite du bagne ou encore à Lausanne ou au bord du lac d’Annecy, le plaisir pris à la contemplation des paysages alpins… 11 Au retour du voyage, début 1805, le jeune Schopenhauer, conformément à sa promesse, reprend à Hambourg les études de commerce qu’il a pourtant en aversion : « Jamais il n’y eut plus mauvais commis que moi. Toute ma nature répugnait à ces aff aires » (Corr., 65). Le 20 avril 1806, son père se tue en tombant dans le canal qui borde la maison. On pense à un suicide, en raison du tempérament mélancolique de Floris. Le jeune Schopenhauer, très aff ecté par la mort d’un père qu’il admirait, est bientôt partagé entre la promesse qu’il lui a faite d’embrasser une carrière commerciale et le désir vif et persistant de reprendre ses études classiques. Il s’en ouvre bientôt à sa mère qui vient de vendre l’aff aire de son mari et qui s’est installée à Weimar où elle mène enfi n mener la vie mondaine à laquelle elle aspirait. Johanna entend son dilemme et, sur le conseil avisé d’un ami, l’encourage à étudier, si tel est son vœu, le mettant cependant en garde contre toute décision insuffisamment mûrie. En 1807, Schopenhauer abandonne le commerce et entre au gymnase de Gotha. Malheureusement, sa mécon- naissance des langues anciennes ne lui permet que de suivre les cours en langue allemande. Convaincu que le jeune homme a devant lui un « avenir brillant et glorieux », le directeur du Gymnase lui donne des leçons particulières de latin, grâce auxquelles Schopenhauer fait de rapides progrès. Mais, un professeur ayant raillé, dans un journal, les cours en allemand de la classe dont fait partie Schopenhauer, celui-ci se moque joyeusement en public des propos du professeur et est renvoyé de l’école sur-le-champ, six mois seulement après y être entré. Schopenhauer 12 intègre alors le Gymnase de Weimar. Les langues anciennes l’accaparent : il lit avec avidité les grands auteurs de l’Antiquité : Tacite, Horace, Lucrèce, Hérodote ou Apulée. En deux ans, Schopenhauer atteint le niveau requis pour entrer à l’université. En 1809, il s’inscrit en médecine à l’université de Göttingen. Au bout de six mois, il choisit d’étudier la philosophie tout en continuant de se passionner pour l’astronomie, la physiologie et l’anatomie comparée, la physique et la chimie. En 1811, il déménage à Berlin et suit les cours de Schleiermacher et de Fichte. Au printemps 1813, « l’issue incertaine de la bataille de Lützen » le chasse de Berlin. Il trouve à Rudolstadt une retraite paisible, « heureux, dans cette vallée entourée de tous côtés par des collines boisées, de n’avoir pas à rencontrer de soldats ni à entendre de tambours durant tout cet été guerrier ». Ainsi, entre juin et septembre 1813, il rédige sa thèse de doctorat qu’il présente l’année suivante. En 1814, il obtient ainsi le grade universitaire de docteur avec De la quadruple racine du principe de raison suffi sante. Ce brillant premier ouvrage constitue le socle de sa philoso- phie. À la suite de ses entretiens avec Goethe qui fréquente le salon de sa mère, il écrit la même année un petit traité sur la perception intitulé De la Vision et des couleurs, publié en 1816. Schopenhauer s’établit bientôt à Dresde. C’est là qu’il compose, de 1814 à 1818, Le Monde comme volonté et comme représentation en lequel il voit clai- rement son grand œuvre : c’est le « fruit de mon exis- tence », écrit-il le 28 mars 1818 à son futur éditeur Brockhaus : « le livre que, au prix d’un grand labeur, 13 j’ai rendu accessible à la compréhension des autres sera, selon ma ferme conviction, un de ceux qui deviendront la source et l’occasion de cent autres livres ». Fin septembre 1818, Schopenhauer confie l’ouvrage aux soins de son éditeur et quitte Dresde pour un long voyage en Italie : il visite Venise, Florence, Rome, où il séjourne quatre mois, se « délectant de la contemplation des monuments de l’antiquité, tout comme des œuvres d’art modernes » (Corr., 71) ; il voit Naples, voue son admiration à Pompéi, Herculanum, Baïs et Cumes. À Pastinum, « en regardant l’antique et magnifi que temple de la ville de Poséidon, resté intact durant vingt-cinq siècles, je pensai avec un frisson d’eff roi respectueux que je me trouvai sur le sol qui fut peut-être foulé par les semelles de Platon ». Au début de l’année 1819 paraît enfi n chez Friedrich Arnold Brockhaus, à Leipzig, Le Monde comme volonté et comme repré- sentation. En août, la nouvelle de la faillite de l’entre- prise dans laquelle il a placé son héritage le conduit à rentrer précipitamment en Allemagne. Dans une situation fi nancière incertaine, il décide de postuler pour un poste de professeur à la prestigieuse univer- sité de Berlin. Ses cours sont un échec, en raison notamment de son obstination à donner ses leçons aux heures où Hegel, qui occupe une chaire au sein de la prestigieuse université, donne son cours prin- cipal ! Au bout d’un semestre, faute d’auditeurs, Schopenhauer abandonne son enseignement. Ne supportant plus Berlin, « la vie que j’y mène est chère et mauvaise, et je n’aime pas du tout cette ville » (Corr., 106), et ses aff aires fi nancières s’étant 14 arrangées, il repart au mois de mai 1822 en Italie. Milan, Gênes, Florence enfi n où il passe neuf mois des plus heureux, étudiant « avec zèle les œuvres d’art fl orentin, et le peuple italien [qui] m’a fourni matière à observation » (Corr., 119). Mais de retour par Munich, à l’automne 1823, il tombe gravement malade. Rétabli, il séjourne quelques mois à Dresde, puis retourne à Berlin. À la fi n de l’année 1826, il fait une seconde tentative infructueuse d’enseigne- ment à l’université. Il consacre alors l’essentiel de son temps à des traductions diverses, notamment L’Oracula manual y arte de prudencia de Baltazar Gracián et se propose, en vain, auprès de nombreux éditeurs, de traduire des œuvres de David Hume et de Giordano Bruno. Une épidémie de choléra l’in- cite en 1831 à quitter Berlin pour Francfort-sur-le- Main où il se fi xe défi nitivement, tirant ses revenus des dividendes de sa part de l’héritage paternel. Schopenhauer mène à présent une vie de soli- taire, partagée entre l’écriture, la musique – il joue de la fl ûte et fréquente les salles de concert – et de longues promenades en compagnie de son chien. En raison de l’insuccès du Monde, uploads/Litterature/ apprendre-a-philosopher-extrait.pdf

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