Romantisme Hugo, ou le Je éclaté Pierre Albouy Citer ce document / Cite this do
Romantisme Hugo, ou le Je éclaté Pierre Albouy Citer ce document / Cite this document : Albouy Pierre. Hugo, ou le Je éclaté. In: Romantisme, 1971, n°1-2. L'impossible unité? pp. 53-64; doi : https://doi.org/10.3406/roman.1971.5372 https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1971_num_1_1_5372 Fichier pdf généré le 01/04/2018 PIERRE ALBOUY Hugo, ou le Je éclaté Honneur des hommes, saint LANGAGE, Voici parler une Sagesse Et sonner cette auguste Voix Qui se connaît quand elle sonne N'être plus la voix de personne Tant que des ondes et des bois ! Paul Valéry, La Pythie. Allez, prêtres! Allez, génies! Cherchez la note humaine, allez, Dans les suprêmes symphonies Des grands abîmes étoiles ! Allez goûter, vivants sublimes, L'évanouissement des deux ! Victor Hugo, Les Mages. On a longtemps défini le romantisme comme littérature personnelle, littérature du moi. Contre cette vision étroite, les travaux de Hunt, R. Schwab, L. Cellier ont mis en lumière l'aspect fondamental du romantisme, qui est la volonté et l'ambition de la Synthèse. Mais, du coup, certains secteurs de la production romantique se sont trouvés quelque peu délaissés et la critique a pris avec eux du retard : ainsi avec la poésie lyrique, qu'il serait urgent de réapprécier. En fait, c'est l'idée même de moi, la notion romantique du moi, qu'il conviendrait de réexaminer. Nous nous proposons seulement ici de jeter un coup d'oeil sur les problèmes du je poétique, dans les quatre recueils lyriques publiés par Hugo de 1831 à 1840, puis dans les Contemplations. Il ne s'agira que du moi qui se donne comme tel dans ces textes — sans que se pose la question du rapport entre ce moi textuel et le moi « réel » ; par « je », « moi », sujet individuel, nous entendons l'ensemble des signes qui, dans ces poèmes, constituent un individu comme sujet de l'énoncé — avec ses émotions, ses tristesses ou ses joies — en même temps que comme sujet de renonciation — proférant le poème et le prenant en charge, comme auteur (le disant sien, s'en affirmant responsable, s'en faisant le destinateur). Or, de même que le moi est donc doublement sujet du poème, de même — en particulier chez Hugo — la pratique de la poésie personnelle se double, très habituellement et de façon sans doute essentielle, d'une théorie de la poésie personnelle, le problème étant de savoir qui a le droit de parler pour qui, et, en conséquence, qui parle de qui? A ces questions, les formules fameuses de Técho sonore et de Tinsensé qui crois que je ne suis pas toi semblent fournir la réponse d'un classicisme éternel et rénové. En réalité, 54 Pierre Albouy le classicisme de la doctrine hugolienne n'en représente que la surface et l'apparence. Le moi, c'est-à-dire, encore un coup, le moi dans le poème, le moi qui parle et qui parle de lui, se fonde perpétuellement sur sa propre impossibilité. Dans cette béance de moi à je, se produit la voix1. Dans la manière d'avant l'exil, en laissant de côté l'œuvre antérieure à 1830, une poétique de Tharmonie résout le problème du moi, de ses « fêlures » et de ses voix. Mais — et c'est la caractéristique singulière de Hugo — , avec l'exil et, essentiellement, les Contemplations, le même poète élabore une nouvelle poétique, qui diverge de celle de l'harmonie et que nous définirons comme une poétique de la transcendance; si, avant l'exil, les voix s'épanchaient par les fissures du moi que, du même coup, elles colmataient et, pour ainsi dire, enrobaient, maintenant, dans l'exil, la voix non seulement jaillit de la rupture, mais assure la rupture, est, elle-même, rupture. Le moi n'apparaît pas en poésie sans que se pose le problème de sa voix et de son droit à la parole. Une parole singulière ne va pas de soi. Parler de soi et pour soi pourrait aller jusqu'à mettre en cause la communication elle-même et nous voyons un Jean-Jacques Rousseau, conscient du caractère incongru du discours personnel, en affirmer la spécificité et justifier un message de cette sorte. La justification du discours à la première personne passe par l'appel à la deuxième personne, par l'accentuation émue de l'instance personnelle du je/tu, et, enfin, par l'affirmation rassurante du nous. La communication d'homme à homme s'achève en proclamation de l'unité humaine et les préfaces de Hugo vont répétant cette identité des hommes et de l'humaine condition. Il n'en persiste pas moins un tout petit noyau de scandale : si semblable à tous les autres — car nous ne va pas sans tous — , ce moi ne saurait, en fin de compte, se constituer comme sujet du discours, s'il n'est pas, aussi, différent et irréductible en sa différence. Les préfaces — celle des Feuilles d'automne, par exemple — affectent alors une allure double, qui marquera semblablement toute la poésie lyrique hugolienne : — affectation d'humilité (« de pauvres vers désintéressés » dont « l'insuffisance et l'indigence » n'échappent à personne et, d'abord, pas à leur auteur, des vers « comme tout le monde en fait ou en rêve », des poèmes qui se sont faits tout seuls — et cette affirmation sera réitérée dans la préface des Contemplations, bref, un poète modeste, discret et comme tout le monde); — entêtement d'autant plus vigoureux qu'il est plus discret, affirmation d'une originalité, d'une indépendance irréductible, d'un droit à être à contre-courant, parce que la poésie dit l'essentiel. Et, certes, dans cette préface, l'essentiel de la 1. Notion que nous empruntons à Hugo, mais qu'il faudrait préciser: la voix est liée au je et, comme le je, le signe le plus difficile à classer, elle réclame un statut ambigu, ou, plutôt, dialectique ; les rapports code/message (le je comme « embrayeur ■), langue/ parole, devraient aider à situer la voix, dans la zone du a discours » défini par Benveniste. La voix articule l'individuel au collectif ; proche de l'être, comme le dit Derrida, elle le fragmente dans l'existence, le reprend et le perd dans le je-ici-maintenant, affirme le moi et le subordonne à Vautre ; elle est la présence du moi qui s'absente dans l'écriture et elle embraye cette absence sur la présence du poème. Hugo, ou le Je éclaté 55 poésie est défini par son humanité : le poète parle de l'homme aux hommes. Mais il est notable que cette valeur universelle et éternelle de la poésie passe par la voie royale de ce goulet d'étranglement qu'est la famille, le foyer, la vie privée, l'individu. Le livre même des Feuilles d'automne trouve sa structure dans ce regroupement du monde entier autour du moi centre et dans cet incessant mouvement qui ramène tout au moi et retrouve, dans le moi ou à partir de lui, tout. Toute l'extériorité dans toute l'intimité, ainsi va, très exactement, la Pente de la rêverie : la totalité dans l'intimité. Le recueil se construit, comme le poète se définit, entre moi et Pan. Le livre s'ouvre par une déclaration d'identité : « C'est moi. » Une telle déclaration ne va pas sans mobiliser l'histoire et les temps : « Ce siècle avait deux ans... » ; mais, ce qui nous intéresse ici au premer chef, la déclaration d'identité personnelle, avec les détails sur la famille de celui qui parle et se dit, amène à la déclaration d'identité poétique : cet homme, né à Besançon, etc., est un poète, c'est-à-dire « l'écho sonore ». En outre, cette définition fameuse vient après des vers où Hugo décrit son âme comme un « gouffre », un « monde ». La notion de « l'écho sonore », qui tendrait à dépersonnaliser le poète et qui le montre passif au « centre » d'un univers dont il se borne à amplifier les sons, est ainsi équilibrée par la double affirmation de l'individualité du poète (la poésie est intimité) et de sa puissance (le poète est rhomme-cosmos). La position du poète comme tel, c'est-à-dire comme voix, implique sa définition comme individu (sa limite : 1802, Besançon, la mère vendéenne, etc.) et le dépassement immédiat, concomitant, de l'individualité (le moi gouffre, la tête cosmique). Moyennant quoi, la voix du poète est la voix de tous, d'un seul et de tout. Passive, active. Au centre : c'est-à-dire au lieu même d'une dialectique de la totalité. En outre, ce poème initial doit être mis en rapport avec l'autre poème qui, vers la fin du livre, définit, à nouveau, la poésie et le poète ; ici, dans la pièce XXXVIII, qui a reçu le titre significatif de Pan, le poète est l'être à la fois humain et cosmique qui assure l'échange entre les deux univers, celui des choses visibles et le monde intérieur ; Y écho — le mot est repris à la dernière strophe — est alors l'expression même, le signe de la totalité, comme correspondance entre les deux univers. Ici, Hugo parle des poètes et s'adresse à eux à la seconde personne du pluriel ; façon de s'adresser à soi-même, de s'adresser à son moi historique (celui d'un Mage parmi les autres Mages). Mais le poème arrive juste après le poème uploads/Litterature/ albouy-pierre-1971-hugo-ou-le-je-eclate-romantisme-1-2-repris-1976.pdf
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- Publié le Mai 10, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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