« Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la

« Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou. » Albert Camus REVUE MENSUELLE FONDÉE EN 1829 Président d’honneur : Marc Ladreit de Lacharrière, membre de l’Institut s e p t e m b r e 2 0 1 9 Albert CAMUS Le rêve brisé Passion, fascination, crimes, mensonges... L’ALGÉRIE ET NOUS Par Gilles Kepel, Ryad Girod, Jean-François Kahn, Éric Roussel, Sébastien Lapaque, Pierre Vermeren, Robert Kopp, Virginie Lupo, Annick Steta LITTÉRATURE L’inadapté, par Clara Dupont-Monod MARIN DE VIRY Les nouvelles typologies politiques Sommaire | septembre 2019 Éditorial 4 | L’Algérie et nous › Valérie Toranian Dossier | L’Algérie et nous 8 | Gilles Kepel. Les différents scénarios du « printemps algérien » › Valérie Toranian 19 | « Accueillons cette lueur présage de bonheur » › Sébastien Lapaque 28 | La Casa del Mouradia › Ryad Girod 36 | Le mystère de Gaulle › Éric Roussel 45 | Les intellectuels français sur l’Algérie › Pierre Vermeren 56 | Jean-François Kahn. Les médias français et la décennie noire. › Valérie Toranian 67 | Camus, écrivain algérien ? › Robert Kopp 75 | L’Algérie ou la terre brûlante de Camus › Virginie Lupo 82 | L’Algérie de Gide. Tourisme sexuel, naissance à la « vraie vie » et anticolonialisme › Robert Kopp 92 | Économie algérienne : les séquelles d’un gâchis › Annick Steta Littérature 100 | L’inadapté › Clara Dupont-Monod 107 | Planter des tomates en attendant la Pentecôte : un programme politique › Marin de Viry 113 | Sartre meneur de revue entre deux mondes › Olivier Cariguel 2 SEPTEMBRE 2019 SEPTEMBRE 2019 3 Études, reportages, réflexions 118 | Ivan Illitch, impitoyable procureur de la modernité › Jean-Michel Djian 125 | Alexandra David-Néel, une âme en peine. Portrait de l’orientaliste en femme (presque) ordinaire › Marion Dapsance 132 | Gandhi et la Monoamine Oxydase A › Kyrill Nikitine Critiques 138 | Livres – L’abécédaire de Voltaire › Michel Delon 140 | Livres – Nodier avait une fille › Stéphane Guégan 143 | Livres – La critique est pleinement littéraire › Patrick Kéchichian 145 | Livres – Le paradis subjectif de Christiane Rancé › Robert Redecker 148 | Livres – La réalité biographique d’Ernst Kantorowicz › Eryck de Rubercy 151 | Cinéma – Corps › Richard Millet 153 | Expositions – Lee Ufan, un art du retrait › Bertrand Raison 156 | Disques – Une « cheffe » pour un compositeur maudit › Jean-Luc Macia Les revues en revue Notes de lecture 4 Éditorial L’Algérie et nous E ntre l’Algérie et la France, toute une histoire. Une histoire écrite dans le sang. Dans le déni et le mensonge aussi. Une histoire qui a divisé les intellectuels français. Une histoire dont un nouveau chapitre est en train de s’écrire depuis février 2019, avec l’éclosion du printemps algérien. Au regard de son passé colonisateur ou des liens complexes qui lient les Français et les Algériens, notre pays est-il le moins bien placé pour appréhender ce qui se joue en ce moment de l’autre côté de la Méditerranée ? Vu de France, écrit Sébastien Lapaque, il est généralement impos- sible de saisir ce qui s’est passé en Algérie depuis la guerre d’indépen- dance. « Nationalisations, arabisation, militarisation, privatisations, islamisation : on n’y comprend rien. » Jusqu’à ce printemps algérien, qui pourtant est « peut-être la seule révolution nationale algérienne qui ne soit pas une illusion depuis l’été 1962 ». Ryad Girod, auteur algé- rien de langue française (1), est issu de la « génération d’octobre », du nom des manifestations d’octobre 1988 qui aboutirent à une nouvelle constitution, puis à la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux législatives de 1991 et enfin à une guerre civile de dix ans. Il évoque les débuts du mouvement, la révolte contre le « cinquième mandat » et les foules entonnant ce chant des stades devenu emblématique de la révolution, La Casa del Mouradia. SEPTEMBRE 2019 5 Traumatisée par la décennie noire et sanglante des années quatre- vingt-dix qui avait livré l’Algérie à la férocité des groupes terroristes islamistes, la rue algérienne, pour le moment, ne semble pas prête à laisser la radicalisation religieuse prendre le dessus. Alors que parado- xalement la société n’a jamais été aussi islamisée qu’aujourd’hui. Gilles Kepel rappelle qu’Abdelaziz Bouteflika, revenu de son exil pour assurer la pacification de la société après la décennie noire, avait mis en œuvre la concorde civile. « Cette dernière va consister à donner des gages aux islamistes. En somme, il s’agit d’introduire ceux-ci dans le système de corruption engendré par la redistribution de la rente pétro- lière ! » Le grand spécialiste de l’islam et du monde arabe s’interroge sur l’issue de ce printemps algérien. « Y aura-t-il, après une éventuelle séquence islamiste, une transition à la tunisienne, c’est-à-dire la mise en place d’institutions démocratiques ? […] Ou un scénario à l’égyptienne avec une reprise en main par un pouvoir militaire fort », après une nou- velle purge de dirigeants ayant servi, comme souvent dans l’histoire algérienne, de victimes expiatoires ? En France, dans les médias, la prudence est de mise. Le souvenir des aveuglements et des dénis d’une grande partie de la presse durant la décennie noire est-il encore frais dans les mémoires ? Jean-François Kahn, l’un des plus lucides, était à l’époque patron de L’Événement du jeudi. Il se souvient « surtout des médias de gauche » qui considéraient, à chaque fois que se produisaient des massacres épouvantables, qu’ils étaient l’œuvre non pas des islamistes… mais de l’armée qui infiltrait les islamistes. On aurait mieux fait, déplore-t-il, « de défendre le com- bat acharné des journalistes, des intellectuels et des femmes, morts par dizaines ». Chez les intellectuels français, l’Algérie fut l’objet de controverses violentes. Pierre Vermeren évoque l’opposition centrale incarnée par Albert Camus et Jean-Paul Sartre. À travers cette fameuse formule camusienne que Sartre, « fort de son ascendant sur la gauche marxiste et anticolonialiste voue aux gémonies : “En ce moment on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère” (cou- ramment transformée en : “entre la justice et ma mère, je choisis ma SEPTEMBRE 2019 6 mère”). « Face à cette pensée trop humaine, poursuit Pierre Vermeren, la violence paroxystique de Sartre se lit dans la préface des Damnés de la terre de Frantz Fanon publié en 1961 : “en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre”. » Pour l’historien, les deux groupes d’intellectuels qui dominent le paysage français jusqu’aux années quatre-vingt-dix, « les intellectuels catholiques avec leurs réseaux, et les marxistes, très présents à l’univer- sité, offrent une loyauté totale envers le régime et le peuple algériens. [...] Le dialogue interreligieux et le respect de l’islam que les théolo- giens français ont imposé à Vatican II est né en Algérie ». Camus, le plus français des Algériens, le plus algérien des Français, restera une exception. L’écrivain, de son vivant, n’a jamais renoncé à l’utopie d’une Algérie dans laquelle les deux communautés auraient fraternisé dans le partage d’une culture commune, ayant absorbé tout l’héritage antique, écrit Robert Kopp. Le contraire de l’arabisation et de l’islamisation forcées engagées par le FLN après sa victoire. Entre terrorisme et répression, la troisième voie qu’il appelait de ses vœux, était un rêve. Entre dictature et islamisme, cette troisième voie est aujourd’hui le rêve d’une jeunesse algérienne qui ne veut plus être gouvernée par une « poupée sénile » et des dirigeants corrompus, ni qu’on lui confisque ses idéaux démocratiques au nom d’une guerre anti-islamiste. Saura-t-elle rompre avec la « malédiction » du monde arabo-­ musulman, condamné à sombrer de dictatures en révolutions ­ islamistes obscurantistes, avec le peuple en éternelle victime ? Une troisième voie est-elle possible ? Albert Camus écrivait : « La mesure n’est pas le contraire de la révolte. C’est la révolte qui est la mesure, qui l’ordonne, la défend et la recrée à travers l’histoire et ses désordres. » Valérie Toranian 1. Dernier ouvrage paru : Les Yeux de Mansour, POL, 2019. SEPTEMBRE 2019 dossier ALGÉRIE 8 | Gilles Kepel. Les différents scénarios du « printemps algérien » › Valérie Toranian 19 | « Accueillons cette lueur présage de bonheur » › Sébastien Lapaque 28 | La Casa del Mouradia › Ryad Girod 36 | Le mystère de Gaulle › Éric Roussel 45 | Les intellectuels français sur l’Algérie Pierre Vermeren 56 | Jean-François Kahn. Les médias français et la décennie noire › Valérie Toranian 67 | Camus, écrivain algérien ? › Robert Kopp 75 | L’Algérie ou la terre brûlante de Camus › Virginie Lupo 82 | L’Algérie de Gide. Tourisme sexuel, naissance à la « vraie vie » et anticolonialisme › Robert Kopp 92 | Économie algérienne : les uploads/Litterature/ 05-revue-des-deux-mondes-camus1590204326500-pdf.pdf

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