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Le Philosophe dans la Cité Société pour l’innovation philosophique www.revuedemonde.org LA BIBLIOTHÈQUE DU PHILOSOPHE DANS LA CITÉ Flavia Conte Le postmoderne et l’esthétique du simulacre Mars 2009 Le Philosophe dans la Cité Société pour l’innovation philosophique www.revuedemonde.org LE POSTMODERNE ET L’ESTHÉTIQUE DU SIMULCACRE Comme on le sait, le terme « postmoderne » ne se présente pas à sa naissance comme un topos philosophique à vocation générale ; on sait bien en effet qu’il n’a pas de genèse philosophique, mais qu’il s’est développé dans le contexte spécialisé du langage architectural et de la littérature américaine, qu’on commence à en parler dès les années Trente et qu’il a même officiellement une date de naissance symbolique1. Comme le rappelle Daniel Harvey, « En ce qui concerne l’architecture, par exemple, Charles Jencks situe le 15 juillet 1972 à 15 heures 32 le moment symbolique de la fin du modernisme et du passage au postmoderne : le moment précis où le complexe Pruitt-Igoe de Saint-Louis (une version très réussie de la Machine à habiter de Le Corbusier…) fut démolie parce que considérée comme inhabitable par les gens à faibles revenus qui y résidaient […]. Les tours de verre, les blocs de ciment armé, les plaques d’acier, qui semblaient dénaturer tous les paysages urbains, de Paris à Tokyo, de Rio à Montréal, et en regard desquels tout ornement était considéré comme un délit, tout individualisme comme une forme de sentimentalisme et tout romantisme comme un exemple de Kitsch, ont progressivement fait place à des édifices décorés, à des imitations de places médiévales et de villages de pêcheurs, à des maisons de style régional ou dessinées « sur mesure », à des usines et des entrepôts rénovés, à des paysages restaurés de tous genres : le tout au nom d’un environnement urbain plus « satisfaisant » […]. Il est normal aujourd’hui de chercher à identifier des stratégies « pluralistes » et « organiques » pour lutter contre un développement urbain qui serait un « collage » d’espaces et un mélange bigarré à l’extrême, plutôt que de poursuivre des 1 Comme le fait remarquer Ihab Hassan dans La questione del postmoderno (1984) : « Federico de Onis utilise le mot « postmodernisme » dans son Antologia de la poesia espanola y ispanoamericana (1882-1932), publiée à Madrid en 1934, et fut repris par Dudley Fitts dans son Antology of Contemporary Latin-American Poetry, en 1942 […]. Le terme apparaît en outre dans le sommaire du premier volume de A Study of History, de Arnold Toynbee […] en 1947 », cité par G. Chiurazzi, Il Postmoderno, Milan, Mondadori, 2002, p.162. Le Philosophe dans la Cité Société pour l’innovation philosophique www.revuedemonde.org projets grandioses basés sur la répartition en zones fonctionnelles des diverses activités. »2 Quelle est la logique de cette destruction ? Que veut-elle suggérer de manière emblématique ? En quel sens cristallise-t-elle le symptôme de la crise ? « Le moment était venu, disaient les auteurs, de construire pour les gens et non pour l’Homme ».3 Le moment était venu de se défaire de l’abstraction du fonctionnalisme moderniste qui faisait travailler certains architectes comme Le Corbusier, Lloyd Wright et Van der Rohe selon la vision d’un projet universaliste et cosmopolite, anonyme, schématique dans ses effets créatifs, élitiste par son intention de rationaliser les volumes et les formes d’habitation, et indifférent au fond au public à qui il était essentiellement destiné. Un goût nouveau et une nouvelle sensibilité intolérants aux schématismes de l’esthétique et de la littérature High Modern, s’affirment sur la scène culturelle, américaine surtout, autour des années 1960 : dans un essai de 1964, The Death of Avant-Garde Literature, Leslie Fiedler déclarait que l’avant-garde était morte désormais, pour être devenue, avec l’aide des mass-média, elle qui avait dénoncé les modes de façon provocatrice, une mode à son tour, sans plus rien de provocant. L’avant-garde était devenue un conformisme esthétique, un maniérisme, qui servait à créer des hiérarchies et des distinctions sociales, de l’élitisme académique. Fiedler, en revanche, préconisait de la rejeter en bloc : dans la revue « Playboy », Fiedler publie « un pamphlet contre l’élitisme de la culture littéraire dominante dans les universités et autres institutions américaines, contre la critique formaliste et contre la critique marxiste […] et emploie pour la première fois, et dans un sens ouvertement positif, le mot « postmoderne » en référence à l’atmosphère culturelle nouvelle des années 1960. Pour déclarer ensuite que la critique doit cesser de maintenir une différence entre grand art et art de masse, qu’elle-même devait devenir pop et aborder avec sérieux des œuvres comme les romans policiers violents et sadiques de Mickey Spillane ou les bandes dessinées d’aventures»4. 2 D.Harvey, The Condition of Postmodernity, 1990, tr. it. La crisi della modernità, Milan, Il Saggiatore,1993, p.57. C’est nous qui traduisons de l’édition italienne. 3 D.Harvey, The Condition of Postmodernity , op. cit., pp.57-58. 4 Remo Ceserani, Raccontare il postmoderno, Turin, Bollati Boringhieri, 1997, p. 32. Le Philosophe dans la Cité Société pour l’innovation philosophique www.revuedemonde.org En utilisant le détail créatif typique du contexte local particulier, l’architecture postmoderne est à la recherche de combinaisons inusitées, délibérément complexes, et réadapte la fonctionnalité de l’espace obtenu en rapprochant de manière imprévue des motifs historiques et artistiques hétérogènes ; dans la mesure où elle ne veut pas définir de manière univoque son identité culturelle, elle renonce à la complétude organique de la construction, à la linéarité des formes à l’intérieur d’un projet unificateur, et, en appelant à la pluralité, à la contamination et à l’intégration des styles et des langages, elle fait de la citation et du fragment la règle de sa démarche stylistique et de son expressivité. L’architecture postmoderne est délibérément dépaysante, ambiguë, disparate, parce que sa technique de projet utilise indifféremment des codes irréductibles les uns aux autres et qui ne convergent pas vers un centre, et qu’elle refuse en même temps toute perspective totalisante et planifiée. L’une des différences fondamentales entre moderne et postmoderne dans le champ architectural réside dans le fait que ce dernier a abandonné l’idée de construire des espaces et des lieux répondant à une exigence de forme purement rationnelle, d’ordre rigoureux et incolore, et d’avoir introduit, ou plutôt impliqué, le vécu existentiel et la pulsion des besoins et des désirs de ceux qui devaient les habiter. L’architecture postmoderne s’oppose à une logique de construction qui répond exclusivement à des exigences fonctionnelles telles qu’elles se manifestent dans l’esthétique de la rationalisation moderniste. Les constructions modernistes n’essaient pas de s’intégrer au contexte où elles s’insèrent, elles cherchent au contraire à se démarquer de leur environnement pour affirmer leur rupture historique avec la tradition. « Ce caractère abstrait, dit Gaetano Chiurazzi, était le résultat de la prétention du modernisme à l’universalité et au cosmopolitisme : ce faisant, le cosmopolitisme dont il s’agit se produisait au prix d’une uniformisation qui réduisait à néant tous les codes traditionnels et locaux qui évitaient l’anonymat »5. Le caractère anonyme des constructions modernistes est, du reste, le résultat de cette volonté d’abstraction héritée en grande part du rationalisme et de l’universalisme des Lumières et qui oppose la modernité au gothique, au maniérisme, au baroque, desquels, à l’inverse, le postmoderne se réclame explicitement 6. 5 G.Chiurazzi, Il Postmoderno, Milan, Mondadori, 2002, p.27. 6 Dans le cadre de la nouvelle sensibilité esthétique, caractérisée par une invention subversive déclarée, dit Cesarani, « une des provocations les plus importantes fut l’organisation, à la Biennale de Venise en 1980, sur l’initiative de Paolo Portoghesi et d’un comité international, d’une exposition intitulée Présence du passé [...]. L’exposition était Le Philosophe dans la Cité Société pour l’innovation philosophique www.revuedemonde.org De fait, pour l’esthétique postmoderne, la citation et l’ornement deviennent les mots d’ordre de la poétique de l’architecture. Son objectif est de changer l’angle de vue, de désorienter, de dérouter les ressorts de l’expérience esthétique, en effaçant la distance entre original et dérivé, copie et modèle, entre antécédent et conséquence. Son regard n’est plus et n’entend plus être représentatif, n’étant plus nostalgique d’une réalité primitive dont il tirerait sa vérité essentielle. C’est pour cette raison que l’esthétique postmoderne est irrévérencieuse à l’égard de la prétendue authenticité de l’origine. Elle est simplement indifférente à toute recherche de l’authenticité et de la fondation. entièrement constituée d’architecture de citation, et servit à répandre et à faire connaître les tenants du nouveau goût.... ».Remo Ceserani, Raccontare il postmoderno, op. cit., p. 52-53. C’est en prenant cette exposition comme point de départ, ainsi qu’un article du «Franfurter Allgemeine Zeitung» signé par Wolfgang Penht et intitulé Le postmoderne comme Lunapark, que Jurgen Habermas lance une attaque directe contre le postmoderne, par un discours solennel intitulé polémiquement Die Moderne - Ein unvollendetes Projekt et tenu dans la Paulkirsche de Francfort le 11 septembre 1980 à l’occasion du prix Adorno. Pour Habermas dans les années 1980, les défenseurs du postmoderne en architecture et dans tous les autres champs culturels étaient des néo-conservateurs, héritiers des courants non rationalistes de la pensée du vingtième siècle, occupés à détruire le courant des Lumières, encore inachevé, de la modernité. C’est à cette occasion qu’il lance uploads/Ingenierie_Lourd/ f-conte-le-postmoderne-et-l-x27-esthetique-du-simulacre.pdf

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