Diagrammes, architecture, musique AuteurAlexis Meier du même auteur Architecte
Diagrammes, architecture, musique AuteurAlexis Meier du même auteur Architecte (Dplg), enseignant (ENSAPM), chercheur (AAD/MSH - GERPHAU). À la suite de son diplôme (École d’architecture Paris Villemin) en 1998, il passe une année chez Eisenman à New York puis chez Renzo Piano à Paris. Parallèlement à sa pratique, Alexis Meier termine aujourd’hui une thèse de doctorat en Esthétique sur « l’Architecture conceptuelle ». Il est également responsable d’un studio de projet d’architecture à l’ENSA Paris Malaquais depuis trois ans et enseigne à l’université de Nanterre en Master d’urbanisme depuis 2001. Le diagramme n’est pas un concept nouveau en architecture, mais il revêt aujourd’hui de nouvelles caractéristiques. Trop d’architectes encore ignorent sa théorie, sa pensée et sa pratique. Ils le réduisent le plus souvent à son mode graphique et passent à côté des nombreuses richesses qu’il a pu apporter aux révolutions conceptuelles des années 1980-2000, en particulier celle de la « déconstruction » architecturale. Longtemps considéré en France comme une futilité anglo-saxonne, ce processus a été soigneusement éludé des programmes de recherche et d’enseignement. Il semble qu’il soit apparu comme une aberration aux architectes français de penser leur discipline en dehors des seuls présupposés issus de la tradition humaniste et de ses applications pratiques codifiées. L’objet de cet article est de montrer comment la notion de diagramme, en tant qu’outil conceptuel et technique, a pu catalyser l’émergence de nouvelles stratégies architecturales notamment aux États-Unis et aux Pays-Bas, et a permis à cette discipline d’absorber l’évolution des modèles et des paradigmes qui jusque-là définissaient l’ensemble de sa pratique, qu’elle soit d’inspiration classique ou moderne. Nous porterons également notre étude sur un projet non réalisé de l’architecte américain Peter Eisenman, l’Emory University Center for the Arts (Atlanta, 1991-1993), dédié à la création et à l’expression musicale, qui convoque et « instrumentalise » des diagrammes. Diagramme(s) : qu’est ce qu’un diagramme ? 2 Depuis la plus haute Antiquité il est possible de trouver des traces de diagrammes, c’est-à- dire au sens commun, des traces de dispositifs graphiques expliquant la logique de conception d’un objet, d’un lieu ou d’un phénomène. Par exemple, les cartes médiévales dites de forme « T-O » représentent le monde selon le principe de la Sainte Trinité, ou dans un registre plus architectural, la grille à neuf cases qu’utilisait l’historien germano-Américain Rudolf Wittkower (1901-1971) pour expliquer le système de conception des villas palladiennes. De même, les « bubble diagrams » de l’architecte allemand Walter Gropius (1883-1969) étaient destinés à exprimer la position des éléments d’un programme, les uns par rapport aux autres et proportionnellement à leur taille. Nous trouvons ici la première définition du diagramme donnée dans le dictionnaire[1] [1] Dictionnaire de l’Académie française, (A à Enzyme),... suite : « Tracé géométrique simplifié de la forme essentielle ou générale d’un objet ou figure schématique représentant, en projection sur un plan transversal toutes les pièces d’une fleur, d’une inflorescence, ex : Diagramme floral. » Comme son étymologie nous le rappelle également, le diagramme a toujours désigné la relation simultanée entre une activité et une trace. Les Grecs parlent de diagramme ou de diagramma, διαγραμμα, lorsqu’ils souhaitent décrire la relation entre le déplacement du crabe et la « figure » qui se trace sur le sable. Dia- graphein signifie « écrire à travers », « écrire par » ou « tracer par ». Cette notion comprend donc une dimension graphique et iconique relative à la variation ou l’évolution de phénomènes de tous ordres. Plus tard le mathématicien-philosophe C. S. Peirce (1839-1914) désignera comme « diagrammatique » la relation entre la pression et l’élévation du mercure sous forme d’un trait de couleur. Peirce distingue habituellement trois catégories de signes, chaque classe ayant pour rôle de renvoyer le signe dans une relation spécifique entre un objet, son signe et son mode de compréhension. Il s’agit de l’icône, de l’index et du symbole. L’icône est la catégorie de signe qui a l’apparence de l’objet qu’il dénote (image). L’index a un rapport de causalité avec son objet (le rouge aux joues). Enfin le symbole a un rapport de convention avec son objet (les lettres de l’alphabet). Dans la sémiotique de Peirce[2] [2] Pour le rappel des catégories, on peut consulter les articles suivants... suite le diagramme apparaît alors comme une sous-catégorie de l’icône. Celle-ci a pour fonction non pas de ressembler à son objet et de former une image (hypoicon) mais plutôt d’en exprimer des propriétés relatives par un dispositif analogique (on retrouve la notion grecque de transposition) qui induit naturellement une sélection et une certaine abstraction[3] [3] On pense ici aux implications gigantesques du diagramme... suite. Il définit alors le diagramme comme une sorte d’icône relationnelle, « une icône de relations intelligibles » dont les caractéristiques fonctionnelles et iconiques sont selon lui très utiles pour raisonner en mathématique. « “Le raisonnement mathématique est diagrammatique” répète Peirce, dès lors qu’il explore les processus de réflexion algébrique et géométrique, chacun emploie le diagramme comme partie intégrante de leur fonctionnement[4] [4] Cité par Anthony Vidler, in « What is a diagram anyway... suite. » Peirce va même plus loin en assimilant en partie la capacité à résoudre des problèmes scientifiques à la nature des diagrammes utilisés pour se les représenter. C’est également ce sens que l’on retrouve dans le traitement du diagramme chez Gilles Châtelet. Pour ce dernier le diagramme apparaît comme une « prothèse » au service de l’intuition et de la création : « Le diagramme crée un espace au service de l’intuition mathématique, on pourrait parler à son propos de technique d’allusion[5] [5] Gilles Châtelet, Enjeux du mobile, Éditions du Seuil,... suite. » Le diagramme s’accorde donc directement avec l’idée de dispositif transitoire d’enregistrement, d’actualisation et de transformation d’un phénomène (baromètre), d’un lieu (carte) ou d’une réflexion (notation musicale ou algébrique). Nous retrouvons deux autres définitions indiquées dans différents dictionnaires, d’une part : « Figure représentant les variations, l’évolution d’un ou de plusieurs phénomènes sous la forme d’une courbe, d’un graphique[6] [6] Dictionnaire de l’Académie française, op. cit. ... suite » et d’autre part : « Logique, mathématiques. Diagramme de Wenn, représentation graphique d’opérations (intersection, réunion…) effectuées sur des ensembles[7] [7] Dictionnaire Petit Robert, 1993. ... suite. » 3 À ce stade nous pouvons donc considérer le diagramme comme un dispositif graphique permettant de convoquer le virtuel et le réel par la manipulation (le traçage) matériel de ses signes. La philosophe Noëlle Batt le résume dans son étude sur le diagramme : « Le diagramme a pour fonction de représenter, de clarifier, d’expliciter quelque chose qui tient aux relations entre la partie et le tout et entre les parties entre elles ; (qu’il s’agisse d’un ensemble naturel comme une fleur ou d’un ensemble mathématique, algébrique ou géométrique), mais qui peut aussi exprimer un parcours dynamique, une évolution, la suite des variations d’un même phénomène[8] [8] Noëlle Batt, op. cit. , p. 5-28. ... suite. » Philosophie du diagramme : Foucault, Deleuze 4 Cette capacité à exprimer la variation d’un phénomène selon un agencement de signes particuliers va intéresser Foucault dans Surveiller et Punir. Il convoquera sous le nom de diagramme le principe non seulement de l’évolution mais aussi, et c’est une nouveauté que ne manquera pas de repérer Deleuze, la formation des énoncés. Auparavant le diagramme actualisait les variations d’un phénomène selon un mode sémiotique particulier. Le diagramme devient ici le principe même de cette variation et de la mise en relation des objets auxquels renvoient ces signes. Le diagramme passe de la description à la qualification du système de relation. Il détermine la structure relationnelle des éléments du phénomène en question avant que le phénomène soit visible ou dicible. Soit une structure évolutive par laquelle pour Foucault s’actualisent en se différenciant simultanément les formations discursives et non discursives en fonction d’un régime de pouvoir déterminé. Le diagramme passe donc ici d’un dispositif descriptif à générateur, qui sert à construire des « situations » plutôt qu’à les illustrer. C’est-à-dire dans le cas de Foucault : capable de former des énoncés plutôt que de les décrire (ce qui sera traditionnellement ici le rôle de l’archive). Comme le précise logiquement Deleuze, le diagramme double « l’histoire » avec un devenir, il présuppose en quelque sorte la notion d’épistémè : « il est l’a priori que la forme historique suppose » écrira Deleuze et il est aussi l’instrument de mutation de cette forme. On rejoint ici le troisième aspect de l’analyse de Goodman concernant le diagramme. Goodman considère que le diagramme est en fait « conceptuellement » ce que nous appelons communément un « modèle » et que Foucault dénommera un « dispositif ». Le véritable modèle est en réalité un diagramme pour Goodman, c’est-à-dire un objet, une conformation qui « dénote ce dont elle est le modèle et qui en est un exemple », ce qui renvoie à la catégorie de l’échantillonnage, ce que nous avions l’habitude de nommer diagramme analytique. Dans le Surveiller et punir de Foucault, nous pouvons considérer que le Panoptique de Bentham (1748-1832) en 1791, comme le modèle chez Goodman, est bien à la fois uploads/Ingenierie_Lourd/ diagrammes.pdf
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- Publié le Apv 18, 2022
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