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1 LA TRIPLE BOTTOM LINE : UNE NECESSITE HISTORIQUE, UN CONCEPT MOUVANT Le cas A

1 LA TRIPLE BOTTOM LINE : UNE NECESSITE HISTORIQUE, UN CONCEPT MOUVANT Le cas Alucam (1952-2007) Marie-Claire Loison loison@crefige.dauphine.fr Anne Pezet anne.pezet@dauphine.fr Université Paris Dauphine DRM-Crefige, CNRS UMR 7088 Place du Maréchal de Lattre de Tassigny 75775 PARIS Cedex 16 Résumé La responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) est un phénomène récent pour l’entreprise et ses partenaires. Toutefois, on ne peut ignorer ses racines historiques. En effet, de nombreuses entreprises, en particulier dans l’industrie, ont développé très tôt des politiques sociales et environnementales. Ces dimensions pratiques et historiques demeurent néanmoins absentes de la littérature sur la RSE. Dans ce papier, nous nous proposons d’étudier un cas sur la longue durée, de 1952 à 2007, afin de comprendre comment les industriels ont pris en compte, lors d’un investissement puis au cours de l’exploitation d’un site de production d’aluminium, les différents aspects, économiques, sociaux et environnementaux, de cette activité. Le cas de la société Alucam au Cameroun montre bien comment les industriels ont intégré, bien avant l’« invention » de la RSE, la Triple Bottom Line. Depuis sa création en 1957, ce site de production d’aluminium primaire, filiale du groupe Pechiney puis Alcan, a systématiquement appliquer une politique intégrant à la fois les impacts économiques, environnementaux et sociaux de son activité. Cette permanence apparente masque cependant d’importants changements de forme dans l’exercice de cette RSE. Ce cas nous permet, dés lors, d’étudier, de manière approfondie, l’émergence historique des pratiques de RSE. Dans ce but, notre méthodologie est historique. La recherche est menée à partir des archives de Pechiney et d’Alucam. Cette étude de cas doit finalement être considérée comme une contribution empirique originale à l’histoire de la RSE et de ses pratiques. Mots-clés : responsabilité sociale de l’entreprise, Triple Bottom Line, histoire,. 2 Abstract Corporate social responsibility (CSR) is a relatively recent phenomenon for companies and their partners. However, we cannot ignore its historical roots. Many companies, especially in industry, developed social and environmental policies and practices a long time ago. These practical and historical dimensions remain yet absent from the academic literature on CSR. In this article, we propose to study a case over a long period of time, from 1952 until 2007, in order to understand how manufacturers took into account the various economic, social and environmental aspects of their activity, at the time of an investment, then during the exploitation of a production site of aluminium. The case of the company Alucam established in Cameroun shows how the manufacturers integrated the Triple Bottom Line, well before the ‘invention’ of CSR. Since its creation in 1957, this production site of primary aluminium, has systematically applied a policy which simultaneously integrated the economic, environmental and social impacts of its activity. However, this visible permanency masks important changes of shape in the exercise of the CSR. This case study then allows a better understanding of the building process of CSR in the aluminium industry. In that aim, our methodology is historical. The research was mainly carried out on the basis of the study of the archives of Alucam. Such an empirical research, highlighting the reality of the practices implemented in companies, constitutes an original contribution to the history of CSR. Keywords: Corporate social responsibility, Triple Bottom Line, history. 3 Si la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) est un phénomène récent, on ne peut ignorer ses racines historiques. La littérature en sciences de gestion montre à travers différents exemples, que la prise en compte de ces préoccupations sociales et environnementales ne sont pas des phénomènes nouveaux pour l’entreprise. En effet, nombre d’entreprises, en particulier dans l’industrie, ont développé très tôt des politiques sociales et environnementales (Aggeri et al., 2005 ; Grinberg & Pezet, 2006; Loison & Pezet, 2006; Berland & Loison, à paraître). Toutefois, reconnu au niveau théorique, l’ancrage historique de la problématique de la RSE n’a suscité que peu de travaux empiriques consistant à mettre en évidence la réalité des pratiques de RSE observables dans les entreprises. Notre premier objectif, dans ce papier, est de montrer qu’avant de devenir un objet d’engouement palpable, la RSE trouve ses racines dans un temps plus long que celui que l’on considère dans la plupart des recherches. Le second objectif de ce papier est de comprendre de quoi est véritablement constitué la RSE, au-delà des discours plus ou moins convenus produisent par les entreprises. Le but est de découvrir ce que font très concrètement les entreprises pour mettre en œuvre leurs politiques déclarées de RSE. En effet, si de nombreux travaux s’intéressent aux aspects théoriques de la RSE ((Bowen, 1953; Capron & Quairel- Lanoizelée, 2004 ; Caroll, 1979, 1991, 1999 ; Chauveau & Rosé, 2003 ; Clarkson, 1995 ; Davis, 1960, 1973 ; Donaldson, 1983 ; Frederick, 1987 ; Friedman, 1987 ; Gond & Mullenbach, 2004 ; Goodpaster, 1983 ; Igalens & Joras, 2002; Post & Preston, 1975, 1987 ; Swanson, 1995 ; Wartick & Cochran, 1985 ; Wood, 1991), plus rares sont les recherches en matière de pratiques d’entreprises. C’est ce dernier courant que nous cherchons à enrichir ici. Le constat du manque d’études empiriques et historiques sur le thème de la RSE nous a ainsi conduit à entreprendre une analyse historique des pratiques mises en place par un groupe industriel de dimension internationale dans le cadre de l’implantation d’un nouveau site de production d’aluminium au Cameroun. Dans ce papier, nous nous proposons ainsi d’étudier un cas sur la longue durée, de 1952 à 2007, afin de comprendre comment les industriels ont pris en compte, lors d’un investissement puis au cours de l’exploitation d’un site de production d’aluminium, les différents aspects, économiques, sociaux et environnementaux, de cette activité. N’abordant pas les aspects théoriques de la RSE traités par ailleurs dans les recherches en gestion, cette étude de cas doit être considérée comme une contribution empirique originale à l’histoire de la RSE et de ses pratiques. L’industrie de l’aluminium a été tôt confrontée à la fois à la mondialisation et aux questions sociétales (Loison & Pezet, 2006). Le contexte de l’investissement international a en effet été propice à la conception et à la mise en œuvre de stratégies qui, au-delà de l’intérêt 4 économique, englobaient des dimensions sociales et environnementales. On parle à ce sujet d’une approche Triple Bottom Line ou Triple Approche en français, définie1 comme une “conception selon laquelle les performances globales d'une entreprise doivent être mesurées en fonction de sa contribution combinée à la prospérité économique, à la qualité de l'environnement et au capital social”. Le cas de la société Alucam au Cameroun montre bien comment les industriels ont intégré, bien avant l’« invention » de la RSE, la Triple Bottom Line. Depuis sa création en 1957, ce site de production d’aluminium primaire, filiale du groupe Pechiney puis Alcan, a systématiquement appliquer une politique intégrant à la fois les impacts économiques, environnementaux et sociaux de son activité. Cette permanence apparente masque cependant d’importants changements de forme dans l’exercice de cette RSE. De 1950 à 1980, Alucam privilégie une responsabilité qui prend la forme d’un rapport politique au gouvernement camerounais. Ce n’est que par la suite que l’entreprise développera un rapport plus direct à la société et aux individus. Quand Pechiney s’installe au Cameroun, l’habitude des grands investissements étrangers n’est pas encore prise (Beau, Danjou et David, 1975; Cailluet, 1995; Karlin & Lainé, 1994; Lesclous, 1999; Savey, 1977). Le projet de construction d’une usine aux Etats-Unis vers 1912 a marqué les esprits mais n’a pas abouti. Edéa sera le premier grand investissement de Pechiney hors de France, encore reste t-on en terre coloniale2. De nouveaux problèmes vont ainsi se poser, de nouvelles incertitudes vont apparaître et c’est à cette occasion, face à ces nombreuses zones d’ombres, que Pechiney va aborder de nouvelles questions. Si les questions économiques, sociales et environnementales, dont la combinaison caractérise l’exercice de la responsabilité sociétale pour une entreprise, ne sont pas inconnues du groupe industriel à l’époque, elles prennent en Afrique des dimensions nouvelles. Ce cas nous permet, dés lors, d’étudier, de manière approfondie, l’émergence historique des pratiques de RSE. Concernant cette implantation au Cameroun, l’intérêt de l’industriel était double. D’une part, après la seconde guerre mondiale, Pechiney peine à maintenir une position concurrentielle forte face aux géants nord-américains. Dans ce contexte, l’Afrique représente une opportunité en termes de ressources énergétique et minière3. Le Cameroun offre notamment d’importantes capacités hydroélectriques indispensables pour Pechiney après la nationalisation d’EDF en 1 Définition issue du Livre Vert de la Commission des Communautés Européennes du 18 juillet 2001. 2 Le Cameroun obtient son indépendance en 1958. 3 La production d’aluminium dépend de deux facteurs stratégiques : l’électricité et la bauxite (qui vient de Guinée). 5 1946. D’autre part, la politique coloniale française évolue à cette période vers l’idée d’un échange moins inégal dans lequel le développement des territoires, et non plus leur seule exploitation, deviendrait possible. Des politiques incitatives sont ainsi mises en place avec des aides au financement et une fiscalité avantageuse par différentes institutions nationales et internationales. Le développement économique, social et humain ainsi que l’industrialisation de l’Afrique font ainsi partie de l’argumentaire uploads/Industriel/ une-necessite-historique-un-concept-mouvant-le-cas-alucam.pdf