Postface de Louis-Jean Calvet Publie par Charles Bailly et Albert Sechehaye ave
Postface de Louis-Jean Calvet Publie par Charles Bailly et Albert Sechehaye avec la collaboration de Albert Riedlinger Edition critique preparee par Tullio de Mauro Ferdinand de Saussure Coors de linguistique generate Grande Bibliotheque Payot p Depuis Jes premieres annees du xvm- siecle, de generation en gen6- ration, se succedent dans la vieille famille genevoise des Saussure des naturalistes, des physiciens, des geographes, Mener plus loin lea connaissances dans le domaine des sciences naturelles et des sciences exactes est une heredite famlliale, aeceptee avec un orguell conscient. Seule Albertine-Adrienne de Saussure, aux debuts du xrx• siecle, a'eloigne de cette habitude pour se toumer vers l'esthetique des lettr~ romantiques et des phllosophes idealistes allemands, ainsi que vera la pedagogie. Deux generations plus tard Ferdinand de Saussure fait un choix tout aussi inhabituel dans la famille (et un amide l'aleule patemelle, Adolphe Pictet, initiateur des etudes de paleontologte lin- guistiques et patriarche de la culture genevoise au milieu du xix• y a certainement une part notable). A dix-neuf ans, apres avoir etudie durant deux semestres la cbimie, Ia physique et les sciences naturelles a l'universite de Geneve, le Jeune Saussure reprend decid6- ment Ies etudes litteraires et en particuller les etudes linguistiques, deja amoreees dans son adolescence, et il se rend pour ce faire en Alle- magne, a Leipzig et a Berlin, capitales mondiales des etudes philo- logiques a cette epoque, Le refus de la tradition familiale conceme cependant le contenu des recherches. La forma mtnlis scientUlque, beritee du p~ familial a travers l'enseignement direct du pere, foumit les traits les plus typl- ques de sa personnallte intellectuelle et de son eeuvre : le refus de toute mystification, de toute fausse clarte ; la parclmonie gallleenne da111 l'introduction de neologismes techniques (ll leur prefere Ia vole de la definition stipulatlve qul redetermine et discipline techniquement l'uaage des mots courants); la disposition a remettre en jeu les theses et lea demonstrations les pJua cheres sous l'impulsion de nouvelles considerations ; l'attention accordee aussi bien aux faits partlcullen qu'll leur concatenation systematique. A la fin de son Autobiographie, © 1967, pour les notes et commentaires de Tullio de Mauro, Laterza. © 1916, 1972, 1985, 1995, Editions Payot & Rivages, 106 bd Saint-Germain, Paris VI' INTRODUCTION Les notes et commentaires de Tullio de Muro (pages , a xvm et 319 a 495) ont ete traduits de l'italien par Louis-Jean Calvet. liste de ses eleves, recemment reconstttuee avec une patience meri- toire, montre que beaucoup d'entre eux ont ete ceux quivers la fin du xix• slecle et au debut du slecle suivant ont constttue les cadres moyens, le chatnon vital de l'universite fran~ise et suisse romande. Plus encore : ceux qui ont guide la linguistique modeme se sont formes il J'enseignement de Saussure : Paul Passy qui, parmi I.es premiers, elabora une vision fonctionnelle des phenomenes phonettques ; Mau- rice Grammont, un mattre de la phonettque du xx• sleele, parml les premiers a proposer une interpretation systematlque des changementa diacbroniques ; Antoine Meillet, qu'un, grand philologue comme Giorgio Pasquali conslderait comme c le lin~iste le pl~s genial du xx• sleele • chef inconteste de l'ecole trancatse de lingmstique histo- rique, se disttnguant par l'elaboratlon et la verification d'une interpre- tation sociologique de l'histoire linguistlque ; Charles Bally, qui a amene a un niveau scientiflque les recherches de stylistique des langues ; Albert Sechehaye, qui entrouvrit le fertile champ de recherche a l'intersectlon de la psychologie et de la linguistlque ; Serge Karcevskij, qui appliqua au domaine slave la vision dynamique du mecantsme Jinguistique elaboree par Saussure, et qui, a Moscou en 1915, a Prague dans les annees vingt, co-auteur des Theses redigees par les linguistes moscovites fondateurs de l'ecole de Prague, a transmis les idees du maltre genevois a Trubeckoj, a. Jakobson, et meme a plusieurs des llnguistes suisses plus jeunes. 11 y a la trop de personnalites exceptionnelles pour penser a un pnr hasard, pour ne pas y voir le resultat d'une profonde vocation pour }'education a la recherche, le signe d'une volonte de se perpetuer dans les eleves et de vaincre, par ce moyen, le sens de l'isolement. Le contraste entre isolement et participation ne domine pas seule- ment la vie prlvee le destin humain de Saussure. Nous le retrouvons l un niveau plus profond dans ses rapports avec la linguistique et la pensee de son temps et du nOtre. Les themes et instances de recherches que nous eonstderons aujour- d'hul comme typiquement saussuriens circulent dans toute la cult~re de la deuxleme moitie du xrx- siecle. L'instance d'une grammaire descriptive, statique, est ressentie par Spitzer, aecentuee par Whit- ney, Brugmann et Osthoff, Ettmayer, Gabelentz, Marty; la necessite d'etudier les phenomenes pboniques en rapport avec leur fonctlon signiflcative est soutenue par une vaste troupe de savants, Dufri~e, Winteler, Passy, Sweet, Baudouin, Kruszewski, Noreen; Frege dia- tingue entre sens (Bedeutung) et signifle (SiM); Svedelius preconise une c algebre de la langue » ; Noreen distingue entre etude substan- tielle et etude formelle des contenus semanttques et des aspects phoniques ; Whitney, Steinthal, Paul, Finck insistent sur l'~spect social des faits Jinguistiques et, avec beaucoup de neogrammairiens. Darwin depeint le comportement sclentiflque comme une combinaison bien dosee de scepticisme et d'imagination conflante : cbaque these, meme la plus admise, est consideree comme hypothese, et cbaque bypothese, meme la plus etrange, est conslderee comme une these possible, susceptible d'etre veriflee et developpee. Ferdinand de Saussure a Incarne ce comportement en linguistique. C'est peut-etre justement la tendance Innee a la recherche poussee aux limites du connu qui le mene hors des domaines dans lesquels avaient evolue ses aleux, vers une discipline encore in fieri, ce qu'etait encore a cette epoque la linguistique. Dans la sphere de ces etudes, !'affirmation du jeune homme est prodigieusement rapide. II a vingt ans lorsqu'il concott, vingt et un lorsqu'il redige ce qu'on a considere comme c le plus beau livre de linguistique historique qui ait Jamais ete ecrit •, le M~moire sur les uoyelles; ii a vingt-deux ans lorsque, Juste avant d'obtenir son dlplome, ii s'entend demander avec bien- veillance par un docte professeur de l'universlte de Leipzig s'il est par hasard parent du grand linguiste suisse Ferdinand de Saussure ; ii n'a pas encore vingt-quatre ans lorsque, apres un semestre d'etudes il la Sorbonne on ii etait alle perfectionner sa formation, ii se voit confler l'enseignement de la grammaire comparee dans la msme faculte et, par la, se charge d'inaugurer la nouvelle discipline dans les untver- lites francaises. II est comprehensible que succede aux debuts precoces et inten.ses une longue pause de recueillement. Mais la pause se prolonge avec les annees : les travaux de Saussure soot toujours des c pieces de musee • {comme le dira plus ta.rd Jakob Wackemagel), mais soot toujoun plus redults et plus rares. En 1894, trois ans apres son retour a Geneve, l'organisation du congres des orientalistes et la participation a cette manifestation par un memoire de grande importance dans l'histoire des eludes baltes soot les dernieres manifestations publiques tmpor- tantes de son talent. II s'enferme ensuite dans des recherches dont ii llvre parfois quelques mots a ses amis ; mais ii observe un silence presque complet devant le public scientiflque international. En 1913, juste apres sa mort, un eleve et ami genevois ecrit de lul qu'il avait c vecu en solitaire •· L'image du solitaire se justifle certal- nement par son isolement croissant, par son silence scientiflque prolongs, par certains traits de sa vie privee, par la tristesse qui voile lei demieres rencontres avec ses eleves et les lettres. Et pourtant, meme en termes strictement biographiques, ce serait une erreur que de n'accorder d'importance qu'a la constatatlon de sa 10litude. 11 eut effectivement peu d'amis : mais e'etaient Michel Breal, Gaston Paris et Wilhem Streitberg, grands noms des etudes Jinguistiqµes et philologiques des deux pays alors a l'avant-garde en c:es domaines, I' Allemagne et la France. Et si ses salles de cours, l Paris et l Geneve, pouvaient parattre et etaieni l moitie vides, la III INTRODUCTION INTRODUCTION D son epoque ; mats la fonne ultime de la conception est originellement l lul. Parvenir il cette fonne a ete le probleme central de sa biogra- phie sclentiflque et intellectuelle, le terme de trente annees de re- cherches insatisfaites. II l'atteint dans Jes dernleres annees de sa vie, et n en trace lea contours dans Jes ouvertures, lea conclusions, lea momenta princlpaux du second et du trolsteme coun de linguistique generale (1908-1909, 1910-1911) a Geneve. Les recents travaux de R. Godel et R. Engler nous permettent de la saisir. On ne peut cependant pas en dire autant du Cours de linguistique gemrale. Comme chacun salt, le texte de l'eeuvre a ete elabore par Bally et Sechehaye en fondant en une redaction se posant comme unitaire Jes notes prises par les 6leves durant les trois cours de linguistique gen6rale tenus par Saussure et les rares notes autographes retrou- vees dans sea papiers apres sa mort. Les fragments de la pensee saussurienne (mis il part quelques rares malentendus) sont uploads/Histoire/ cours-de-linguistique-generale-saussure.pdf
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- Publié le Mar 11, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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