> Cultures-Kairós > Théma Capoeiras ? objets sujets de la contemporanéité / Thé

> Cultures-Kairós > Théma Capoeiras ? objets sujets de la contemporanéité / Théma « Capoeira, art créole » Matthias Röhrig ASSUNÇÃO Laure GARRABÉ (traducteur) Résumé Deux discours prédominants se dégagent au sein du débat sur l'origine de la capoeira. L'interprétation nationaliste brésilienne met en exergue tout ce qu'il y a de nouveau dans la capoeira pour en souligner l'originalité, et donc, l'originalité de la culture brésilienne. L'interprétation afrocentrique, notamment dans sa flexion la plus fondamentaliste, insiste sur les aspects « dérivés de l'Afrique » seulement pour démontrer que la capoeira est, avant tout, africaine. Je voudrais montrer ici comment l'approche à partir de la créolisation permet de dépasser l'impasse créée par le conflit entre ces deux discours. Pour ce faire, j'examinerai quelques aspects pertinents de la capoeiragem à Rio de Janeiro au XIXè siècle et de la vadiação à Bahia au début du XXè siècle, ainsi que les jeux de combat contemporains en Angola. Les sources suggèrent que la capoeira a combiné et restructuré divers jeux de combat africains au sein d'une même manifestation plus englobante. Abstract Two master narratives stand out in the discussion about the origins of capoeira. The Brazilian nationalist interpretation highlights everything that is new about capoeira, to emphasise its originality, and, hence, the originality of Brazilian culture. In contrast the Afrocentric discourse, particularly in its fundamentalist variant, only highlights the African-derived characteristics to demonstrate that capoeira is, above all, African. I want to show here how the creolization approach allows overcoming the conflict between these two narratives. For that aim relevant aspects of capoeira in nineteenth-century Rio de Janeiro and early twentieth-century Bahia are examined, as well as some contemporary combat games from Angola. Evidence suggests that capoeira combined and rearranged various African combat games into a more inclusive form. Resumo Na discussão sobre a origem da capoeira destacam-se duas narrativas-mestres. A nacionalista enfatiza tudo que a capoeira tem de novo, para ressaltar a sua originalidade, e portanto, a originalidade da cultura brasileira. A afrocêntrica, particularmente na sua vertente mais fundamentalista, ressalta apenas os aspectos « derivados da África » para demostrar que a capoeira é, antes de tudo, africana. Quero mostrar aqui como o enfoque da crioulização permite ultrapassar o impasse criado pelo conflito entre essas duas narrativas. Para isso são examinados alguns aspectos relevantes da capoeiragem oitocentista carioca e da "vadiação" baiana do início do século XX, assim como jogos de combate contemporâneos em Angola. As fontes sugerem que a capoeira combinou e re-estruturou vários jogos de combate africanos numa manifestação mais abrangente. L'histoire de la capoeira nous est contée depuis ses origines tant par les maîtres et professeurs de cet art, que par des historiens et des chercheurs de diverses disciplines. Depuis toujours, ces récits dialoguent, et s'influencent réciproquement. Parmi les nombreux discours prédominants [master narratives], deux se distinguent : le brésilien nationaliste et l'afrocentrique. Ils sont antagoniques et apparemment irréconciliables : le premier insiste sur la rupture, le deuxième sur la continuité. Le premier met l'accent sur tout ce que la capoeira a de nouveau, pour souligner son originalité, et pourtant, l'originalité de la culture brésilienne. Le deuxième souligne seulement les aspects dérivés de l'Afrique (« African-derived » **) pour démontrer que la capoeira est, avant tout, africaine. Je voudrais montrer ici comment la focale de la créolisation permet de dépasser l'impasse créée par le conflit entre ces deux discours ; et que cette > Cultures-Kairós > Théma approche permet vraiment de comprendre la formation de la culture populaire brésilienne dans le contexte plus large de l'Atlantique luso-noir (luso-negro). La construction de l'histoire Le discours nationaliste sur l'histoire de la capoeira a prédominé dans la société brésilienne durant le XXè siècle, et il est toujours prépondérant aujourd'hui. Lorsque j'ai commencé à m'entraîner à la capoeira, en 1980, les professeurs nous expliquaient à nous étudiants comment la capoeira fut inventée par les esclaves dans les senzalas* et les quilombos*. Ils donnaient une série d'explications sur l'histoire de cet art en insistant sur le fait qu'il n'existait rien de semblable en aucun autre lieu de ce monde. J'étais simplement un pratiquant amateur sans intérêt académique pour la capoeira, mais en tant qu'historien travaillant sur l'esclavage au Brésil, je trouvais ces explications de moins en moins convaincantes. Ils nous disaient, par exemple, que les esclaves utilisaient les pieds pour les coups parce que leurs mains étaient attachées par des chaînes, et que la capoeira a incorporé des caractéristiques de la danse pour tromper les maîtres (1). Il est important de noter que le discours dominant qui construit la capoeira comme authentiquement ( genuinamente) brésilienne se base sur une tradition discursive qui remonte au XIXè siècle. Les histoires racontées par les maîtres et les textes écrits par les savants et les intellectuels ne constituent pas deux mondes segmentés, mais entretiennent des relations complexes d'influence mutuelle qui précèdent la constitution d'un champ académique propre, d'études sur la capoeira, à partir de la décennie de 1980, lorsque les premières dissertations et thèses dédiées à ce thème sont présentées dans des disciplines et des universités diverses. Cela dit, bien avant l'ère d'internet, quelques livres et articles circulaient parmi les capoeiristes, ainsi que de rares disques de capoeira enregistrés avant les années 1980. Les textes étaient généralement des photocopies, ou même des photocopies de photocopies, presque illisibles, et parfois à la paternité incertaine. De cette manière, certaines histoires sur l'origine de la capoeira étaient non seulement répétées, mais littéralement reproduites, par le biais de l'usage des mêmes expressions. Le meilleur exemple est le texte d'Annibal Burlamaqui (1928, p. 11-12). Répétant des arguments déjà avancés par quelques auteurs tels que Mello Moraes Filho ([1888] 1979), il affirma, en 1928, que les quilombolas ont développé cet art au contact intime de la nature, « fraternisant avec les animaux », développant ainsi « un jeu étrange de bras, jambes, tête et tronc, avec une telle agilité et une telle violence, capables de leur donner une prodigieuse supériorité [sur les capitães de mato*] ». Cette dernière phrase est devenue fameuse, et fut répétée d'innombrables fois par des générations entières de capoeiristes et d'auteurs (souvent sans citer la source). Je pense que nous devons donner à Burmalaqui le crédit d'avoir forgé le mythe puissant des quilombolas inventant la capoeira dans l'intérieur du Brésil. Les folkloristes et les intellectuels qui écrivirent sur la capoeira, dès la fin du XIXè siècle, ont collecté des informations auprès des capoeiras eux-mêmes, en suivant l'exemple de Mello Moraes (1979). D'autres étaient eux-mêmes pratiquants, comme Burlamaqui, Coelho Neto, et Raul Pederneiras (Moura, 2009). Le premier texte à nous donner une vision « émique » ou du dedans du monde de la capoeiragem*, et des maltas* cariocas, fut écrit par le poète portugais Plácido de Abreu (1886), pratiquant de l'art à la fin de l'Empire. Ainsi, un ensemble d'auteurs ? écrivains, journalistes et politiques ? directement intéressés par cette version, élaborèrent ce discours dominant qui construisit la capoeira comme art authentiquement brésilien. L'intérêt croissant des militaires, qui étaient à la recherche, dès le XIXè siècle, d'une gymnastique brésilienne pour l'enseigner aux recrues, a contribué encore plus à renforcer l'idée d'une capoeira comme art authentiquement national. L'impact de ce récit est visible, par exemple, dans l'usage important des symboles nationaux (le drapeau, et les couleurs vert, jaune et bleu) dans l'univers de la capoeira jusqu'aujourd'hui. Le discours qui met en exergue la contribution africaine à la formation de la capoeira a elle aussi une longue tradition, s'initiant avec les Africains réduits en esclavage en terres brésiliennes. Nous ne disposons pas, néanmoins, de témoignages directs à ce sujet, pour le XIXè siècle. Mais Manoel Querino ([1916], 1946) a déjà signalé, au début du XXè siècle, que l'art était associé aux Angolais à Bahia. Les capoeiras bahianais s'y référaient comme à un jeu [brinquedo] d'Angola. Selon la tradition orale, le professeur de Pastinha, Benedito, était Angolais. Luanda aussi est remémorée dans de nombreux chants de capoeira. Cela dit, ni les « fondements » de l'art ni l'histoire orale nous fournissent plus de détails sur > Cultures-Kairós > Théma d'éventuelles origines angolaises plus spécifiques, comme le font, par exemple, les nations du candomblé *. Édison Carneiro et Artur Ramos furent des chercheurs pionniers dans la tentative de comprendre comment la capoeira se liait à des pratiques africaines plus anciennes. À partir de sources portugaises sur l'Afrique, Ramos (1954, p. 121) a attiré l'attention sur les danses de guerre, chasse et pêche, et sur les rites de passage congo-angolais introduit par les esclaves au Brésil. Il cite en particulier la cufuinha, « danse guerrière » pratiquée dans l'Empire de Luanda au XIXè siècle. Édison Carneiro conclut la pensée de son ami en lui écrivant, en 1936 : « Je pense trouver une origine ancienne de la capoeira dans la cufuinha de Luanda que tu [Arthur Ramos] cites dans « Folclore » [Negro no Brasil] » (Oliveira & Lima, 1987, p. 89). Aussi bien Carneiro que Ramos, ainsi, considéraient que plusieurs manifestations africaines contribuèrent à la formation de la capoeira. En plus de cela, dans cette première uploads/Histoire/ capoeira-art-creole.pdf

  • 41
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 09, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.7568MB