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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/6 Attentat de Rambouillet: pourquoi les policiers sont ciblés par les terroristes en France PAR MATTHIEU SUC ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 25 AVRIL 2021 L’attentat de Rambouillet porte à 12 le nombre de membres des forces de l’ordre ayant été tués depuis 2015. Les attaques les visant se multiplient. Une « exception française » qui s’est développée avec l’effondrement du califat de l’État islamique. Les organes de propagande djihadistes ciblent régulièrement la police française dans leurs publications. © DR Le 14 avril dernier, Manhattan Wolves («les loups de Manhattan»), un magazine de propagande djihadiste, publiait son deuxième numéro. Comme le pointe le Memri, une organisation non gouvernementale de surveillance des médias islamiques, ce nouveau magazine sur Internet, partisan d’Al-Qaïda et qui se décrit comme « un guide pour les loups solitaires au pays des croisés », appelait à tuer des policiers. Et proposait même de verser une récompense de 60000 dollars en bitcoin au premier auteur d’un assassinat de policier dans un pays occidental. En couverture, un policier de dos lors d’une opération de maintien de l’ordre. En France. Aussi, lorsque vendredi, en début d’après-midi, Jamel Gorchane, un Tunisien de 36 ans, tue à coups de couteau une adjointe administrative de la police nationale à l’entrée du commissariat de Rambouillet dans les Yvelines, avant d’être mortellement blessé à son tour par les tirs d’un policier, les enquêteurs songent tout de suite à l’appel au meurtre de ces Loups de Manhattan. Comme nous l’a confirmé une source proche du dossier, ils vont d’ailleurs vérifier dans le matériel informatique saisi lors de perquisitions chez ses proches si le terroriste n’a pas consulté le nouveau média de propagande djihadiste dans les jours ayant précédé son passage à l’acte. Pour l’heure, les premières investigations techniques n’ont rien permis de découvrir de compromettant. Jamel Gorchane a porté ses coups de couteau à la gorge de sa victime une fois à l’intérieur du sas du commissariat, selon un mode opératoire identique à celui choisi par Bertrand Nzohabonayo, qui, le 20 décembre 2014, blessait trois fonctionnaires de police en criant : « Allahou akbar ! » avant d’être abattu à Joué-lès-Tours, en prélude à la vague d’attentats qui allait frapper la France et faire 264 morts en six ans. Parmi eux, on dénombre douze membres des forces de l’ordre (policiers, gendarme, policière municipale, membres du personnel administratif), une vingtaine d’autres ont été, plus ou moins grièvement, blessés. Sans compter les trois militaires tués par Mohammed Merah en mars 2012. En 2018, Mediapart avait relevé que les forces de sécurité dans leur ensemble (si on ajoute les militaires) étaient de plus en plus souvent prises pour cible par les djihadistes. Depuis Joué-lès-Tours, dix-sept attaques de ce genre ont été recensées, a précisé ce matin le procureur antiterroriste Jean-François Ricard, lors de sa conférence de presse. Selon plusieurs sources, la DGSI avait établi, avant l’attaque de Rambouillet, que les forces de sécurité étaient la cible de 40% de l’ensemble des attentats en France depuis 2013, si on compte les attaques réussies (ayant fait des victimes), échouées (par le fait des terroristes) ou déjouées (par l’action des services de l’État). Dans le même temps, si les continents africain et asiatique sont habitués à ces attentats ciblés sur les forces de l’ordre locales, le reste de l’Europe n’a connu que peu d’exemples ces dernières années : un djihadiste a tué deux policières à Liège en mai 2018, un autre a poignardé mortellement un bobby britannique devant le Parlement à Londres en mars 2017. Mais, Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/6 dans l’ensemble, les terroristes privilégient des cibles indéterminées, cherchant à tuer le plus grand nombre au moyen de véhicules-béliers lancés dans les artères très fréquentées de Barcelone, Berlin ou Stockholm. Comment expliquer alors ce que la DGSI, dans une note établie fin 2017, qualifie d’« exception française»? Évacuons d’abord les attaques dites « d’opportunité ». Le 8 janvier 2015, à cause d’un embouteillage provoqué par un accident de circulation, Amédy Coulibaly est, semble-t-il, dévié de son objectif initial et choisit d’abattre la policière municipale, en tenue, Clarissa Jean-Philippe à Montrouge. La veille, les frères Kouachi ont tué Franck Brinsolaro, chargé de la sécurité de Charb, dernier obstacle qui se dressait devant eux avant de massacrer la rédaction de Charlie Hebdo. Puis, dans la rue, ils achèvent le gardien de la paix Ahmed Merabet, qu’ils suspectent - à tort - de leur avoir tiré dessus. Le 23 mars 2018, Radouane Lakdim termine sa sanglante odyssée en poignardant à mort le lieutenant- colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, qui s’était proposé pour être échangé avec une otage retenue dans le supermarché de Trèbes. Mais, un peu plus tôt dans la matinée, le terroriste Lakdim avait fait feu sur des CRS en train de faire leur jogging devant une caserne de Carcassonne. Car, la plupart du temps, quand des membres des forces de sécurité ont été attaqués, c’est parce qu’ils avaient été pris pour cible comme tels. Comme cela apparaît dans certains des attentats planifiés par l’État islamique depuis la zone syro-irakienne. En janvier 2015, les membres du commando de Verviers, piloté par Abdelhamid Abaaoud, s’enthousiasment à l’idée « d’avoir du flic ». Ceux du dossier Ulysse, qui viennent d’être condamnés à des peines allant de vingt-deux à trente années de réclusion criminelle, ont reconnu avoir été missionnés pour commettre un attentat au siège de la DGSI ou au 36, quai des Orfèvres : « Il fallait entrer dedans et allumer ce qu’il y a. » Dans une vidéo de revendication diffusée sur Facebook depuis le pavillon de ses victimes, Larossi Abballa se vante de son crime et appelle ceux qui le regardent à eux aussi « privilégier les policiers »… © DR Et il y a, bien sûr, le cas de Magnanville. Aux environs de 20 heures, le 13 juin 2016, Larossi Abballa tue de neuf coups de couteau à l’abdomen Jean-Baptiste Salvaing, un commandant de la brigade de sûreté urbaine du commissariat des Mureaux, devant son domicile. Puis il se retranche dans la maison de sa victime où sera découvert, après l’élimination du terroriste, le cadavre de Jessica Schneider, la compagne du commandant Salvaing, elle-même agente administrative au commissariat de Mantes-la-Jolie. L’enquête, toujours en cours, n’a pas permis de déterminer de lien précis entre le tueur et ses victimes. Une chose est sûre : Abballa n’a pas frappé au hasard. Dans une vidéo de revendication diffusée sur Facebook depuis le pavillon de ses victimes, il se vante de son crime et appelle ceux qui le regardent à eux aussi « privilégier les policiers »… Une autre certitude : sa volonté de cibler les forces de l’ordre était ancienne. Comme Mediapart l’avait révélé, il projetait dès 2011 de « commencer le taf », c’est-à-dire procéder au « nettoyage de kouffars [mécréants, ndlr] » avec une idée assez précise : lors Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/6 de la perquisition de son domicile de l’époque était découvert un agenda contenant une liste d’adresses de commissariats. Quand l’État islamique se moque de l’état d’urgence Lors de sa conférence de presse dimanche matin, le procureur Ricard a souligné qu’« en tant que symboles de l’État les forces de l’ordre étaient depuis longtemps des cibles privilégiées des terroristes ». C’est une évidence. Comme le rappelait en mai 2016 Inspire, le magazine d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, le choix du lieu de l’attentat doit permettre « d’envoyer un message clair ». Comment mieux dire que vous vous en prenez à un État quand vous attaquez ses forces de l’ordre ? Face aux policiers qui l’assiègent, Mohammed Merah avait expliqué : « Je savais qu’en tuant des militaires et des Juifs le message passerait mieux […], j’avais un but précis dans mes choix de victimes. » Comme le remarque l’essayiste Hakim El Karoui, auteur avec Benjamin Hodayé du livre Les Militants du djihad. Portrait d’une génération (Fayard, décembre 2020) : « Les djihadistes s’en prennent aux représentants de l’État, qui plus est à ceux qui les pourchassent. En ciblant les forces de l’ordre, ils frappent ainsi à la fois l’adversaire opérationnel et symbolique. Ce qui est le plus étonnant, ce n’est pas tant qu’ils attaquent les policiers français mais qu’il n’y ait pas plus d’attentats de ce type dans d’autres pays… » Le porte-parole aujourd’hui décédé de l’État islamique, le cheikh Abou Mohamed al-Adnani, exhortait dans un message « les croyants dans les pays occidentaux » à attaquer « leurs armées, leurs polices, leurs services de renseignement ». La propagande djihadiste prête une attention particulière aux actions et exactions des forces de l’ordre ennemies. Ainsi quand les perquisitions administratives en pleine nuit commencent à faire polémique en France, Dar al-Islam, la revue francophone de l’État islamique, se gausse dans un édito : « La mesure phare du gouvernement français pour faire face [aux prochains attentats – ndlr], c’est l’état d’urgence ! Parlons-en, justement. Des perquisitions totalement arbitraires, des assignations à résidence aux effets uploads/Geographie/ mediapart.pdf

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