Le Mali,1960-1968 Exporter la Guerre froide dans le pré carré français MANON TO

Le Mali,1960-1968 Exporter la Guerre froide dans le pré carré français MANON TOURON Résumé Emporté par le vent des indépendances, l’ex-Soudan français devenu Mali après l’échec de sa Fédération avec le Sénégal proclame son attachement au socialisme, rejoignant ainsi son voisin guinéen. Soumis aux enjeux du pré carré français, le président Modibo Keita prône cependant le non-alignement et le rapprochement avec le bloc soviétique, sans pour autant négliger la main tendue des Américains, devenant à son insu un territoire façonné par les enjeux de la Guerre froide. Mots clés : Mali – Guerre froide – Non alignement – Relations internationales – Coopération. Abstract Mali (1960-1968): Exporting the Cold War into the French Meadow At the beginning of the 1960’s the former French Sudan, that became Mali after the failure of the federation project with Senegal, proclames its alignment with socialism just as Guinea did. Facing the issues of the « pré carré », President Modibo Keita advocates a non-alignment policy and a reconciliation with the Soviet block, without neglecting America’s helping hand. Thus Mali became, unwillingly, a territory ruled by the Cold War dynamics. Using standard works like Odd Arne Westad or Zaki Laïdi, the aim of this article is to bring a fresh view on the history of Cold War in Africa, especially in the Sub-Saharan area. Keywords : Mali – Cold War – Non Alignment – International Relations – Cooperation. La fin de l’époque coloniale en Afrique laisse le continent, riche d’une multitude de nouveaux États indépendants, en proie à l’appétit des deux superpuissances de l’époque, les États-Unis et l’URSS 1 . Le Mali 1 Le présent article est un résumé du chapitre trois du mémoire « Le Mali (1957- 1972) : itinéraire d’un révolté. Indépendance, pré carré et socialisme », rédigé dans le cadre d’un Master 2 sous la direction du professeur Laurence Badel, soutenu en juin 2016 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 84 / Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin – n° 45 – Printemps 2017 s’affranchit très vite de la tutelle de l'ancienne métropole française2, et proclame, dans la foulée de son indépendance, son attachement aux valeurs socialistes et aux théories du non-alignement, refusant la logique des « deux blocs ». Ainsi, il s’autorise à accepter toute aide qui vise à encourager et soutenir la construction économique de l’État, évitant le recours au financement de la coopération française. L’expérience socialiste malienne ne tarde pas à réveiller les appétits de l’URSS, qui voit en Modibo Keita, le père de l’indépendance, un allié de poids au cœur de l’Afrique francophone, soulevant les pires craintes au sein de la cellule Foccart. À son insu, les Américains refusent par souci idéologique d’abandonner le pays aux velléités soviétiques. Le Mali devient-il alors le nouvel enjeu des rivalités Est-Ouest, le « jouet des tendances », ou un savant manipulateur de la coopération internationale, utilisant le non-alignement comme un instrument diplomatique ? En dépouillant les archives inédites de Jacques Foccart, ainsi que les archives du Service historique de la Défense, il s’agit ici d’apporter notre contribution à l’histoire de la Guerre froide en Afrique, avec une étude de cas inédite sur le Mali. Pour étayer le propos, je m’appuierai aussi sur des ouvrages de référence comme la Guerre froide globale 3 , d’Odd Arne Westad, Les contraintes d’une rivalité, les superpuissances en Afrique de Zaki Laïdi4, ainsi que le récent ouvrage de Pierre-Michel Durand, proposant une fine analyse des relations africano- américaines5. Il est également intéressant de comparer cet article avec la lecture de l’article d’André Lewin, « La Guinée et les deux Allemagnes6 », 2 Modibo Keita proclame l’indépendance du Mali et réclame dès janvier 1961 le départ des troupes françaises du territoire, rendant caducs les accords de défense signés quelques mois auparavant. 3 Odd Arne Westad, La Guerre froide globale, Paris, Payot, 2005. 4 Zaki Laïdi, Les contraintes d’une rivalité, les superpuissances en Afrique (1960- 1985), Paris, La découverte, 1986. 5 Pierre-Michel Durand, L’Afrique et les relations franco-américaines des années soixante. Aux origines de l’obsession américaine, Paris, L’Harmattan, 2007. 6 André Lewin, « La Guinée et les deux Allemagnes », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 23, 2010, p. 77-99. Manon Touron – Le Mali, 1960-1968. Exporter la Guerre froide … / 85 pour mettre en lien les relations d’un pays voisin et ami du Mali avec le bloc de l’Est. Le Mali et le bloc de l’Est : une coopération « tous azimuts » Encouragée par l’aile marxisante de son parti unique, l’Union soudanaise, le Mali tourne son regard vers l’Est dès 1961, voyant en l’URSS le défenseur des grands idéaux de lutte anticoloniale et communiste qui lui sont chers. Malgré des incursions encore timides en ce début des années soixante, l’URSS faisait de l'élargissement de son influence au sein du Tiers-Monde un élément capital de l’existence du socialisme7, et du Mali un centre de rayonnement soviétique possible en Afrique. Suivant les traces de Conakry8, Bamako se tourne vers le bloc communiste pour obtenir une aide accrue sur les plans économique, militaire et culturel. Le bloc de l’Est devient un des principaux partenaires commerciaux du Mali, représentant 42,8 % des échanges dans les années 1964-1965, loin devant les États- Unis (2,3 %)9. Les pays satellites de l’URSS entretiennent d’excellentes relations diplomatiques avec le Mali dans les premières années de l'indépendance. La Tchécoslovaquie figure au deuxième rang, derrière l’URSS, pour la coopération avec le régime. Les accords de coopération signés en 1961 mettent en place une assistance technique tchécoslovaque. Plusieurs centaines de techniciens sont envoyés pour la formation de spécialistes en 7 Ibid., p. 62. 8 Avec la Guinée et le Ghana, le Mali bénéfice entre 1959 et 1964 de près de la moitié des investissements soviétiques en Afrique subsaharienne, soit près de 44,5%. 9 Service historique de la Défense (SHD), Archives de l’armée de Terre (AMT), GR 14 S 268, Rapport de fin de mission de Jean d’Escrienne, 15 septembre 1964, 1er novembre 1968. 86 / Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin – n° 45 – Printemps 2017 matière d’aviation civile, et soutiennent le développement d’Air-Mali en fournissant des pièces de rechange. Seul pays industriel développé du bloc de l’Est, la Tchécoslovaquie est un des principaux exportateurs d’armes dans le Tiers-Monde10. Forte de son influence grandissante auprès du Mali, la Tchécoslovaquie aurait, selon les suspicions françaises, largement incité les dirigeants du pays à créer leur propre monnaie11. Malgré une amorce positive, l’efficacité de ladite coopération peut être discutée. La barrière de la langue serait la première responsable, ainsi que le manque de qualifications reproché aux techniciens. Les tensions croissantes entre les deux partenaires conduisent au désengagement progressif de la Tchécoslovaquie dès le milieu des années soixante. Les relations avec la République démocratique allemande, troisième partenaire socialiste, revêtent un aspect particulier. En effet, le Mali entretient également de bons rapports avec son homologue allemand, la République fédérale. Bonn se montre particulièrement susceptible à chaque rapprochement de Bamako avec la RDA et menace à plusieurs reprises de stopper sa politique d’assistance au Mali, au nom de la doctrine Hallstein12. Le Mali refusa ainsi l’installation d’une ambassade à la RDA. Cependant, le pays réussit à établir dès 1961 à Bamako une représentation commerciale qui fit office, par défaut de représentation diplomatique. Selon l’ambassadeur français à Bamako Pierre Pelen, la RDA utilise une politique de séduction diplomatique, pour renforcer son 10 Petr Zidek, « La Tchécoslovaquie et le tiers-monde dans les années 50 et 60 », Cahiers du CEFRES, 2010, p. 19. 11 Selon les archives, le franc malien est également frappé en Tchécoslovaquie. SHD, AMT, GR 14 S 267, Pelen à Couve de Murville, Aides bilatérales étrangères au Mali, le Mali et les pays d’Europe orientale, Bamako, 17 juin 1966. 12 Émise par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères de la RFA, elle proscrivait toute possibilité pour un pays d’entretenir simultanément des relations diplomatiques avec les deux Allemagne, la RFA se réservant le droit de rompre toute relation avec un pays qui agirait comme tel. Manon Touron – Le Mali, 1960-1968. Exporter la Guerre froide … / 87 prestige extérieur mais aussi pour jouer le rôle de tuteur idéologique vis-à- vis du jeune État socialiste malien13. L'un des terrains de la rivalité sino-soviétique Fort de son potentiel d’État révolutionnaire, le Mali s’attire les bonnes grâces des deux grands du communisme, à savoir l’Union soviétique et la République populaire de Chine (RPC) dès les premières années de son indépendance. Assistance technique, prêts économiques, échanges culturels, elles se lancent tous azimuts dans une poussée avec le jeune État dès les premières années d’indépendance. Lorsque la fraternité sino- soviétique touche à sa fin en 1962, le Mali se mue malgré lui en laboratoire des dissensions idéologiques des deux pays. Les Soviétiques semblent prêts à tout pour saper l’influence chinoise, en témoigne cette citation de Leonid Brejnev : « Nous préférerons nous lier avec nos ennemis, les Américains, si cela était nécessaire, pour empêcher le socialisme chinois de s’imposer dans le monde14 ». Les dirigeants maliens se montrent très discrets quant au conflit et se gardent de tout uploads/Geographie/ le-mali-1960-1968-manon-touron.pdf

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