16 Vol. 8 • été – automne 2013 DossierPlanète Terre Les lagunes sont des systèm

16 Vol. 8 • été – automne 2013 DossierPlanète Terre Les lagunes sont des systèmes complexes et essentiels qu’il convient de comprendre afin d’aider à les préserver. Des équipes internationales et multidisciplinaires font appel aux mathéma- tiques pour y voir plus clair dans l’avenir des lagunes du bassin méditerranéen. Les Lagunes Les lagunes sont des étendues d’eau peu pro- fondes reliées à la mer par des canaux étroits souvent sujets à l’ensablement. Elles sont ex- trêmement nombreuses en Méditerranée où elles jouent souvent un rôle important tant pour l’écologie que pour l’économie. Un rôle écologique :  Comme les autres zones humides, les lagunes ont un rôle de tampon en proté- geant la côte de l’influence de la mer, en filtrant les eaux de ruissellement et en abritant d’importantes communautés végétales (algues, roseaux) et animales (mollusques, crustacés, poissons). Ce sont Hervé Guillard Inria Sophia-Antipolis Méditerranée, France Maria-Vittoria Salvetti Université de Pise, Italie Des mathématiciens à la rescousse des lagunes méditerra des zones de nidification importantes pour les oiseaux migrateurs et à ce titre, de très nombreuses lagunes sont protégées par la convention RAMSAR (voir encadré). Un rôle économique :  Les lagunes sont des zones de production biologique intense et font l’objet d’une importante exploitation de leurs ressources. L’étang de Thau, la plus grande lagune de France, assure ainsi la production de plus de 12 000 tonnes d’huîtres par an, et les 600 établissements conchylicoles qui y sont installés emploient environ 2 000 personnes. Au nord de la Méditerranée, les lagunes font l’objet d’études et d’une surveillance atten- tive. La protection de la lagune de Venise est un sujet d’importance nationale pour l’Italie et la communauté européenne qui mobilisent des ressources considérables à cette fin. Les problèmes économiques que connaissent les pays du sud du pourtour méditerranéen ne leur permettent pas d’assurer le même niveau de surveillance des habitats naturels et la gestion des lagunes y est souvent très parcellaire. Pourtant, au nord comme au sud de la Méditerranée, les lagunes font face aux mêmes types de problèmes. En France, le développement de l’agriculture irriguée dans la vallée de la Durance et les rejets d’eaux douces de la centrale électrique de St Chamas ont entraîné depuis 1966 une désalinisation importante de l’étang de Berre et une dégradation importante de la santé Convention RAMSAR1 La Convention sur les zones humides d’importance internationale, appelée Convention de Ramsar, du nom de la ville d’Irak où elle a été adoptée en 1971, est un traité intergouvernemental qui sert de cadre à l’action nationale et à la coopération internationale pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources. En avril 2013, 167 pays avaient adhéré à cette convention et une superficie de 205 369 948 hectares était protégée. 1.  Source : http://www.ramsar.org Tilapia Le tilapia est un poisson d'eau douce ou saumâtre. Il est élevé pour la pêche et la pisciculture et c'est l'un des poissons d'élevage les plus consommés au monde. Son exploitation remonterait à l'Égypte ancienne, il y a plus de 4 000 ans et les artistes de l’Égypte antique l'ont représenté sous de nombreuses formes. Cette petite bouteille en verre en forme de Tilapia date de l'époque d'Akhenaton et fait partie de la collection du British Museum. 17 Vol. 8 • été – automne 2013 Des mathématiciens à la rescousse des lagunes méditerranéennes | Hervé Guillard • Inria Sophia-Antipolis Méditerranée, France | Maria-Vittoria Salvetti • Université de Pise, Italie ranéennes biologique de ce milieu. Le lac Burullus en Égypte est confronté au même type de phénomène : le rejet des eaux de drainage des surfaces irriguées du Delta du Nil dans le lac a produit un changement radical de la salinité des eaux du lac. Le pourcentage de mulets capturés, espèce marine très appré- ciée et donc de grande valeur économique, a ainsi décrû de 44,7 % en 1963 à 17 % en 2000 pour être remplacé par la capture du Tilapia, espèce tolérant beaucoup mieux les variations de salinité mais de moins grande valeur économique. Ce type de problème n’est pas simplement un problème affectant les amoureux du passé et les protecteurs de la nature. On estime à plus de 28 000 en 2002 le nombre de personnes vivant directement de la pêche sur le lac Burullus. De plus, les lagunes sont très souvent situées en bordure de zones densément peuplées et le rythme rapide des changements liés à l’urbanisation croissante, au tourisme, à la pêche ou à la pisciculture, met en danger l’équilibre souvent fragile qui s’était établi au fil du temps entre les différents compartiments de ces éco-systèmes. Les mathématiques peuvent contribuer à protéger l’équilibre des lagunes Avant toute chose, il s’agit de comprendre le fonctionnement global d’une lagune pour identifier les paramètres importants et proposer des solutions pour une gestion durable de ces milieux. Pour ce faire, à coté des techniques classiques que sont la collecte et l’analyse des données, la simulation numérique qui est du ressort du mathématicien joue un rôle de plus en plus important. La modélisation des lagunes Modéliser un phénomène consiste à éta- blir un système d’équations dont la solution décrira l’évolution des différentes variables qui définissent le phénomène. Dans le cas des lagunes, on s’intéressera à la température de l’eau, à sa salinité et à sa vitesse, ainsi qu’aux différents constituants chimiques présents dans l’eau et qui peuvent influencer la vie des communautés animales ou végétales présentes dans le milieu. Le nombre de variables à considérer est pratiquement infini. En pratique, il est limité par les ressources de calcul dont on dispose ainsi que par les données recueillies sur le milieu dont l’acqui- sition est lente et coûteuse. Quoi qu’il en soit, la modélisation de milieux vivants comme les lagunes est intrinsèquement un problème qui fait intervenir de nombreux phénomènes dont les échelles d’espace et de temps peuvent être très différents. De manière simplifiée, on peut considérer que la modélisation des lagunes fait intervenir au moins trois compartiments ou sous-modèles en interactions plus ou moins fortes et qui décrivent l’hydrodynamique (la manière dont les masses d’eau se déplacent), le comportement des sédiments (les matières solides en suspension ou reposant sur le fond) et la biologie du milieu. Ces trois sous-modèles sont bien évidemment soumis à des influences extérieures dont la connaissance est essentielle pour les prévisions. Influences externes Vent, pollution, etc. Modèle hydrodynamique Modèle sédimentaire Modèle Biologique 18 Vol. 8 • été – automne 2013 Les modèles hydrodynamiques Ces modèles sont du même type que les modèles météorologiques qui permettent de prévoir l’évolution temporelle de l’état de l’atmosphère. Ils peuvent être de complexité extrêmement variée selon que l’on considère que l’écoulement des masses d’eau est uni, bi ou tridimensionnel mais ils reposent tous sur les considérations physiques élémentaires que sont la conservation de la masse (Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme) et la seconde loi de Newton (force = masse × accélération). Le système d’équations qui en résulte ne peut être résolu de façon exacte et on est amené à discrétiser le système. De façon simplifiée, discrétiser un système consiste à découper l’espace en petits volumes élémentaires et à remplacer la connaissance des fonctions définies en chaque point de la lagune par la connaissance d’un nombre fini de variables définies dans chaque volume élémentaire. Dans la figure ci-dessous, on a par exemple découpé la lagune de Nador au Maroc en une succession de petits triangles. Dans chacun de ces petits triangles sont définies les valeurs de la hauteur d’eau, de la vitesse, de la température, de la salinité, etc. Ce découpage en triangles repose sur des algorithmes com- plexes mais aujourd’hui bien maitrisés. Il s’agit maintenant d’organiser le transfert des masses d’eau entre ces volumes pour faire évoluer le système. Cela se fait en utilisant les principes physiques précédemment évoqués (conservation de la masse, seconde loi de Newton). Les techniques mathématiques utilisées pour organiser ces transferts appar- tiennent à différentes familles de méthodes (dans le jargon des mathématiciens, on parle de méthodes de différences finies, de volumes finis ou encore d’éléments finis) et la recherche mathématique pour identifier de « bonnes » méthodes est un domaine très actif. Les résultats de ces calculs permettent d’obtenir à chaque instant des cartes de hauteur d’eau, de champ de vitesse, ou encore de salinité et de température. La modélisation des sédiments Contrairement à l’océan profond ou les mouvements des sédiments n’ont que peu d’importance pour le comportement global du système, la connaissance de l’évolution du fond est fondamentale pour les régions côtières et les lagunes en particulier. En effet, l’un des plus grand dangers auxquels sont confrontés les lagunes est l’ensablement des canaux qui relient la lagune à la mer. Cet ensablement, s’il survient, signe bien sou- vent la mort de la lagune. En effet, les hautes températures et les forts vents qui soufflent en Méditerranée entraînent une évaporation intense, et si ces pertes ne sont pas compensées par un apport marin, la lagune se transforme très vite en une étendue d’eau saumâtre, puis en un uploads/Geographie/ lagune-s.pdf

  • 39
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager