L'homme au péril de l'eau dans les plaines littorales des anciens Pays-Bas au d
L'homme au péril de l'eau dans les plaines littorales des anciens Pays-Bas au début du Moyen Âge Lebecq, Stéphane Stéphane Lebecq Texte intégral • 1 Je dédie bien volontiers ce rapport à Adriaan Verhulst, que j'ai dû remplacer presque au pied levé, (...) • 1 Van Es 1990, p. 153. 1Le sujet que je m'apprête à traiter devant vous, ou plutôt son insertion dans un colloque sur les catastrophes naturelles dans l'histoire de l'Europe médiévale et moderne, pose en préalable un problème d'ordre sinon épistémologique, du moins sémantique. Il me semble que dans le concept de « catastrophe naturelle » intervient une donnée subjective, celle de la perception par l'homme d'un événement inattendu, subit, dans tous les cas destructeur, généralement éphémère dans son processus, même s'il génère quelquefois les conséquences les plus durables pour ses victimes. Le milieu dont je vais vous parler est un milieu de basse plaines littorales – lieu de rencontre entre une côte très plate, située sur des kilomètres de profondeur au-dessous du niveau des marées les plus hautes, et de basses vallées fluviales au cours souvent indécis –, dans lequel les inondations peuvent être le produit du mouvement intempestif des eaux continentales autant que des eaux marines. Or, dans l'un comme dans l'autre registre, il put y avoir des phénomènes soudains, à l'ampleur et aux conséquences en tout cas imprévisibles – crue exceptionnelle ici, grande marée déferlante là –, qu'on considérera résolument comme des catastrophes naturelles ; mais il put y avoir aussi des phénomènes lents, au processus séculaire, capables de modifier à terme les conditions de vie des populations, voire même les conditions d'habitabilité de régions entières, mais qui n'ont pas eu nécessairement d'effets traumatisants sur les hommes – je veux parler des L'homme au péril de l'eau dans les plaines littorales des anciens Pays-... https://books.openedition.org/pumi/23436 1 sur 15 25/07/2022, 09:23 déplacements latéraux des basses rivières, avec les phénomènes corrélatifs d'alluvionnement, particulièrement importants dans la zone du grand delta conjoint de la Meuse et du Rhin (par exemple sur le Rhin à hauteur de Dorestad, où pédologues et archéologues ont constaté le progressif glissement du Kromme Rijn vers l'est à partir du VIIIe siècle1, mais aussi de ce qu'on convient d'appeler les transgressions marines, c'est-à-dire les phases de submersion générale et séculaire des plaines littorales par suite du relèvement du niveau de la mer. Il semble que dans ces derniers cas, il faille faire le partage entre les processus à long terme, qui n'intéressent qu'indirectement notre sujet, et les accidents – par exemple la rupture de cordons littoraux, ou celle de bourrelets alluviaux – qui annoncent l'enclenchement des processus séculaires ou scandent leur développement, et qui dans tous les cas doivent être considérés, parce qu'ils ont été perçus comme telles, comme des catastrophes naturelles. Or ce sont les sources écrites qui se font plus que les autres l'écho de l'éventuel traumatisme subi par les populations ; c'est pourquoi une attention particulière leur sera accordée. Mais comme elles sont peu nombreuses et de surcroît peu loquaces, l'écohistorien intéressé par ces questions se devra de faire dialoguer ses sources avec les découvertes des archéologues, des palynologues, des pédologues, des géomorphologues, et autres géographes du quaternaire. Transgressiefasen en stormvloeden : transgressions marines et raz-de-marée • 2 Voir par exemple Gottschalk, 1980, p. 25. • 3 Gottschalk, 1980, p. 21. • 4 Voir par exemple Gottschalk, 1971. Introduction, p. VII. • 5 Schoorl, 1980, p. 123. • 6 D'après Gottschalk, 1971. Introduction, p. VIII, note 1. 2Or les uns et les autres sont en train de nous faciliter la tâche, dans la mesure où ils tendent à remettre en cause le concept même de transgression marine, en tout cas en ce qui concerne les périodes les plus récentes, celles justement qui commencent à être documentées par les sources écrites2. En effet, alors qu'on convenait volontiers il y a encore une vingtaine d'années qu'entre grosso modo le IIIe et le XIIe siècle de notre ère, les côtes méridionales de la mer du Nord avaient été affectées par les dernières « phases transgressives subatlantiques » comme les appelle Elisabeth Gottschalk3, à savoir ce qu'on considère en France et en Belgique comme la deuxième et comme les phases A et B de la troisième transgression flandrienne ou dunkerquienne, et aux Pays-Bas respectivement comme la transgression romaine tardive, la transgression carolingienne/ottonienne et la transgression médiévale tardive4, il semble désormais que si la deuxième eut vraisemblablement lieu – entre, disons, 250 et 6005 –, les deux phases successives de la troisième, qu'on imputait l'une aux IXe-Xe siècles, l'autre aux XIe-XIIe siècles, correspondraient en fait à de simples raz-de-marée, aux effets certes catastrophiques, mais en tout cas limités dans l'espace et dans le temps : cela faisait d'ailleurs pas mal de temps qu'un archéologue comme A.E. van Giffen avait noté que telles accumulations sédimentaires identifiées dans le sous-sol des Pays-Bas et traditionnellement imputées à des phénomènes transgressifs, donc généraux et durables, étaient totalement absentes dans la plaine littorale d'Allemagne du Nord, ce qui aurait dû suffire à remettre en question le concept de transgression, en tout cas son application aux époques les plus récentes6. Le milieu naturel L'homme au péril de l'eau dans les plaines littorales des anciens Pays-... https://books.openedition.org/pumi/23436 2 sur 15 25/07/2022, 09:23 3Dépassant ce débat qui n'en est plus un, je dois maintenant m efforcer de présenter à gros traits les caractères et la dynamique de ce milieu, d'autant plus livré à la pression des conditions naturelles, singulièrement du mouvement des eaux marines et fluviales, qu'aucune digue a fortiori aucune poldérisation, n'a encore été entreprise avant les environs de l'an mil – si l'on excepte quelques tentatives, partielles autant qu'éphémères, de canalisation de certains secteurs du delta su Rhin, faites en particulier par les Romains au Ier siècle ap. J.-C. Parler de conditions naturelles, c'est pour commencer rappeler quelques principes de physique élémentaire. Les eaux marines et fluviales charrient toutes sortes d'alluvions qui, dès que la rapidité du courant diminue, tendent à être déposées au fond et sur les bords du courant : ce sont des matériaux d'origine généralement détritique, certains plus ou moins lourds (galets, graviers, sables grossiers), d'autres plus ou moins fins (sables fins, argiles). Quand le courant est violent, il est capable de les transporter tous sur de longues distances ; s'il commence à diminuer, il se délestera d'abord des matériaux les plus lourds ; quand il ralentit sa course et atteint ses ultimes limites avant de refluer, il abandonne les plus légers. Toute la plaine littorale est faite de ces accumulations sédimentaires récentes, majoritairement déposées par la mer, mais aussi par les rivières qui s'y jettent. Non seulement celles-ci circulent à l'intérieur des chenaux qu'elles ont elles-mêmes tracés à travers leurs propres alluvions, mais la mer même pénètre parfois très loin à l'intérieur des terres, en particulier aux plus hautes marées, grâce aux chenaux qu'elle aussi a creusés dans ses alluvions, et qui, par de multiples ramifications ou passes, aboutissent à des criques où éventuellement ses eaux s'attardent et stagnent. Survient une forte crue, ou une puissante marée, les bourrelets alluviaux qui limitent les chenaux sont éventrés, ceux-ci voient leur tracé, quelquefois leur orientation générale modifiés,. Qu'aient lieu le raz-de-marée du siècle ou les débordements à répétition des basses rivières, c'est toute la géographie littorale qui peut être bouleversée : d'où le caractère extrêmement difficile, presque aléatoire, de toute tentative de chronocartographie. • 7 Lebecq, 1980, pp. 134-135. • 8 Verhulst, 1966, p. 16 ; et Verhulst, à paraître. 4Du moins les caractères physiques du milieu littoral restent-ils toujours les mêmes, répartis en plusieurs zones aux contours d'autant plus changeants que les fleuves, qui les coupent à la perpendiculaire, leur ajoutent leur propre force de destruction et leur propre alluvionnement. Il y a la zone aval que les spécialistes appellent parfois l'infralittoral, qui consiste d'une part dans le cordon sableux qui fait face à la mer – plage, parfois muée en dune si le niveau moyen des hautes marées est resté stable durant de longues périodes et que la force éolienne a permis l'accumulation sur de grandes épaisseurs d'énormes quantités de sable – et d'autre part dans tout ce qui est en communication directe et constante avec la mer, à savoir le réseau des chenaux, passes et criques, où la force des flux de marée amène une sédimentation de galets, graviers et sables grossiers. La zone médiolittorale, l'estran si l'on veut, est celle qui est recouverte deux fois par jour par la marée, qui y laisse des alluvions chargées d'humidité et y détermine un milieu de boues plus ou moins compactes, gagnées à une vie animale élémentaire, et auxquelles est universellement attaché le nom d'origine frisonne de slikke. La zone supralittorale quant à elle, zone amont, si elle a pu être régulièrement immergée par le passé, ne l'est plus qu'exceptionnellement, à l'occasion des plus fortes marées : un peu plus élevée que la slikke, éventuellement enrichie par des apports d'origine continentale qui ont pu accélérer le processus d'exondation, dans tous les cas donnant prise à une végétation uploads/Geographie/ l-x27-homme-au-peril-de-l-x27-eau-dans-les-plaines-littorales-des-anciens-pays-bas-au-debut-du-moyen-age.pdf
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- Publié le Jul 03, 2021
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