Edouard Dhorme Les peuples issus de Japhet d'après le chapitre X de la Genèse I
Edouard Dhorme Les peuples issus de Japhet d'après le chapitre X de la Genèse In: Syria. Tome 13 fascicule 1, 1932. pp. 28-49. Citer ce document / Cite this document : Dhorme Edouard. Les peuples issus de Japhet d'après le chapitre X de la Genèse . In: Syria. Tome 13 fascicule 1, 1932. pp. 28-49. doi : 10.3406/syria.1932.3631 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/syria_0039-7946_1932_num_13_1_3631 LES PEUPLES ISSUS DE JAPHET D'APHÈS LE CHAPITRE X DE LA GENÈSE PAR m E. DHORME Exégètes et historiens ont souvent insisté sur l'importance du chapitre x de la Genèse pour la géographie et l'ethnographie de l'ancien Orient. Le cadre de la narration religieuse est dépassé. 11 ne s'agit plus seulement des agi ssements de Noé et de ses fils, mais du repeuplement de la terre habitable « après le Déluge ». Cette formule « après le Déluge », qui correspond à arki abûbi des Babyloniens et des Assyriens, est le point de départ de rénumér ation des peuples et des pays qui sont rattachés à la descendance de Noé : « Voici les générations des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet ; il leur naquit des fils après le Déluge » (Genèse, x, 1). « Telles sont les familles des fils de Noé suivant leurs générations, d'après leurs nations, et c'est d'elles que se sont disséminées les nations sur la terre après le Déluge » (Genèse, x, 32). L'humanité est ainsi partagée en deux grandes périodes : celle qui pré cède et celle qui suit le Déluge. Chez les Accadiens on distingue aussi les temps « avant le Déluge », lam abûbi, et « après le Déluge », arki abûbi. C'est « avant le Déluge » que vaticinent les sept sages de Shurupak (1> ; mais c'est « après le Déluge » que la royauté redescend du ciel <2). Donc la terre doit être repeuplée par trois individus, Sem, Cham, Japhet, dont les noms servent encore à établir une classification vaille que vaille : Sémites, Chamites, Japhétites. Tantôt la géographie, tantôt l'ethnologie, parfois simplement la politique ou l'histoire, fournissent les éléments de la répartition. On commence par les descendants de Japhet et c'est à eux que nous consacrerons cette étude. (*) Revue biblique, 1930, p. 485 (nous em- (•) Ibid., 1926, p. 66. ploierons désormais l'abréviation R. B.). LES PEUPLES ISSUS DE JAPHET 29 Ce ne fut pas une des moindres surprises du déchiffrement des cunéi formes que la rencontre dans les sources, profanes d'un certain nombre de noms que le chapitre X de la Genèse avait conservés plus ou moins défi gurés. Ceux qui ont utilisé l'admirable volume, Wo lag das Paradies ? que Fried. Delitzsch faisait paraître il y a cinquante ans (1881), savent combien de renseignements précieux les assyriologues de la première heure avaient déjà puisés aux sources accadiennes. Depuis lors le butin n'a fait que s'ac croître. Nous nous contenterons de synthétiser les résultats certains, sans prévention, sans parti pris, dans l'espoir que le lecteur trouvera ici la docu mentation la plus objective sur les populations qu'on appelle généralement Japhétites. Le mieux était de suivre de près le texte biblique et d'accom pagner chaque nom des éclaircissements que nous donnent la littérature cunéiforme ou, à son défaut, les autres textes profanes. « Fils de Japhet (Yéphéth) : Gomér et Magog et Maday et Yawan et Tubal et Méshéc et Tiras. « Et les fils de Gomér : Ashkenaz et Riphath et Togarmah. « Et les fils de Yawan : Elishah et Tarshish, Kittim et Rodanim. « D'eux se disséminèrent les îles des nations en leurs terres, chacun selon sa langue, d'après leurs familles [réparties] en leurs nations » (Genèse, x, 2-5). 1. Gomér. — La prophétie d'Ézéchiel contre Gog met en scène les auxiliaires qui doivent soutenir ce « prince qui est à la tête de Méshéc et de Tubal » et qui habite « la terre de Magog » (Ezech., xxsvm, 1 2). Parmi ces auxiliaires se trouvent « Gomér et tous ses régiments w, la maison de Togarmah, les extrémités du Nord et tous ses régiments ».. qui sont « des peuples nombreux avec toi » (Ezech., xxxvm, 6). L'horizon du prophète est le même que celui de la Genèse. Nous retrouvons ici Gomér, Magog, Tubal, Méshec, Togarmah. Il s'agit de peuples qui viennent du Nord. Alors que les Septante lisent Tcx^ep (2) et le Syriaque Gomor, la Vdlgate Gomer reproduit fidèlement la vocalisation massorétique. On voit que la façon (*) Littéralement « ailes, ailerons », l'hébreu (*) Des minuscules ont les leçons y°(**P e* 'agaph correspondant à l'accadien agappu yoaop (voir les Septante de Cambridge, in ioc). « aile, flanc ». 30 SYRIA de prononcer les voyelles n'était pas fixée par une tradition unanime. En fait le nom aurait dû être transcrit Gimir, car il est incontestable que Gomér correspond à Gimirri des textes cunéiformes que les Grecs ont rendu par Kippgjoioi, les Cimmériens. Les Gimirri représentent un peuple dont les incursions sont surtout signalées au temps des Sargonides. Avant Tan 714 ils ont vaincu le roi d'Urartu (Ararat) en Arménie W. Dans les prières au dieu Shamash on voit souvent figurer les Gi-mir-ra-a-a avec les Man-na-a-a et les Ma-da-a-a parmi les ennemis qui menacent l'Assyrie durant les règnes d'Asaraddon et d'Assur- banipal <2). Les Manna sont les peuplades qui habitent autour des lacs de Van et d'Urmia <3> ; les Madâ sont les Mèdes. Un texte très important d'Asaraddon nous éclaire sur les Gimirri. Le roi se vante d'avoir réduit par les armes « Te-us-pa-a, du pays de Gi-mir-ra, Man-da, dont l'habitat est lointain (4) ». Le nom de Te-us-pa-a n'est autre que Teiaimg. On le retrouve comme nom du second des Achéménides sous les formes Cispis (perse), Sispis (babylonien), Sispis (élamite) dans les inscriptions trilingues de Darius Hystaspe (5). Les Gimirri appartiennent donc, comme les Perses, au groupe Aryen. Ce qui confirme cette relation ethnique, c'est le qualificatif de Manda qui est accolé à Téïspès. Il n'est pas douteux que les Manda désignent parfois les Mèdes (6). Les Gimirri, apparentés aux Perses et aux Mèdes, ont aussi des affinités avec les Scythes, comme on le voit par la confrontation des textes assyriens avec les données de la littérature classique (7). D'ailleurs, dans les _ inscriptions des Achéménides <8) le pays de Gimirri ou Gimiri (en babylonien) correspond au perse Saka, h l'élamite Sakka (9), et Hérodote dit formellement que les Perses appellent tous les Scythes Saxos 10. (*) Thureau-Dangin, Une relation de la meniden, p. 155, 8. v. Teïspes. 8e campagne de Sargon, p. xiv ss. (6) R.B., 1927, p. 152 ; cf. Schnabel, Zeitschr. (2) Knudtzon, As&yr. Gebeie an den Sonnen- fur Assyriologie, xxxvi, p. 316 ss. Et ci- gott, n° 1, fasc. 4-5, rev. 9-10 et passim. dessous. (3) Voir notre conférence sur Les Aryens (7) Confer, de Saint-Étienne, 1910-1911, avant Cyrus, p. 85 ss. et p. 79 ss. (dans p. 89 s. Conf. de Saint-É tienne, 1910-1911) ; Les pays (8) Weissbach, op. cit., p. 153. bibliques et l'Assyrie, p. 92 s. et p. 112 ; (9) Le signe qa de sa-ak-qa prend la valeur Thureau-Danbin, op. cit., p. m ss. ka (cf. Thureau-Dangin, Le syllabaire acca- i*) Prisme A, h, 1. 6 ss. dien, p. 5, n. 1). (5) Weissbach, Die Keilinschriften der Achâ- (10) Hist., i, 15. LES PEUPLES ISSUS DE JAPHET 31 La poussée des Gimirri, détournée de l'Assyrie par les efforts d'Asaraddon, s'exercera sur la Lydie, au temps d'Assurbanipal. Le roi des Lydiens, Gygès, que les textes cunéiformes appellent Guggu, Gugu, demandera du secours aux Assyriens. D'abord vainqueur des Gimirri, il finira par succomber dans la lutte W. D'après Hérodote (I, 15), c'est sous le règne du fils de Gygès que les Gimmériens, c'est-à-dire nos Gimirri, s'emparèrent de la ville de Sardes, à l'exception de l'acropole. La tradition classique distingue les Cimmériens des Scythes, qui sont pourtant leurs congénères. Le pays d'origine des Cimmér iens est situé au nord de la Mer Noire, de chaque côté du Bosphore Cim- mérien, qui joint le Pont Euxinet Je Palus Mœotis (mer d'Azov). Chassés de là par les Scythes, ils dévalent en Asie Mineure et en Arménie, cependant que les Scythes s'installent en leur pays qui deviendra la Scythie (Hérodote, i, 15; iv, 12 ; vu, 20). Les constatations qui précèdent suffisent à justifier la présence des Mèdes (Maday) et des Scythes (Ashkenaz) dans la branche de l'arbre généalogique où nous trouvons d'abord les Cimmériens (Gimirri) sous le nom de Gomér. 2. Magog. — Ce nom a été bien rendu par les versions. Nous avons signalé la prophétie d'Ezéchiel dans laquelle est mentionné Gog, le prince qui habite la terre de Magog (Ezech., xxxvni, 1-2). Nous avons insisté sur la relation qui existe entre Gog et les peuplades d'Asie Mineure, Gomer et Togarmah, Tubal et Méshéc. Si le nom de Magog n'a pas été retrouvé dans la littérature cunéi forme, le prototype de Gog a été recherché en plusieurs directions. Les uns ont voulu voir dans Gog une transcription de Gugu (Gygès), roi des Lydiens <8>. uploads/Geographie/ article-syria-0039-7946-1932-num-13-1-3631.pdf
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- Publié le Jul 27, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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