CENTRE D'HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE Jacques NAGELS Aspirant du Fonds Nation

CENTRE D'HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE Jacques NAGELS Aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique Genèse, contenu et prolongements de la notion de REPRODUCTION DU CAPITAL selon KARL MARX Boisguillebert, Quesnay, Leontiev UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES INSTITUT DE SOCIOLOGIE (Fondé par Ernest Solvay) INTRODUCTION 1.1. Perspective d'ensemble Nous tentons dans cet ouvrage de dégager une filiation dans la pensée économique à partir de l'oeuvre de Boisguillebert jusqu'aux balances intersec- torielles soviétiques en passant par F. Quesnay et K. Marx. Cette filiation con- cerne un seul thème : la reproduction du capital. Pour aborder ce thème, un certain nombre de conditions préalables doivent étre réunies, à savoir : — une approche macro-économique ; — une perception des relations intersectorielles ; — une compréhension de la cohérence du corps économique ; — une vue générale du circuit économique. L'essentiel de ce travail est formé par l'étude des schémas de la reproduc- tion élargie de K. Marx. Nous analysons dans les écrits de Boisguillebert et de Quesnay ce qui annonce ces schémas et nous étudions dans les balances intersectorielles ce qui en est déduit. Ces schémas constituent donc bien l'axe central autour duquel les autres chapitres s'articulent. Nous n'analysons en fait que quelques moments de l'évolution du système de concepts dont est composée la reproduction du capital. Même s'il existe assurément d'autres économistes prémarxistes qui traitent de la reproduction du capital, même si certains concepts utilisés par Marx dans ses schémas sont issus d'une réflexion sur la pensée de A. Smith, de Ricardo etc., il ne nous semble pas qu'il y ait des chaînons intermédiaires entre Boisguillebert et Quesnay et entre Quesnay et Marx. A l'inverse, entre Marx et les balances inter- sectorielles soviétiques de 1959 on peut vraisemblablement intercaler, outre Leontiev 2 et la balance nationale 1923-1924 dont nous parlons abondamment, les travaux de V.K. Dmitriev, économiste mathématicien russe du début du siècle. D'autre part, à côté de la lignée Marx-balances intersectorielles, on peut sans doute découvrir d'autres origines aux tableaux Input-Output : dans les 1 Cette introduction est courte parce qu'il nous a semblé inutile de répéter ici ce qui figure dans les introductions partielles de chaque chapitre. 2 Quelques années après avoir rédigé un important article sur la balance de l'éco- nomie nationale soviétique de 1923-1924, V. Leontiev a quitté l'U.R.S.S. pour les Etats-Unis, Depuis lors il orthographie son nom : W. Leo'ntieff. Nous utiliserons indif- férem ment ces deux orthographes. 8 REPRODUCTION DU CAPITAL ouvrages académiques d'histoire de la pensée économique publiés en Europe occidentale, on considère habituellement Walras comme le père des tableaux I-O. Nous estimons pour notre part que, même s'il y a filiation entre Walras et Leontiev, elle se situe parallèlement à celle que nous exposons. En effet, il n'y a pas de chaînon manquant dans l'évolution de la reproduction du capital que nous esquissons : elle constitue, bien au contraire, un ensemble cohérent. Cette cohérence interne nous permet de considérer que toute autre filiation possible n'interfère pas sur celle que nous étudions. La filiation que nous tentons d'établir n'est évidente qu'en ce qui concerne le Tableau Economique et les schémas de reproduction de Marx. Il nous semble utile de la rappeler, car même si Quesnay est revenu à l'honneur au cours de ces dernières années et même si certains, tels que Bénard, Kubota, Meek, Sakata, Tsuru, Woog, ont déjà insisté sur les Connexions entre Quesnay et Marx, il demeure vrai que, globalement parlant, on néglige encore beaucoup trop cette source de la pensée marxiste alors que d'innombrables publications sont consa- crées aux relations entre Smith et Ricardo d'une part, et Marx d'autre part. Pour ceux qui, loin de négliger l'importance du concept pris isolément, s'atta- chent néanmoins plus particulièrement à l'évolution de la structure des concepts, il n'est pas possible de passer cette filiation sous silence, ni même de la relé- guer au second plan. Si la relation Quesnay-Marx est patente, la filiation Boisguillebert-Quesnay- Marx l'est moins. Quesnay s'est-il inspiré de la notion de « circuit économique » mise en lumière par Boisguillebert? A-t-il repris des fragments d'analyse mis à jour par notre lieutenant général ? Sans doute que oui, mais ce n'est pas sûr. Ce qui, en revanche, est certain c'est qu'il y a chez Boisguillebert un embryon de vision cohérente de la vie économique dans son ensemble, du circuit écono- mique et des interdépendances économiques. Boisguillebert est-il le seul ancêtre ? Non. A ses côtés, il faudrait ranger W. Petty, G. King, Cantillon et bien d'autres. Nous avons concentré toute notre attention sur Boisguillebert, notamment parce que c'est un de ces économistes pur sang des plus méconnus. Certes, l'LN.E.D, vient de lui consacrer récemment deux volumes. Il n'empêche que, dans le milieu universitaire, on ne lui accorde généralement pas la place qui lui revient. Nous tenterons de lui rendre ce qui lui est dû et de démontrer qu'il est également un lointain précurseur de la pensée macro-économique marxiste. Qui plaide, force le ton. Peut-être cela incitera-t-il d'autres à étudier son oeuvre et à l'apprécier à sa juste valeur. Lors de l'analyse des schémas de reproduction (simple et élargie), tels qu'ils figurent dans Le Capital, nous mettons l'accent sur les deux représenta- tions que Marx nous fournit, à savoir la représentation cyclique et la représen- tation sectorielle. La première, souvent négligée par les économistes marxistes INTRODUCTION 9 contemporains, a retenu toute notre attention parce qu'elle permet notamment de dégager l'incidence de l'évolution du capitalisme sur les différentes sphères du capital : la sphère du capital commercial, le circuit de la production, le cycle du capital monétaire. A travers cette représentation on peut aisément déter- miner quelles sont les modifications qu'entraînent le passage du capitalisme concurrentiel au capitalisme monopoliste, puis le passage de ce dernier au capitalisme monopoliste d'Etat sur chacun des trois cycles. Après l'exposé de ces deux représentations et de leur utilisation en his- toire économique nous étudions, dans la troisième partie du troisième chapitre, ce qu'il est advenu de ces schémas dans la pensée économique marxiste contem- poraine. En fait, nous ne retenons que quelques approfondissements, que quel- ques transformations des schémas classiques sans véritablement retracer leur histoire. Si nous n'évitons sans doute pas un certain éclectisme, il faut en cher- cher la cause uniquement dans l'abondance de la matière, Si éclectisme il y a, nous avons en tous les cas défini clairement quels critères président au choix que nous effectuons. Le dernier chapitre est consacré aux balances intersectorielles soviétiques de 1959. On parle beaucoup, ces derniers temps, des réformes économiques en U.R.S.S. Tous les regards sont braqués sur les travaux de Nemchinov, Kantarovic, Lieberman; très peu se tournent vers ceux de Eidelman, Efimov, Berri, etc. Pourtant ce sont ces recherches qui veulent établir une planification intersectorielle aussi rationnelle que possible à l'aide des techniques statistiques les plus récentes et en utilisant les ordinateurs, qui ont retenu toute notre atten- tion. D'abord parce qu'il nous semble qu'elles se situent tout naturellement dans le prolongement de la voie tracée par Marx, ensuite parce qu'elles pour- raient bien préfigurer l'avenir de la planification socialiste et scientifique. 1.2. La place de la pensée marxiste japonaise Dans le chapitre sur F. Quesnay et dans la partie intitulée : Recherches théoriques ultérieures sur les schémas de reproduction, nous avons accordé une très grande importance aux marxistes japonais parce que les apports de ces auteurs nous semblent enrichissants et parce que nous espérons qu'en présen- tant certaines conclusions de ces économistes à un public d'expression française, nous susciterons à leur égard un intérêt amplement mérité. Ignorant le japonais, nous n'avons pu prendre connaissance de leurs écrits qu'au hasard des traductions françaises, allemandes ou anglaises. Nous n'avons pas, dès lors, la possibilité de nous faire une vue globale des écoles marxistes japonaises, ne sachant pas ce que représentent les textes non traduits. A partir des articles que nous avons étudiés, nous pouvons mettre en lumière quelques caractéristiques de la pensée marxiste au Japon en matière économique. 10 REPRODUCTION DU CAPITAL Cette pensée a pris naissance très tôt — beaucoup plus tôt qu'en France, qu'en Angleterre et qu'en Italie, par exemple — puisque dès après la première guerre mondiale, en 1922 exactement, paraissait un ouvrage fort important de H. Kawakami, intitulé : Criticism of the Theory of Capital Accumulation of Dr. Fukuda. Entre les deux guerres, une série d'articles concernant la reproduction du capital, le rôle de la production d'armements, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit (notamment les deux articles du professeur Shibata, publiés dans la Kyoto University Economic Review en 1934 et 1939), montrent que cette pensée se développe jusqu'au moment où, vers 1937, le gouvernement, pour des raisons de politique internationale entre autres, y met un terme. Il faudra attendre les années 50 pour voir renaître cette pensée avec une vitalité inégalée. Articles, études critiques, polémiques virulentes, colloques scientifi- ques, symposiums internationaux en témoignent. Ainsi, ce qui caractérise en premier lieu l'école théorique marxiste au Japon, c'est une véritable tradition qui date de la première guerre mondiale et qui n'a été interrompue que par uploads/Finance/ reproduction-du-capital-nagels.pdf

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  • Publié le Nov 26, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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