- 1 - Sénèque Apprendre à vivre Lettres à Lucilius Choisies et traduites par Al
- 1 - Sénèque Apprendre à vivre Lettres à Lucilius Choisies et traduites par Alain Golomb Arléa, Paris, 1990 Lettre 1 Revendique la possession de toi-même. Ton temps, jusqu’à présent, il t’échappait. Récupère- le, et prends-en soin. L’essentiel de la vie s’écoule à mal faire, une bonne partie à ne rien faire, toute la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait faire. Notre erreur, c’est de voir la mort devant nous. Pour l’essentiel, elle est déjà passée. Saisis-toi de chaque heure. Ainsi, tu seras moins dépendant du lendemain puisque tu te seras emparé du jour présent. On remet la vie à plus tard. Pendant ce temps, elle s’enfuit. Tout se trouve hors de notre portée. Seul le temps est à nous. Et la folie des mortels est sans limite. Lettre 8 Pas un jour de repos pour moi. Je consacre une partie de mes nuits à l’étude. Je ne m’offre pas au sommeil, j’y succombe. Mes yeux fatigués par les veilles se ferment tout seuls. Je les force à rester ouverts sur mon travail. Je me suis non seulement écarté des hommes mais des affaires et avant tout de mes propres affaires. Je travaille pour les hommes qui viendront. Je leur adresse par écrit des avertissements salutaires, d’utiles préparations médicinales en quelque sorte, après en avoir testé l’efficacité sur mes propres blessures. Evitez tout ce qui plaît au vulgaire, et tous les biens que nous octroie le hasard ! Arrêtez-vous, pleins de méfiance et d’effroi devant tout bonheur inattendu. Ce sont des pièges. Tous ceux parmi vous qui veulent vivre dans la tranquillité doivent faire tout leur possible pour éviter d’être pris à la glu de ces faveurs. Nous pensons les tenir et ce sont elles qui nous tiennent. Cette voie mène droit au gouffre. Observez donc la saine hygiène de vie suivante : n’accordez au corps que ce qui est strictement nécessaire pour être en bonne santé. Traitez-le un peu à la dure pour qu’il ne rechigne pas à obéir à l’âme. N’oubliez pas que rien d’autre que l’âme n’est digne d’admiration et que, lorsqu’elle est grande, rien n’est comparable à sa grandeur. Ceux qui ont l’air de ne rien faire ont des activités plus hautes. Affaires humaines, affaires divines, ils traitent tout à la fois. - 2 - Lettre 12 Comme il est doux d’avoir épuisé ses désirs, de les avoir laissés derrière soi ! Il nous faut régler chaque journée comme si elle devait fermer la marche, mettre un terme à notre vie, un point final. Bienheureux celui qui tranquillement maître de soi-même attend le lendemain sans aucune inquiétude. Quiconque s’est dit : « j’ai vécu », chaque jour qui se lève est pour lui une aubaine. Lettre 22 Tu comprends à présent qu’il te faut fuir la splendeur illusoire et misérable des tâches qui t’occupent. Il ne suffit pas d’être présent, il faut encore être vigilant pour saisir le moment propice. Guette-le et saute-lui dessus dès qu’il passera à ta portée. Mets tout ton élan, toutes tes forces pour te débarrasser de tous ces « devoirs ». Je pense que tu dois abandonner ou bien la vie que tu mènes, ou bien la vie tout court. Mais je pense aussi qu’il faut y aller doucement. En attendant, la première chose à faire, c’est de ne pas t’entraver toi-même. Borne-toi aux besognes auxquelles tu t’es abaissé. Il ne faut pas que tu t’impliques davantage ou alors tu n’auras plus d’excuses. Toutes ces raisons qu’on invoque d’ordinaire sont des mensonges : « Je n’ai pas pu faire autrement. Je n’avais pas le choix. » Lis la lettre d’Epicure adressée à Idoménée. Il lui demande de faire tout son possible pour fuir sans attendre, avant qu’une force trop puissante n’entre en jeu pour lui ôter toute liberté de se retirer. Toute tentative doit être faite avec à-propos, au moment voulu. Il est facile d’échapper aux occupations quand on en dédaigne le profit. Entends-les, nos atermoiements, nos blocages. La vérité, Lucilius, c’est que rares sont les victimes de l’esclavage, bien plus nombreux les esclaves volontaires. Mais si tu es résolu à t’affranchir et que ton goût de la liberté est sincère, si tu ne réclames un délai que pour mener à bien cette rupture tout en évitant une inquiétude constante, comment ne recueillerais-tu pas l’approbation de toute la troupe des Stoïciens ? Mais si tu cherches à gagner du temps dans le seul but de bien examiner tout ce que tu emporteras avec toi et combien d’argent tu auras besoin pour bien préparer ta retraite, tu n’en sortiras jamais. Il a bien recueilli les fruits de la sagesse, celui qui meurt aussi tranquille qu’au jour de sa naissance. Tandis que nous, nous tremblons à l’approche du danger. Quelle honte ! Etre inquiet au seuil de la quiétude ! Tout le monde veille non pas à bien vivre mais à vivre longtemps, alors qu’en fait il est donné à tout le monde de bien vivre, mais de vivre longtemps, à personne. Lettre 28 Il te faut changer d’âme et non pas de climat. Socrate : « Pourquoi t’étonner si tes voyages ne te sont d’aucun profit ? » C’est toi que tu traînes partout. Tu souffres exactement de ce qui t’a fait fuir. En quoi de nouvelles terres peuvent-elles t’aider ? Tu fuis avec toi-même. Il te faut déposer le fardeau de ton âme. Tu te précipites de tous les côtés pour chasser le poids qui t’oppresse et que ta bougeotte même rend encore plus pénible. Tout ce que tu fais tu le fais contre toi. - 3 - Ce qui compte, c’est l’état dans lequel tu te trouves et non pas ta destination. Voilà pourquoi nous ne devons asservir notre âme à aucun lieu. Il faut vivre avec la conviction suivante : « Je ne suis pas né pour un seul coin de terre, ma patrie, c’est le monde entier. » Qu’importe le nombre de maîtres ! Il n’y a qu’une seule servitude. Celui qui la dédaigne, aussi nombreux que soient ses oppresseurs, demeure libre. « La conscience de la faute est le premier pas vers le salut » (Epicure). Démontre donc, dans toute la mesure du possible, ta propre culpabilité. Enquête sur toi-même. Lettre 31 En un mot, tu seras sage quand tu auras bouché tes oreilles. Fais-toi sourd à ceux qui t’aiment le plus. Ils veulent ton bien et te souhaitent du mal. Il n’y a qu’un seul bien à la base de la vie heureuse : la confiance en soi-même. Le travail n’est pas un bien en soi. Mais alors qu’est-ce qui est un bien en soi ? Le mépris du travail en tant que tel. Je condamnerai donc ceux qui s’affairent pour rien. En revanche, ceux qui s’efforcent d’atteindre à la vertu, plus ils s’y seront appliqués sans se laisser abattre et sans souffler, plus je les applaudirai. Le chemin est sûr, plaisant, et la nature t’a fourni tout ce dont tu as besoin. Ces dons qu’elle t’a faits, si tu ne les négliges pas, te permettront de t’élever au niveau de Dieu. Et, pour être au niveau de Dieu, l’argent ne peu rien. Dieu est nu. Personne ne connaît Dieu. Dieu Très Grand, Très Puissant, porte à lui seul le monde entier. Nous devons rechercher quelque chose qui ne se dégrade pas de jour en jour et que rien ne puisse entraver. Qu’est-ce que c’est ? L’âme, mais alors droite, bonne, grande. Comment la nommer, sinon par ces mots : « C’est un dieu qui loge dans ton corps d’homme » ? De n’importe où, on peut s’élever vers le ciel. Redresse-toi ! Un petit effort ! « Façonne-toi pour devenir toi aussi digne de Dieu. » Lettre 32 La vie est si brève ! Et nous l’abrégeons encore par notre manque de constance en la recommençant, recommençant sans cesse. Nous la hâchons menu, nous la pulvérisons. Alors pas une minute à perdre. Plus vite ! Echappe-toi ! Met-toi à l’abri ! Ô ! Quand verras-tu ce temps où tu sauras que le temps n’a pour toi aucune importance, où tu seras tranquille et apaisé, sans souci du lendemain, pleinement rassasié de toi-même ? Seul s’est élevé au-dessus des nécessités, seul s’est affranchi de toute tutelle, seul est libre, celui qui vit après avoir achevé sa vie. Lettre 47 La servitude la plus indigne, c’est la servitude volontaire. L’un des nombreux avantages d’une bonne conduite, c’est qu’elle est satisfaite d’elle-même et pleine de constance. La mauvaise conduite, elle, est versatile et, si elle est sujette à de fréquents changements, ce n’est pas dû à un désir de perfectionnement, c’est par goût de la nouveauté. Lettre 49 Infinie, la vitesse du temps ! Et, pour l’apercevoir, il faut regarder en arrière. Elle passe inaperçue à ceux qui ont l’œil collé au présent. Tant passe lentement cette fuite précipitée ! Tu veux savoir la cause de ce phénomène ? Tout le temps écoulé tombe au fond du même - 4 - gouffre. Un point : uploads/Finance/ notes-sur-apprendre-a-vivre-seneque.pdf
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- Publié le Aoû 22, 2021
- Catégorie Business / Finance
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