Revue de l’OFCE, 172 (2021/2) LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE ET LA CRISE DU C
Revue de l’OFCE, 172 (2021/2) LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE ET LA CRISE DU COVID-19 Christophe Blot* Sciences Po, OFCE La crise liée à la propagation de l’épidémie de Covid-19 a de nouveau poussé les banques centrales à réagir en assouplissant l’orientation de la politique monétaire, ce qui s’est traduit par le recours massif aux mesures non conventionnelles. Il en a résulté une forte augmentation de la taille de leur bilan. En amplifiant les programmes d’achat d’actifs, les banques centrales ont par ailleurs absorbé une large part de la dette émise par les États en 2020 pour faire face à la crise. Dans la zone euro, la BCE a de plus lancé un nouveau programme, le PEPP, destiné à réduire le risque de fragmentation. Cet article évalue l’effet de ce programme sur les écarts de taux d’intérêts souverains en zone euro et aussi l’effet des annonces de politique monétaire prises depuis le début de la crise sur les conditions de financement dans la zone euro. Les résultats suggèrent que l’ensemble des mesures prises a eu un effet significatif sur les taux souverains et les indices boursiers. Par ailleurs, les résultats de nos estimations indiquent qu’une augmentation des flux d’achat de titres, dans le cadre du PEPP, permet de réduire les écarts de taux des pays considérés généralement comme fragiles : Italie, Espagne, Portugal et Grèce. Mots clés : Banques centrales, achats d’actifs, fragmentation, taux souverain. D ès le mois de mars 2020, la diffusion de l’épidémie et la perspec- tive des contraintes sur l’activité économique ont poussé les banques centrales à prendre des nouvelles mesures expansionnistes afin de limiter les effets de la crise sanitaire sur la croissance et le système financier. Ces décisions ont mis un terme à la normalisation de la politique monétaire qui était en cours aux États-Unis et retardé encore un peu plus la pers- pective d’un tel schéma dans la zone euro. La taille du bilan des banques ÉTUDE SPÉCIALE * L'auteur remercie Éric Héyer et Paul Hubert pour leur relecture et leurs commentaires. Christophe Blot 2 centrales s’est donc à nouveau fortement accrue. Une dimension essen- tielle des décisions de politique monétaire fut la politique d’achats de titres souverains. Depuis 2009 aux États-Unis ou au Royaume-Uni, et depuis 2014 en zone euro, les banques centrales acquièrent une part importante des dettes publiques. Contraintes par des taux courts proches ou fixés à 0 %, les banques centrales visent – via leurs opéra- tions d’achats d’actifs – à amplifier le caractère expansionniste de la politique monétaire en influençant plus directement les taux longs et par ce biais l’ensemble des conditions de financement. Ce faisant, elles renforcent les interactions entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Les nouvelles opérations menées dans le cadre de la crise de la Covid-19 ont accentué le rôle qu’elles jouent pour le financement de la politique budgétaire. Dans le contexte particulier de la crise sanitaire, l’efficacité des poli- tiques économiques ne peut être évaluée à l’aune de l’évolution de la situation macroéconomique. En effet, avec la mise sous cloche des économies, les pertes de PIB pouvaient difficilement être atténuées et le rôle joué par la politique monétaire pour la préservation du revenu des agents non financiers est de fait bien plus marginal que celui de la politique budgétaire. Dans ces conditions, il était primordial que les banques centrales soutiennent les gouvernements en garantissant le financement de la politique budgétaire et jouent le rôle de prêteur en dernier ressort en fournissant la liquidité nécessaire au système bancaire. Cette action suppose une coordination, au moins implicite entre la banque centrale et le gouvernement. Dans la zone euro, cette coordination est plus difficile à mettre en place du fait du contexte institutionnel spécifique. En l’absence d’État fédéral et malgré le récent plan de relance européen, la réponse de politique budgétaire reste principalement décentralisée. Ce faisant, la capacité de relance et de soutien budgétaire des États membres peut être contrainte par un risque de tensions sur les taux, comme ce fut le cas pour l’Italie, premier pays touché par la pandémie. C’est pourquoi, les achats d’actifs réalisés par l’Eurosystème ont aussi été déterminés afin de réduire le risque de hausse des taux dans la zone euro. En complément du programme d’assouplissement quantitatif (APP, Asset purchase programme), la BCE a lancé le 18 mars 2020 le PEPP (Pandemic emer- gency purchase programme) dont la finalité est plus spécifiquement de limiter les écarts de taux d’intérêts souverains entre les pays de la zone euro. L’évolution des conditions de financement et du risque souverain sont donc deux dimensions essentielles de la politique monétaire en La politique monétaire de la BCE et la crise du Covid-19 3 zone euro, et l’efficacité des actions de la BCE doit se mesurer principa- lement au regard de ces deux objectifs. Nous proposons ici d’analyser l’impact des mesures prises par la Réserve fédérale et la BCE sur leur bilan et sur la dette publique. Par ailleurs, nous évaluons l’effet des programmes d’achat d’actifs mis en œuvre par la BCE sur les taux d’intérêt de la zone euro et les écarts de taux souverains entre États membres à partir d’une étude d’événement, qui permet de capter la réaction des marchés les jours d’annonce d’une décision de politique monétaire. Cette analyse est complétée par une évaluation de l’effet des achats de titres hebdomadaires réalisés dans le cadre du PEPP sur les écarts de taux de dix pays de la zone euro. En effet, au-delà de l’impact des annonces, se pose également la question de la capacité des programmes d’achats d’actifs à réduire les écarts de taux sur un horizon plus important que celui des jours d’annonce de politique monétaire. Dans l’ensemble, les résultats montrent que la BCE a pu influencer par ces décisions l’évolution des conditions de financement et que le PEPP a réduit le risque de fragmentation de la zone euro. Une hausse de 1 % des achats hebdomadaires aurait un effet immédiat sur les écarts de taux des pays les plus fragiles. L’écart de taux italien bais- serait de 1,9 point de base et celui de l’Espagne et du Portugal de respectivement 1,2 et 1,6 point. 1. Un nouvel assouplissement de la politique monétaire Aux États-Unis, la Réserve fédérale est intervenue rapidement en convoquant une réunion d’urgence du FOMC le 3 mars 2020 à l’issue de laquelle une première baisse de taux fut décidée. Puis, à nouveau à la suite d’une réunion d’urgence le 15 mars, la cible pour le taux des fonds fédéraux a été ramenée à 0,25 %. La banque centrale américaine a ensuite réactivé un ensemble de mesures non conventionnelles1 et notamment les achats d’actifs : titres du Trésor (Treasuries) et MBS (Mortgage-backed securities)2. Depuis juin, ces achats s’élèvent respecti- vement à 80 et 40 milliards de dollars par mois. 1. Voir Cheng, J., Skidmore, D., & Wessel, D. (2020), « What’s the Fed doing in response to the Covid-19 crisis? What more could it do », Brookings Institution, 9 ou OFCE Le Blog du 1er avril 2020 : « La Fed et le système financier : prévenir plutôt que guérir ». 2. La Réserve fédérale a initialement annoncé un programme de 700 milliards de dollars (500 milliards de Treasuries et 200 milliards de MBS) avant de déclarer que les achats se feraient dans « les montants nécessaires pour soutenir le bon fonctionnement du marché et la transmission efficace de la politique monétaire ». Ainsi, entre mars et mai, la Réserve fédérale a acheté pour plus de 1 500 milliards de Treasuries et plus de 200 de MBS. Christophe Blot 4 Dans la zone euro, contrainte par un taux d’intérêt directeur déjà à 0 %3, la BCE a eu recours à une nouvelle série de mesures non conven- tionnelles à partir du 12 mars 2020, en amplifiant certains programmes existants complétés par des mesures spécifiques prises pour faire face aux effets de la pandémie. Après avoir augmenté les achats mensuels de titres souverains réalisés dans le cadre du PSPP (Public securities purchase programme), la BCE a annoncé, le 18 mars, le lancement d’un nouveau programme d’achat de titres souverains : le PEPP dont l’objectif est d’atténuer le risque de fragmentation dans la zone euro. L’annonce de ce programme est intervenue alors que de nouvelles tensions apparaissaient sur certains marchés de titres de dette souve- raine, notamment en Italie, premier pays de la zone euro touché par la crise et contraint de prendre des mesures prophylactiques. En l’absence d’union budgétaire, la réponse de politique budgétaire reste décentralisée et se traduit par des impulsions différentes selon les pays. Étant donné les écarts de niveaux de dette publique, la perspective d’une dégradation des finances publiques risquait d’alimenter la défiance des marchés financiers craignant l’insoutenabilité de la dette. Avec le lancement du PEPP, les achats de titres effectués par les banques centrales de l’Eurosystème visent à limiter les écarts entre les taux souverains des États membres. Sur le plan opérationnel, il se distingue du PSPP par deux aspects essentiels. Contrairement au PSPP, le uploads/Finance/ 10-172ofce.pdf
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- Publié le Oct 27, 2022
- Catégorie Business / Finance
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