GREQAM Groupement de Recherche en Economie Quantitative d'Aix-Marseille - UMR-C
GREQAM Groupement de Recherche en Economie Quantitative d'Aix-Marseille - UMR-CNRS 6579 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Universités d'Aix-Marseille II et III Document de Travail n°2006-12 HAYEK ET RAWLS SUR LA JUSTICE SOCIALE : LES DIFFERENCES SONT-ELLES « PLUS VERBALES QUE SUBSTANTIELLES » ? Claude GAMEL February 2006 halshs-00409672, version 1 - 11 Aug 2009 HAYEK ET RAWLS SUR LA JUSTICE SOCIALE : Les différences sont-elles « plus verbales que substantielles » ? Version révisée (janvier 2006) Résumé : Dans la pensée libérale contemporaine, Hayek, économiste théoricien du « mirage de la justice sociale » et Rawls, philosophe auteur d’une « Théorie de la justice », semblent en opposition complète ; pourtant le premier a pu affirmer que les différences qui le séparaient du second étaient « plus verbales que substantielles ». En dépit d’une opposition frontale de paradigme (évolutionnisme versus contractualisme), le présent article cherche à repérer les éléments qui pourraient étayer une telle remarque : dans la gestation des normes, les étapes sont comparables (anti-utilitarisme, impartialité, expérimentation) et aboutissent à deux versions d’une même conception de la justice en société, tant au niveau des normes retenues que de leur hiérarchie (prééminence de la liberté, réelle augmentation des chances de chacun, amélioration du sort des plus démunis). Abstract : In contemporary liberal thought, Hayek seems to be completely opposed to Rawls : the first one is an economist known as the theoretician of « the mirage of social justice », the second one is a philosopher, who is the author of « Theory of justice » ; but Hayek can have written that the differences between himself and Rawls are « more verbal than substantial ». In spite of strong opposition between them about paradigm (evolutionism versus contractualism), the paper tries to find elements which might support such an opinion : the steps are quite comparable in the setting of norms (anti-utilitarianism, impartiality, experimentation) and lead to two versions of the same conception of justice in society. These two versions converge in the content of norms as well as in their hierarchy (priority of liberty, fair increase of opportunity for everyone, better condition for the poorest people). Mots clés : justice sociale, libéralisme, évolutionnisme, contractualisme, égalité des chances, revenu minimum. Keywords : social justice, liberalism, evolutionism, contractualism, equality of opportunity, minimum income. JEL : B 25, D 63, I 38. 2 halshs-00409672, version 1 - 11 Aug 2009 « A un moment donné, le sentiment que je devrais justifier ma position vis-à-vis d’un ouvrage récent de grande valeur a également contribué à retarder l’achèvement de ce volume-ci. Mais après avoir soigneusement considéré la chose, je suis arrivé à la conclusion que ce que je pourrais avoir à dire du livre de John Rawls A Theory of Justice (1972)[sic] ne servirait pas à mon objectif immédiat, parce que les différences entre nous apparaissent plus verbales que substantielles. » F. A. Hayek « Droit, législation et liberté » tome 2 « Le mirage de la justice sociale » (1982 : XII-XIII) 1. Introduction : prolégomènes à une analyse comparative Dans la philosophie libérale contemporaine, Friedrich Hayek et John Rawls sont sans nul doute les deux auteurs majeurs qui ont dominé la réflexion sur les fondements éthiques de l’économie de marché, réflexion riche et féconde qui, à leur suite, s’est particulièrement développée dans le dernier quart du XX° siècle. Hayek séduit par le caractère transdisciplinaire de son œuvre où les considérations économiques, juridiques et historiques sont harmonieusement complétées par les premiers apports des sciences de la cognition et de la complexité. Entre « l’ordre spontané » de la société, dont l’évolution échappe pour l’essentiel à la maîtrise de l’homme, et « les organisations sociales », dont le pilotage demeure seul à sa portée, la dialectique « hayékienne » s’en trouve singulièrement renforcée et débouche sur le processus de sélection des « règles abstraites de juste conduite » : la synthèse magistrale que l’on trouve dans « Droit, législation et liberté » (1973, 1976, 1979), fournit de fait un nouveau souffle à la pensée libérale traditionnelle, tant française (Montesquieu, Tocqueville, ..) que britannique (Hume, Smith, ..). Quant à John Rawls, son ouvrage fondamental sur la « Théorie de la justice » (1971) ne peut qu’impressionner par la profondeur de son ambition : « généraliser et porter à un plus haut degré d’abstraction la théorie traditionnelle du contrat social telle qu’elle se trouve chez Locke, Rousseau et Kant » [Rawls (1987 : 20)] et fournir ainsi à la démocratie moderne, fondée sur la philosophie des droits de l’homme et la coordination par le marché, des principes de justice sociale unanimement acceptés. « Voile d’ignorance », « principe de différence » et « biens premiers » sont autant de concepts « rawlsiens » abondamment et diversement commentés depuis plus de trente ans, au point d’avoir suscité, à la jointure de la philosophie et de l’économie, un champ de recherche, désormais autonome, consacré aux questions de justice. 1.1. Hayek « en aval » des théories de la justice sociale La parution à peu d’intervalle de ces deux ouvrages dans les années 1970 n’a pas pour autant suscité de réflexion comparative entre les approches en cause. Il s’agit là d’un euphémisme, lorsqu’on constate par exemple que Roemer (1996), dans son inventaire des théories de la « justice distributive », fait très souvent référence à Rawls mais n’évoque nulle part Hayek. Explication évidente mais peut-être aussi superficielle, l’économiste théoricien du « mirage de la justice sociale » n’aurait rien à dire au philosophe auteur d’une « théorie de la justice ». 3 halshs-00409672, version 1 - 11 Aug 2009 Dans un ouvrage comparable que Fleurbaey a publié en français la même année, le traitement des deux auteurs est presque aussi asymétrique - Hayek n’y est commenté qu’en quelques lignes [Fleurbaey (1996 : 151-152)] -, mais une explication de sa mise à l’écart quasi systématique est toutefois esquissée : « une part importante de l’argumentation libérale est de nature instrumentale, c’est-à-dire que les institutions capitalistes sont défendues parce qu’elles sont censées être les plus efficaces ou les plus favorables au bien-être, etc. Ce type d’argumentation se situe donc en aval des théories de la justice proprement dites » [Fleurbaey (1996 : 146)]. Or, comment situer Hayek lorsqu’il affirme que l’information nécessaire à la puissance publique pour orienter l’allocation des ressources de manière consciente n’est jamais disponible ? « Il nous suffit de noter, conclut Fleurbaey (1996 : 152), que cette argumentation repose sur des éléments empiriques, et appartient donc à la catégorie instrumentale plutôt que fondamentale ». Echo à l’analyse précédente, Kymlicka (1990 : 95-96) souligne quant à lui le caractère contingent de la défense par Hayek du marché et des libertés. A la différence des libertariens pour qui le marché, et les libertés individuelles qu’il suppose, peuvent être intrinsèquement justes, Hayek ne soutiendrait pas le capitalisme en tant que tel, mais parce qu’il constituerait à ses yeux un puissant antidote à toute tentative centralisatrice du pouvoir : en minimisant ainsi le risque de dérive vers le totalitarisme, il s’agit avant tout pour lui d’éviter « la route de la servitude ». Un tel consensus des théoriciens de la justice sociale à l’égard de Hayek est en outre corroboré par l’attitude de Rawls lui-même : que ce soit dans « Théorie de la justice » ou dans ses travaux ultérieurs [cf. notamment Rawls (1993) et (1995)], il semble bien qu’on ne puisse pas trouver sous la plume du second la moindre référence au premier, alors que l’inverse existe et mérite qu’on s’y attarde. 1.2. Rawls « ponctuellement » apprécié de Hayek On ne peut en effet manquer de se perdre en conjectures face à la citation, mise en exergue au présent texte, où Hayek ne repère que des « différences plus verbales que substantielles » entre sa propre réflexion et celle de Rawls. Cette phrase figure dans l’avant- propos du tome 2 de « Droit, législation et liberté » publié en anglais en 1976, soit cinq ans après « Théorie de la justice » de Rawls et elle n’a, semble-t-il, jamais été commentée depuis par l’un ou l’autre des deux protagonistes. Tout au plus trouve-t-on sous la plume de Hayek (1982 : 120), à la fin du chapitre 9 de ce tome 2, quelques phrases précisant cette remarque : « Ce n’est pas seulement comme base des règles juridiques de juste conduite que la justice rendue par les tribunaux est d’une extrême importance ; il existe aussi, indiscutablement, un authentique problème de justice en liaison avec le plan délibéré des institutions politiques, problème auquel le Pr. John Rawls a récemment consacré un livre important. Je regrette seulement, parce que c’est une source de confusion, que dans ce contexte il emploie le terme de "justice sociale" ». Dans ce chapitre 9, intitulé « justice "sociale" ou distributive », Hayek s’insurge en effet contre l’emploi de l’expression « justice sociale » qui entretient selon lui l’illusion que l’on pourrait appliquer l’idée de justice à un ordre social dont personne ne uploads/S4/hayek-et-rawls.pdf
Documents similaires










-
49
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.3913MB