Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutio

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance et la sécurité intérieure. Le texte qui vous est déféré constitue un texte éminemment important puisqu'il affectera directement et durablement la vie de nos concitoyens. Les requérants considèrent qu'un projet de loi aussi conséquent pour les générations actuelles et futures ne saurait être promulgué sans avoir été au préalable, et dans son ensemble, soumis au strict et entier contrôle de votre haute juridiction. Il le fera particulièrement au regard de la nature sociale de notre République, qui est exprimée avec force dès l'article 1er de notre Constitution, et de l'ensemble des principes constitutionnels qui fondent notre Etat de droit social et qui sont, à n'en pas douter, « inhérents à l'identité constitutionnelle de la France1 ». Si vous rappelez par une jurisprudence constante que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement2, vous ne manquez pas d'affirmer que le pouvoir législatif ne saurait s'exercer au mépris des exigences constitutionnelles dont vous êtes précisément le gardien. Or, parce que la loi dont vous êtes saisi remet en cause ce que les parlementaires, mais aussi les collectifs et associations ainsi qu’une majorité importante de nos concitoyens, considèrent comme les principes les plus chers à l’identité constitutionnelle, historique et politique de la France, nous vous demanderons d’être particulièrement attentif dans l’exercice de votre contrôle. Sur la légalité externe Le projet de loi a été proposé par le Gouvernement et présenté par M. Fillon, Premier Ministre, sous couvert de l’article 39 de la Constitution, disposant que l’initiative des lois appartient concurremment au Premier Ministre et aux membres du Parlement. Or, le projet de loi présenté comporte un certain nombre de dispositions modifiant en profondeur la loi pénale, qui reste dans le domaine du Parlement. Votre jurisprudence a, par ailleurs, souligné de manière constante, qu’il appartenait au Parlement d’assumer et d’exercer ses responsabilités politiques. Dans votre grande sagesse, vous avez rappelé dans une décision du 23 juillet 1993 qu’il incombait au Parlement de définir précisément la nature et la portée […] , les conditions et les procédures de la loi pénale. L’article 17 de ce projet présente également un point obscur. « Le visionnage des images peut être assuré par […] des opérateurs publics ou privés ». La délégation de compétence, bien que ce soit une technique de gestion, ne peut être opérée dans le domaine des activités de police. Or la nature de la mission qui pourrait être confiée aux opérateurs privés relève du domaine de la police, insusceptible de faire l’objet d’une délégation. Bien que la jurisprudence du Conseil d’Etat ne fasse pas partie du Bloc de Constitutionnalité, vous avez auparavant utilisé la jurisprudence dégagée par ce dernier dans le cadre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Par ailleurs, le projet de loi comporte un certain nombre de points qui restent imprécis. Ainsi le terme « considération » de l’article 2 ainsi que le terme « réitérée » présentent des incertitudes quant à la définition même des termes, qui n’existent dans aucun ouvrage 1 Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 2 Décision n° 2010-605 DC 1 juridique. Il est possible d’avancer des hypothèses quant à l’essence à donner à ces termes. Mais il incombe au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation qui pourrait être contraire à la Constitution. Vous l’aviez ainsi souligné dans votre décision n°2004-503 D.C du 12 août 2004 3 . La possibilité laissée à un magistrat ou à une autorité administrative ou juridictionnelle de définir les termes « considération » et « réitérée » serait non seulement contraire aux exigences de clarté de la loi et de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, mais également aux articles 4, 5, 6, 16 et 34 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 – dont vous aviez établi qu’elle faisait partie des normes constitutionnelles dans votre décision de 19734 – ainsi qu'à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits et de l’homme et des libertés fondamentales. Sur ce dernier point, nous attirons votre attention sur le fait que les récentes condamnations de la France5 l’ont été au titre de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 7 de ce même texte dispose qu’il ne peut y avoir de peine sans loi. Or, des termes obscurs contenus dans la loi rendent les éventuelles condamnations qui pourraient en découler contraires non seulement à notre Bloc de Constitutionnalité mais également à l’ensemble de Traités et textes internationaux que la France s’est engagée à respecter. La généralité des termes employés fait peser sur les citoyens et les institutions de la Républiques des obligations dont la portée reste imprécise et de ce fait, dépourvue de portée normative6. Nous attirons également votre attention sur l’article 18 du projet de loi tenant à la composition de la Commission Nationale de la Vidéoprotection en son 5°. La mention « personnes qualifiées » reste floue et ne détermine pas le contenu de la qualification demandée ou recherchée. De par sa fonction et sa nature, il semble dommageable et préjudiciable qu’une telle incertitude subsiste quant à la composition de cette autorité, laissant ce soin au Conseil d’Etat d’y revenir par décret. La même mention est insérée dans l’article 17 « autorités publiques compétentes » mais n’est pas définie. De manière plus générale, ce projet de loi comporte suffisamment de dispositions imprécises, alors même que sa nature exige que les termes qu’il comporte soit de la plus grande rigueur. Sur la légalité interne Nous attirons votre attention sur l’article 4 du projet de loi qui, par sa rédaction contrevient à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui pose le principe de la liberté d’expression. En effet, la possibilité laissée aux autorités administratives d'empêcher l'accès aux adresses Internet des services de communication au public en ligne sans aucune possibilité de recours ni avertissement des personnes concernées et donc sans contrôle entre en contradiction avec votre jurisprudence7. L’article 66 de la 3 Mais également dans la décision n°2004-500 DC du 29 juillet 2004 sur la loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales ou encore la décision n°2006-530 du 29 décembre 2005 sur la loi de finances pour 2006 4 Décision du 27 décembre 1973 dite taxation d’office 5 Arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : Medvedyev du 29 mars 2010 , Brusco du 4 octobre 2010, Moulin du 23 novembre 2010 6 Décision n°2005-512 DC du 21 avril 2005 sur la loi d’orientation et de programme sur l’avenir de l’école 7 Décision n°89-248 DC du 17 janvier 1989 2 Constitution de 1958 instaure le respect de la sûreté personnelle et en déléguant une tâche qui est par essence pénale, à une autorité administrative non définie dans le texte, le projet de loi est en contradiction avec la Constitution8. Par ailleurs, dans la mesure où le texte ne pose aucune possibilité de recours ni d’informations des personnes concernées, ce projet est contradictoire avec l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La France a d’ailleurs été condamnée pour violation de la présomption d’innocence9 et les conséquences désastreuses de l’affaire Outreau ont montré les ravages que cela pouvait entrainer. Nous attirons également votre attention sur la mention « sans délai » qui ne possède aucune définition juridique. Or le principe de stricte application de la loi pénale contenue dans l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est en contradiction avec une pareille mention qui serait insérée dans le Code Pénal en son article 227-2310. L’article 8 du projet établirait également certaines responsabilités et compétences au Procureur de la République dans le cadre de vérifications et d’établissement de fichiers de police judiciaire. Or les récentes jurisprudences européennes ont démontré que le Procureur de la République n’était pas une autorité judiciaire indépendante au sens que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme donne à cette définition, lui manquant la nécessaire indépendance à l’égard du pouvoir politique pour être ainsi qualifié. Or, dans la mesure où les fichiers de police judiciaire auront nécessairement pour but d’aider dans les enquêtes et instructions en matière pénale, il semble dommageable et préjudiciable que ces fonctions soient confiées au Procureur de la République, ne serait-ce que dans la poursuite de l’objectif de bonne administration de la justice. L’article 23 souhaite instaurer une modification du Code de Procédure Pénale et mettre en place un système d’accès à l’ensemble des fichiers et données informatiques d’une personne, physique ou morale, uploads/S4/ saisine-loppsi.pdf

  • 44
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 09, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1059MB