Institut d'Études Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO Master de
Institut d'Études Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO Master de Science Politique Mémoire de Théorie Politique Retours et métamorphoses : le droit naturel classique face au fait pluraliste Jean-Gabriel Piguet Mémoire dirigé par le Professeur Philippe Portier Piguet, Jean-Gabriel – Retours et métamorphoses : le droit naturel classique face au fait pluraliste - Mémoire IEP de Paris – 2013-14 1 Remerciements Tous nos remerciements vont au Professeur Philippe Portier pour ses précieux conseils, et au futur docteur M. Jean-Rémi Lanavère pour m'avoir introduit à la loi naturelle comme concept politique. Table des abréviations Pour les œuvres de R. Hittinger : FG The first Grace – rediscovering the naturel law in a post-christian world LA « Liberalism and the american natural law tradition » VML « Varieties of minimalist natural law traditions » JR « John Rawl's Political Liberalism » Pour les œuvres d'A. MacIntyre : AV Après la vertu QJ Quelle justice ? Quelle rationalité ? [ version américaine : WJ] DRA Dependent rational animals EP Ethics and Politics, v.2 INL Intractable disputes about natural law Pour les œuvres de J. Rawls : TJ Théorie de la Justice LP Libéralisme politique [ version américaine: PL pour Political Liberalism] Pour Thomas d'Aquin : ST Somme théologique Piguet, Jean-Gabriel – Retours et métamorphoses : le droit naturel classique face au fait pluraliste - Mémoire IEP de Paris – 2013-14 2 Introduction Il serait difficile d'énumérer le nombre d'ouvrages qui, depuis le début du XXe siècle, ont annoncé le retour du droit naturel1. En 1922, Max Weber observait la résurgence des doctrines jusnaturalistes qui, en dépit du discrédit dans lequel les attaques historicistes et positivistes avaient jeté l'idée du droit naturel, retrouvaient l'antique lex non scriptura. Il s'agissait bien pour cette nouvelle école, largement néo-kantienne, de penser à nouveaux frais l'étalon de justice permettant de critiquer les lois positives, c'est-à-dire de l'épurer de la vieille conception de la nature comme cosmos harmonieux et téléologisé.2 Force est de constater, que le mouvement dont Weber observait la vitalité dans la République de Weimar exerça son attrait bien au-delà des cercles germaniques, car la « tentative néo-jusnaturaliste » fut reprise et poursuivie en France, en Italie, dans les cercles libéraux américains dans l'entre deux-guerre, puis de façon plus nette encore, après le procès de Nuremberg. La volonté presque unanime de condamner les responsables et les médecins nazis devait en effet donner une nouvelle vie à la conviction qu'il existe une loi au-dessus de toute loi dont chaque citoyen est le bénéficiaire et l'ordre constitutionnel le garant. La nécessité d'indexer les dangereuses écartées du jeu démocratique sur le marbre inaltérable d'une loi qu'on ne peut changer sans abolir l'état de droit lui-même paraissait alors évidente. Comment condamner l'horreur commise si le droit ne relève que de la décision du souverain ? Quel peut bien être l'objet de la délibération politique si la norme se résout dans le fait de l'autorité positive ? Toutefois, l'idée d'un retour du droit naturel semble porter en elle une gênante équivoque. Peut-on parler, au-delà du retour de l'idée de droit naturel, d'un retour du droit naturel ? S'agit-il d'un vœu philosophique ou d'une réalité historique et juridique avérée ? Sur ce point Weber, ne semblait pas penser que le droit naturel puisse avoir aucune transposition juridique positive. S'il concédait que le développement du droit ne pouvait s'opérer uniquement sur le plan formel, dans une indépendance totale vis-à-vis des exigences substantielles de justice, il ne percevait dans cette pression exercée sur le droit qu'un correctif. Le droit, expliquait-il, était voué à se développer dans le sens d'un plus grand formalisme jusqu'à ce que son contenu 1 Depuis la première moitié du XXe, nombre d'historiens et théoriciens du droit notent un retour de la pensée du droit naturel. Voir HAINES, Charles C., The Revival of Natural Law Concepts, Cambridge, éd. Harvard University Press, 1930, WEBER, Max, Max Weber on law in economy and society, éd. Harvard University Press, 1954 ; FRIEDRICH Carl Joachim, The philosophy of law in historical perspective, Chicago, éd. University of Chicago Press, 1958 ; RUOL, M., LONGNEAUX, J.-M., FIASSE, G., DIJON, X, COPPENS, F., CHRISTIAN L.-L (dir.), Droit naturel : relancer l'histoire ? coll. Droit et Religion 2, Bruxelles, éd. Bruylant, 2008. 2 Cette tendance observée par Weber regroupe à travers l'Europe des personnalités aussi diverses que Del Vecchio, Geny, ou Nelson. A la même époque, Léon Duguit n'est pas très loin de la tradition jusnaturaliste lorsqu'il évoque les « droits pré- constitutionnels ». Piguet, Jean-Gabriel – Retours et métamorphoses : le droit naturel classique face au fait pluraliste - Mémoire IEP de Paris – 2013-14 3 devienne absolument « dénué de toute sacralité [...] »3. Comment un élément apparemment hérité d'un système de sacralité étranger à la rationalité procédurale moderne pourrait-il encore informer le droit positif ? Weber connaissait pourtant les multiples déclarations des droits « inaliénables et sacrés » qui jalonnent l'histoire politique et juridique des constitutions modernes. Le Préambule de la Constitution de 1946 n'hésite pas à s'en faire le héraut. Sa volonté d'assumer pleinement les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » en leur ajoutant la garantie judiciaire de la liberté individuelle lui donne une réalité positive. On notera que le Préambule de 1946, fidèle à la rhétorique révolutionnaire, « proclame » les droits et ne les institue pas. Avec la loi fondamentale de l'Allemagne fédérale, la Constitution française fait directement écho sur le plan philosophique aux « vérités évidentes » de la Constitution américaine selon lesquelles les hommes naissent libres et égaux. Consécutivement à la constitutionnalisation des droits de l'homme, ceux-ci semble trouver leur défenseur dans l'organe judiciaire. Le juge constitutionnel ne peut faire appel à ces droits que dans la mesure où la constitution positive est habitée par une telle intention morale, consistant à rendre à l'homme la dignité que sa simple nature lui confère. L'apparition progressive de la nouvelle fonction des juges constitutionnels, protéger les droits et libertés individuelles contre l'hybris du législateur, entérine encore la réalité dans la référence au droit naturel droit positif. Aussi la réforme de 1974 en France et la réinterprétation judiciaire du XIV e amendement et de la due process clause de la Constitution américaine depuis la fin du XIXe siècle ont fini par plier les plumes réfractaires à l'idée d'une réalité juridique du droit naturel au sein des démocraties libérales 4. La normativité effective de l'idée d'une loi naturelle n'est plus en doute, là où le juge constitutionnel ne se borne plus à dénoncer l'irrégularité d'une procédure et prononce sur la compatibilité des lois avec le respect des libertés fondamentales. Il semble même de ce point de vue que, paradoxalement, un argument positiviste s'oppose formellement à la négation d'un retour du droit naturel en tant que réalité positive. Si, comme l'écrit Hobbes, « auctoritas, non veritas, facit legem » le simple triomphe de la figure du juge constitutionnel, et de son autorité comme défenseur des droits et les libertés individuels devrait suffire à en manifester la normativité propre, ainsi que celle des droit subjectifs qui lui confèrent une telle autorité démocratique en dépit du fait qu'il n'est pas élu. L'hypothèse, défendue par de nombreux positivistes5 d'une usurpation politique du pouvoir du corps souverain par ce nouveau « pouvoir des juges » n'altère en rien son autorité effective, et partant, son pouvoir d'édiction de la norme. Puisque le trait distinctif du droit par rapport à la morale est d'être « un ordre 3 WEBER, Max, op.cit., p. 321. 4 Voir CAYLA, O., art.« Droit », in Dictionnaire de philosophie politique, dir. P. Raynaud, S. Rials, Paris, éd. PUF, 2003 ; VEDEL, G., « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme », Pouvoirs, 1988, n°45, p.149 sq. 5 BERGER, R., Government by Judiciary: The Transformation of the Fourteenth Amendment, éd. Cambridge: Harvard University Press, 1975. Piguet, Jean-Gabriel – Retours et métamorphoses : le droit naturel classique face au fait pluraliste - Mémoire IEP de Paris – 2013-14 4 normatif qui cherche à provoquer des conduites humaines en attachant aux conduites contraires des actes de contraintes socialement organisés »6, il ne saurait y avoir d'état sans force de contrainte.7 Même si l'on envisage avec le théoricien du droit H. Kelsen que le droit n'est pas le simple produit de l'État, qu'il n'est lui- même que la force d'application du droit8, c'est-à-dire que ses édits n'ont pas force de droit indépendamment de la « norme fondamentale », on voit mal quelle serait l'effectivité d'une norme opposée au gouvernement des juges dès lors que celle-ci se trouve dénuée d'autorité chez ses gardiens. La recherche de ce ce qui est juste pour l'homme et donne sens aux conventions juridiques tel est ce qui semble revenir et s'incarner positivement dans la logique constitutionnelle libérale après l'expérience totalitaire. Bien entendu, rien ne force à reconnaître que les droits fondamentaux que le juge est censé protéger soient autre chose que des créations ou des idées régulatrices. Mais, que ce soit par uploads/S4/ me-moire-jg-piguet.pdf
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- Publié le Jui 23, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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