LA FIN D'UNE EXCEPTION FRANÇAISE ? Guillaume Tusseau Le Seuil | « Pouvoirs » 20
LA FIN D'UNE EXCEPTION FRANÇAISE ? Guillaume Tusseau Le Seuil | « Pouvoirs » 2011/2 n° 137 | pages 5 à 17 ISSN 0152-0768 ISBN 9782021040487 DOI 10.3917/pouv.137.0005 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2011-2-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) 5 p o u v o i r s – 1 3 7 . 2 0 1 1 G u i l l au m e Tu s s e au L A F I N D ’ U N E E X C E P T I O N F R A N Ç A I S E ? « Ce dont vous aviez rêvé, je vous l’ai offert. » Nicolas Sarkozy 1. I l y a plus de trente ans, Jean Rivero constatait, à propos de la nouvelle répartition des compétences normatives instaurée par les articles 34 et 37 de la Constitution de 1958, que « la révolution n’a[vait] pas eu lieu 2 ». Au sujet d’un autre aspect des institutions mises en place par le général de Gaulle, celui de la justice constitutionnelle, il semble possible d’affirmer au contraire que la révolution dont la Constitution de 1958 portait la promesse a bel et bien eu lieu. Bien que le principe en ait été posé dès le préambule de la Déclaration de 1789, il aura donc fallu plus de deux siècles pour parvenir à l’instau- ration d’un système de justice constitutionnelle qui accorde au citoyen la possibilité de se prévaloir de la Constitution contre les pouvoirs publics ; plus de deux siècles pour que soit donnée une réponse à Sieyès, qui s’adressait en ces termes à la Convention : « Une constitution est un corps de lois obligatoires, ou ce n’est rien ; si c’est un corps de lois, on se demande où sera le gardien, où sera la magistrature de ce code. Il faut pouvoir répondre. Un oubli de ce genre serait inconcevable autant que ridicule dans l’ordre civil ; pourquoi le souffririez-vous dans l’ordre 1. « Allocution au Colloque du cinquantenaire du Conseil constitutionnel », Paris, Auditorium du Louvre, 3 novembre 2008, http://www.elysee.fr/president/root/bank/pdf/president-5208. pdf, p. 4 (consulté le 12 octobre 2010). 2. Jean Rivero, « Rapport de synthèse », in Louis Favoreu (dir.), Vingt Ans d’application de la Constitution de 1958 : le domaine de la loi et du règlement, Aix-en-Provence, PUAM, 1978, p. 263. © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) G u i l l a u m e t u s s e a u 6 politique ? Des lois, quelles qu’elles soient, supposent la possibilité de leur infraction, avec un besoin réel de les faire observer. Il m’est donc permis de le demander : qui avez-vous nommé pour recevoir la plainte contre les infractions à la Constitution 3 ? » La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoit que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » (art. 61-1, al. 1er C) 4. Elle a enfin réparé l’« oubli ». Sous les dehors techniques d’une voie de droit inédite dénommée « question prioritaire de constitutionnalité », l’évolution de l’un des plus anciens constitutionnalismes du monde vers l’âge adulte se trouve parachevée. Toutefois, cette impression ne peut qu’être mêlée d’un certain nombre d’interrogations. Le « constitutionnalisme » 5 qui s’ex- prime aujourd’hui en France pourrait sembler en décalage par rapport au ton de l’époque, tel qu’il ressort de nombreux débats internationaux. La satisfaction de voir dépasser une époque d’infantilisme constitu- tionnel se verrait tempérée par la crainte de lacunes et d’anachronismes. Tout triomphalisme serait alors la marque d’un discours et d’une pratique en eux-mêmes dépassés. Le dépassement d’un consti t u t i o n na l i s m e infantile ? La révision constitutionnelle de 2008 a fini par graver dans le marbre ce qui, pendant tant d’années, est resté du domaine de l’impensable : la mise à bas du légicentrisme rousseauiste de l’ordre juridique français. Tous les détours pour protéger la Constitution tout en évitant de laisser « les tribunaux […] prendre directement ou indirectement […] part à l’exercice du pouvoir législatif, […] empêcher ou retarder l’exécution 3. Discours du 18 thermidor an III, Réimpression de l’ancien Moniteur, H. Plon, 1862, t. XXV, p. 442. 4. Loi constitutionnelle 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JO, 24 juillet 2008, p. 11890. 5. On entend ici par « constitutionnalisme » un ensemble de discours, de la part des pro- ducteurs de droit, des praticiens et de la doctrine, ainsi que les présupposés et représentations sous-jacents à ces discours. © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) l a f i n d ’ u n e e x c e p t i o n f r a n ç a i s e ? 7 des décrets du corps législatif sanctionnés par le roi 6 » ont en effet été empruntés 7. Dès la première Constitution, l’idée d’un contrôle de la constitution- nalité des actes du corps législatif a été avancée afin de justifier le veto suspensif dont disposait le roi. On a ensuite imaginé d’attribuer cette compétence non au chef de l’État, mais à une assemblée législative, qu’il s’agisse du Conseil des Anciens 8 ou du Sénat conservateur 9. Restant entre les mains des seules institutions politiques, à l’exclusion des par- ticuliers, le contrôle n’opérait qu’a priori. Sous la IIIe République, les chambres résolvaient elles-mêmes la question de la constitutionnalité des lois 10. Le contrôle était nécessairement exercé, d’une part, et concluait nécessairement à la constitutionnalité de la loi entrée en vigueur, d’autre part. Il s’intégrait si étroitement à la procédure d’adoption de la loi qu’il en devenait insignifiant. Lors de sa création, le Conseil constitutionnel ne laissait a priori guère plus d’espoir que le Comité constitutionnel qui l’avait précédé. Mais la « divine surprise » advint. D’abord simple instrument du parlementarisme rationalisé, inféodé au père fondateur, au long d’une histoire jalonnée de quelques grandes dates – 1971 et la décision Liberté d’association 11, 1974 et l’ouverture de la saisine 12, 1980 et la nomination du doyen Vedel 13, 1986 et celle de Robert Badinter 14, et enfin 2008 –, le Conseil a su concrétiser ce qui avait toujours échoué jusqu’alors. Mais même la Constitution de 1958 n’avait pas remis en cause l’intangibilité de la loi promulguée. Une double révolution s’opère en effet depuis le 1er mars 2010, avec la possibilité d’une remise en cause de la loi à l’initiative du (simple) justiciable, d’une part, et après son entrée en vigueur, d’autre part. Cette justiciabilité pleine et entière de la Constitution française transfigure le constitutionnalisme hexagonal. 6. Loi des 16-24 août 1790, article 10. 7. Voir, plus généralement, Guillaume Tusseau, « El control político de constitucionalidad en Francia », in José Luis Prado Maillard (éd.), Ángela Figueruelo Burrieza, Gastón J. Enríquez Fuentes, Michael Núñez Torres (dir.), El control político en el Derecho comparado, Grenade, Comares, 2010, p. 31-50. 8. Article 88 et 97 C an III. 9. Article 21 et 37 C an VIII. 10. Raymond Carré de Malberg, « La constitutionnalité des lois et la Constitution de 1875 », Revue politique et parlementaire, 10 septembre 1927, p. 339-354. 11. CC, 16 juillet 1971, décision 71-44 DC, loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, Rec., p. 29. 12. LC 74-904 du 29 octobre 1974, JO, 30 octobre 1974, p. 11035. 13. Décision du 24 février 1980, JO, 26 février 1980, p. 595. 14. Décision du 19 février 1986, JO, 20 février 1986, p. 2791. © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) © Le Seuil | Téléchargé le 29/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 168.228.186.59) G u i l l a u m e t u s s e a u 8 Cette possibilité uploads/S4/ la-fin-d-x27-une-exception-francaise.pdf
Documents similaires










-
54
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 07, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.4760MB