LA CONVENTION DES NATIONS UNIES POUR LA PROTECTION DE TOUTES LES PERSONNES CONT
LA CONVENTION DES NATIONS UNIES POUR LA PROTECTION DE TOUTES LES PERSONNES CONTRE LES DISPARITIONS FORCEES : LES ENJEUX JURIDIQUES D’UNE NEGOCIATION EXEMPLAIRE Première partie : les dispositions substantielles * Olivier de FROUVILLE ** Professeur à l’Université de Montpellier I « Nous remplaçons le terme “instrument” par celui de Convention. Nous adoptons le principe d’un organe de suivi autonome, le Comité contre les disparitions forcées. [...] Je vous demande maintenant d’adopter tacitement ce texte, tel que modifié. » Des secondes interminables s’écoulèrent. Un silence absolu régnait dans la salle XII du Palais des Nations, à Genève. Aucune pancarte ne se leva. Tous restaient comme pétrifiés. Le Président ralluma son micro et, avec une voix où l’on pouvait clairement sentir l’émotion percer, déclara adoptée la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Une grande émotion saisit la salle entière. Il y eu du mouvement dans les rangs des ONG. Les associations de familles de disparus, particulièrement, ne purent attendre plus longtemps pour s’embrasser. Et aussi pour pleurer, dans un mélange de joie – parce que le coup de marteau donné par le Président représentait l’aboutissement de 25 années de luttes inlassables aux Nations Unies – et de désespoir, parce que, pour beaucoup, ressurgissait à ce moment précis l’image de celui ou de celle qui leur avait été enlevé brutalement et qu’ils n’avaient jamais revus depuis. Ainsi s’acheva cette journée du jeudi 22 septembre, dans les rires et les larmes mêlés. Des déclarations générales furent prononcées. Le dernier jour de session, le vendredi 23, leur fut tout entier consacré. Au terme de cette dernière journée, le Président du Groupe de travail – le représentant permanent de la France, l’Ambassadeur Bernard Kessedjian – conclut en ces termes : « Un triple Non a été affirmé ici : Non au silence, Non à l'oubli, Non à l'impunité ! » * * La deuxième partie de l'article sera publiée dans le prochain numéro de la revue (n° 7, janvier - décembre 2007). ** En tant que chargé de mission de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme (F.I.D.H.), l’auteur a représenté cette organisation dans le Groupe de travail de la Commission des droits de l’Homme chargé de rédiger un texte juridiquement contraignant pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, de janvier 2003 à septembre 2005. Il s’exprime toutefois ici à titre personnel. Droits fondamentaux, n° 6, janvier - décembre 2006 www.droits-fondamentaux.org 2 (prov.) Olivier de FROUVILLE Les disparitions forcées sont à « l’ordre du jour » de la communauté internationale depuis 1974, date de la « découverte » du phénomène au Chili. Pendant une première période, tout le problème a été de savoir comment qualifier juridiquement cette pratique, faute d’incrimination spécifique en droit interne ou en droit international. Quatre instances ont joué un rôle fondamental à cet égard : le Groupe de travail sur les disparitions forcées de la Commission des droits de l’Homme, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies et la Commission et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme1. L’apport principal de ces organes a consisté à montrer que les disparitions pouvaient s’analyser comme une violation complexe des droits de l’Homme, impliquant la violation de plusieurs droits de l’Homme reconnus en droit international : le droit à la liberté (ou droit de ne pas être détenu arbitrairement), le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, le droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants et le droit à la vie. En procédant de la sorte, il devenait possible d’engager la responsabilité des États pour des disparitions forcées, sur le fondement des conventions générales en matière de droits de l’Homme, comme le Pacte international sur les droits civils et politiques et la Convention interaméricaine des droits de l'Homme2. Mais cette approche est apparue limitée. De toute évidence, les disparitions présentaient une spécificité qui faisait qu’il était impossible d’en appréhender tous les aspects par l’intermédiaire des droits de l’Homme, ou même de certaines incriminations pénales en droit interne comme « l’enlèvement » ou la « séquestration ». De là naît l’idée d’élaborer des instruments qui traiteraient spécialement de ce phénomène. Dès 1988, la Commission interaméricaine des droits de l'Homme présente à l’Assemblée générale de l’OEA un projet de convention sur les disparitions, finalement adopté en 19943. Sur le plan universel, les choses sont plus difficiles et il est décidé de procéder par étape, en suivant la méthode utilisée pour la torture, la phase déclaratoire précédant la phase conventionnelle. Un premier processus de rédaction aboutit donc en 1992, avec l’adoption par l’Assemblée générale de la Déclaration pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ou involontaires4. Sur cette base sont entrepris de nouveaux travaux, dans un cadre informel, en vue de mettre au point un projet de convention. En 1996, le résultat de ces travaux est présenté par l’expert français Louis Joinet à la Sous-Commission des droits de l’Homme. Le texte est examiné pendant deux 1 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme était au départ beaucoup plus limitée, elle ne s’est vraiment développée qu’à partir de la fin des années 90, avec les affaires turques, sans être toujours « à la hauteur des enjeux » : v. Emmanuel Decaux, « La problématique des disparitions forcées à la lumière des articles 2 et 3 de la CEDH », in Catherine-Amélie Chassin (ed.), La portée de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2006. 2 Sur la jurisprudence internationale en matière de disparitions forcées, voir le bilan effectué par Manfred Nowak dans son rapport sur le cadre international actuel en matière pénale et de droits de l’homme pour la protection des personnes contre les disparitions forcées ou involontaires, conformément au paragraphe 11 de la résolution 2001/46 de la Commission, doc. E/CN.4/2002/71, ci-après « rapport Nowak ». 3 Interamerican Convention on the Forced Disappearance of Persons, (A-60), adoptée à Belem di Para, Brésil, le 9 juin 1994, lors de la 24ème session ordinaire de l’Assemblée générale de l’O.E.A. Entrée en vigueur le 28 mars 1996. En juin 2007, la Convention était ratifiée par douze Etats. Ci-après : « la Convention IADF » ou « ConvIADF ». 4 Rés. 47/133, adoptée le 18 décembre 1992 par consensus. Ci-après : « la Déclaration de 1992 » ou « la Déclaration ». Droits fondamentaux, n° 6, janvier - décembre 2006 www.droits-fondamentaux.org La Convention des Nations Unies pour la protection […] (I) 3 (prov.) ans au sein du Groupe de travail sur l’administration de la justice puis adopté en août 1998 par la Sous-Commission qui le transmet à la Commission5. Ce projet de convention constitue un texte complet et innovant6. Il reprend et, parfois, améliore et complète les principes établis dans la Déclaration, quant à la définition des disparitions, quant à leur incrimination sur le plan national et international, quant à la prévention, la répression et la réparation des disparitions forcées. Mais surtout, il assortit la reprise de ces principes d’un mécanisme de mise en œuvre, sous la forme d’un Comité contre la disparition forcée. Pendant deux ans, le texte est soumis pour commentaire aux Etats7. Puis en 2001, la France prend l’initiative de présenter un projet de résolution à la Commission prévoyant la création d’un groupe de travail intergouvernemental chargé d’examiner le texte et de faire rapport à la Commission. Plusieurs Etats émettent des réserves. Celles-ci sont essentiellement de deux ordres. Certains Etats contestent en effet l’utilité même de la rédaction d’un texte sur la question. Ils estiment que la question est suffisamment bien couverte par le droit positif. Qui plus est, ils souhaitent que la Commission mette un terme à ses activités de « standard-setting » : pour eux, il faudrait se concentrer sur l’application des droits, plutôt que de dépenser de l’énergie à l’élaboration de nouvelles normes. D’autant plus que plusieurs expériences récentes ou en cours constituent, selon eux, de mauvais précédents8. D’autres Etats ne sont pas contre, en soi, l’élaboration d’un nouvel instrument sur la question des disparitions, mais ne veulent pas entendre parler d’un nouvel organe de contrôle, à l’heure ou précisément on cherche les moyens de simplifier le système des comités conventionnels. La résolution finalement adoptée en 20019 constitue donc un compromis. Le principe de la création d’un groupe de travail est accepté. Mais celui-ci ne se réunira qu’en 2003. En attendant, un expert sera nommé en vue d’étudier « le cadre international actuel en matière pénale et de droits de l’homme pour la protection des personnes contre les disparitions forcées ou involontaires », cela pour déterminer si, vraiment, le droit international présente certaines « lacunes » qu’il conviendrait de combler. L’expert nommé, le professeur Manfred Nowak, remet à la Commission en 2002 un rapport 5 Rés. 1998/25 du 26 août 1998. 6 V. le texte, annexé au document E/CN.4/Sub.2/1998/19 (rapport du Groupe de travail sur l’administration de la justice de la Sous-Commission des droits de l’Homme lors de sa 50ème uploads/S4/ la-convention-des-nations-unies-pour-la-protection-de-toutes-les-personnes-contre-les-disparitions-forcees.pdf
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- Publié le Aoû 29, 2021
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