Droit administratif « Juge administratif, Constitution et Charte de l’environne
Droit administratif « Juge administratif, Constitution et Charte de l’environnement » « Le respect de l'environnement passe par un grand nombre de changements comportementaux »1, écrivait Nicolas Hulot en 1997. Si modifier le comportement de la population est en effet nécessaire, une partie de l’apprentissage du respect de l’environnement passe par la création de textes normatifs et de jurisprudence qui consacrent l’importance de sa place dans la société française. Si des pays du monde entier reconnaissent depuis des années l’importance de la protection de l’environnement, la France a décidé de consacrer cette idée par l’adjonction à la Constitution d’une Charte de l’environnement2 promulguée le 1er mars 2005 par le président Chirac. La Charte a été conçue comme un texte constitutionnel : une loi organique en a prévu l’adossement à la Constitution de 1958 en la mentionnant dans le préambule, l’inscrivant ainsi dans le bloc de constitutionnalité. Le concept de bloc de constitutionnalité est issu d’une décision du Conseil constitutionnel3 de 1971, dans laquelle il traite de l’« ensemble des normes constitutionnelles pris en compte lors du contrôle de la constitutionnalité des lois exercé par le CC et pour lequel il estime que le Parlement est lié dans l’exercice de son pouvoir législatif »4. Le préambule de la Constitution de 1958 mentionnent en effet le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; lors du contrôle de constitutionnalité d’une loi dans sa décision du 16 juillet 19715, le CC a établi que ces deux textes, le préambule de la Constitution de 1958 et la constitution elle- même formaient un tout. Par le même raisonnement, les « principes fondamentaux 1 Nicolas Hulot, Ma planète, Novembre/Décembre 1997. 2 On utilisera dans la suite du texte « la Charte » pour mentionner la Charte de l’environnement. 3 On utilisera ci-après « CC » pour y faire référence. 4 Lexique des termes juridiques, 2013, « Bloc de constitutionnalité ». 5 Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. reconnus par les lois de la République »6 mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1946 font également partie de ce bloc de constitutionnalité. Adjoindre une mention à la Charte dans le préambule de la Constitution de 1958 signifiait donc son importance constitutionnelle, l’inscrivant elle aussi dans le bloc de constitutionnalité français. Il est donc possible de tirer des significations prescriptives valides de cette Charte qui a un statut de norme constitutionnelle et se place au-dessus des autres normes juridiques dans la pyramide des normes telle que Kelsen l’a conçue. Dans cette pyramide, la norme fondamentale est la Constitution, par rapport à laquelle le CC est amené à contrôler la validité des lois et de certains règlements, comme en dispose l’article 61 de la Constitution. Quant aux autres normes, elles sont valides lorsqu’elles sont conformes aux normes qui leur sont supérieures. L’incorporation de la Charte à la Constitution de 1958 met en fait en place une nouvelle génération7 de droits de l’homme, relatifs à l’environnement, après les droits politiques et universels de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946, comme le souligne Dominique Bourg, un des membres de la Commission Coppens qui travaillait sur la création de la Charte de l’environnement.8 Cette nouvelle catégorie de droits et de devoirs a suscité beaucoup d’espoirs, et tout autant de question sur l’effet qu’ils allaient avoir dans la pratique. La Charte de l’environnement avait vocation à croiser la route du juge administratif, qui a toujours joué un rôle important en matière d’environnement. Comme le souligne Yann Aguila, « le juge administratif est attaché à la défense de l'intérêt général. Or quelle meilleure illustration de cette notion, que certains remettent parfois en cause, que […] la défense, non seulement des intérêts des 6 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. 7 MARRANI, David, « Human Rights and Environmental Protection: The Pressure of the Charter for the Environment on the French Administrative Courts. » Sustainable Development Law & Policy, Fall 2009, p. 54. 8 BOURG, Dominique, « La charte française de l'environnement: quelle efficacité ? », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 6 Numéro 2 | septembre 2005, mis en ligne le 01 septembre 2005, consulté le 22 février 2012. URL : http://vertigo.revues.org/4323 habitants actuels de la planète, mais aussi de ceux des générations futures ? »9 Dans ce cadre, il semble important de tenter de déterminer les rapports qu’entretiennent la Charte de l’environnement et le juge administratif : à quel point la Charte est-elle utilisée par le juge administratif comme texte à pleine valeur constitutionnelle ? La Charte semble en effet avoir un statut constitutionnel fragile, limitant en partie l’application que peut en faire le Conseil d’État10 (I). Depuis 2008, le CE semble néanmoins avoir changé la relation qu’il entretient avec la Charte, entre autres grâce à création de la question prioritaire de constitutionnalité11 (II). I. – Une Charte à l’application fragile Lors de sa promulgation le 1er mars 2005, la Charte de l’environnement a officiellement pris sa place dans les textes constitutionnels. En réalité, l’idée même d’un texte constitutionnel concernant l’environnement n’est pas évidente : le droit français contenait en effet déjà des principes de droit environnemental (A). La préexistence de ces principes a induit une certaine limitation du contrôle de constitutionnalité des actes par le CE (B). A. La Charte, texte constitutionnel utile ? On peut, depuis des dizaines d’années, trouver tant dans le droit international que dans le droit interne des principes juridiques environnementaux12. De 1972, avec la 9 AGUILA, Yann, « La valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement », RFDA 2008, p. 1147. 10 On utilisera ci-après « CE » pour y faire référence. 11 On utilisera ci-après « QPC » pour y faire référence. 12 GÉLARD, Patrice, Rapport n° 352 (2003-2004), fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 juin 2004, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement. Consulté le 03 décembre 2012. URL : http://www.senat.fr/rap/l03-352/l03-352_mono.html Conférence mondiale sur l'environnement de Stockholm13 à nos jours, les conférences sur la préservation de l’environnement se sont multipliées, au même temps que certains principes semblent émerger des innombrables traités internationaux, accords bilatéraux14, et du droit communautaire. Or la hiérarchie des normes implique que les lois et règlements nationaux doivent être conformes aux traités internationaux, comme le dispose l’article 55 de la Constitution. Le droit interne connaît également la question de la préservation de l’environnement, entre la création du ministère de l’environnement dès 1971 et la promulgation de deux lois d’importance sur la protection de la nature, en 1976 puis en 1995.15 Cette deuxième loi, en particulier, mentionne quatre principes essentiels (principe de précaution, principe d'action préventive et de correction, principe pollueur-payeur, principe de participation), qui seront codifiés dès 2000 sous la forme des articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l’environnement, et qui sont relativement similaires à ceux développés par la Charte de l’environnement. Par ailleurs, dès avant la création de la Charte, le juge administratif s’intéressait à l’environnement, se fondant sur la législation en vigueur. Comme le souligne le Commissaire du gouvernement Yann Aguila16, de nombreux arrêts du CE manifestent le rôle de premier plan que joue le juge administratif en termes de droit de l’environnement. Il cite entre autres l’arrêt du 10 juillet 200617 sur les Gorges du Verdon, qui faisait ainsi une application remarquée de la théorie du bilan, la décision du 15 février 2006, en référé, sur l’amiante et le porte-avions Clemenceau, compte tenu des risques « en matière de protection de l'environnement et de la santé publique »18, et l’arrêt du 6 juin 2007 sur la 13 Principe 9 de la Conférence mondiale sur l'environnement de Stockholm, 1972, cité par GÉLARD, Patrice, ibid. 14 Gélard, Patrice, op. cit. 15 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ; loi n° 95-101 du 12 février 1995 relative au renforcement de la protection de la nature. 16 AGUILA, Yann, « La valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement », RFDA 2008, p. 1147. 17 CE 10 juill. 2006, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, des lacs et sites du Verdon, req. n° 288108, Lebon 332. 18 CE 15 févr. 2006, Association Ban Asbestos France et autres, req. n° 288801, Lebon 78. centrale nucléaire de Brenillis en application du principe de participation du public19. La Charte était néanmoins prévue pour s’imposer à tous : le projet de loi indique qu’elle « édicte une norme qui s'impose à tous, pouvoirs publics, juridictions et sujets de droit ». Il était donc prévu que le texte puisse être invoqué par toutes les cours, malgré la présence de la plupart de ses principes dans des textes préexistants. La Charte a donc servi à compléter des principes qui la précédaient et à leur donner une pleine valeur constitutionnelle. Il aurait donc pu sembler uploads/S4/ droit-administratif-juge-administratif-constitution-et-charte-de-l-x27-environnement.pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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